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Lagarce, Juste la fin du monde, 2e partie, scène 3

Sujet d'oral • Explication & entretien

Lagarce, Juste la fin du monde, 2e partie, scène 3

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication.

Document 

Louis est sur le point de partir définitivement. Antoine dit alors enfin à son frère ce qu'il pense réellement de lui.

Antoine. – […] Tu es là, devant moi,

je savais que tu serais ainsi, à m'accuser sans mot,

à te mettre debout devant moi pour m'accuser sans mot,

et je te plains, et j'ai de la pitié pour toi, c'est un vieux mot, mais j'ai de la pitié pour toi,

et de la peur aussi, et de l'inquiétude,

et malgré toute cette colère, j'espère qu'il ne t'arrive rien de mal,

et je me reproche déjà

(tu n'es pas encore parti)

le mal aujourd'hui que je te fais.

Tu es là,

tu m'accables, on ne peut plus dire ça,

tu m'accables,

tu nous accables,

je te vois, j'ai encore plus peur pour toi que lorsque j'étais enfant,

et je me dis que je ne peux rien reprocher à ma propre existence,

qu'elle est paisible et douce

et que je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d'avoir failli se lamenter,

alors que toi,

silencieux, ô tellement silencieux,

bon, plein de bonté,

tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne saurais pas même imaginer le début du début.

Je ne suis rien,

je n'ai pas le droit,

et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras,

je serai moins encore,

juste là à me reprocher les phrases que j'ai dites,

à chercher à les retrouver avec exactitude,

moins encore,

avec juste le ressentiment,

le ressentiment contre moi-même.

Louis ?

Louis. – Oui ?

Antoine. – J'ai fini.

Je ne dirai plus rien.

Seuls les imbéciles ou ceux-là, saisis par la peur, auraient pu en rire.

Louis. – Je ne les ai pas entendus.

J.-L. Lagarce, Juste la fin du monde, 2e partie, scène 3, 1990.

2. question de grammaire. Analysez la proposition subordonnée relative dans : « replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne saurais pas même imaginer le début du début » (l. 23-24).

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Le ton juste est difficile à trouver : il faut faire sentir à la fois les reproches d'Antoine, mais aussi son affection pour son frère. Entraînez-vous !

L'essentiel est de faire percevoir, à travers votre lecture, la douleur d'un personnage incapable d'expliquer clairement ses sentiments. Imaginez Louis muet en face de vous.

Situer le texte, en dégager l'enjeu

Intéressez-vous à la tension qui traverse l'extrait. D'où provient-elle ? Comment se traduit-elle ?

Montrez la difficulté avec laquelle Antoine exprime ce qu'il ressent.

2. La question de grammaire

Repérez d'abord les bornes de la proposition relative. Quel est son antécédent ?

Analysez aussi la fonction du pronom relatif au sein de la subordonnée.

1. L'explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Dans Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce met en scène les retrouvailles d'un jeune homme, Louis, avec une famille dont il s'était éloigné : il revient pour annoncer sa « mort prochaine ».

[Situer le texte] Les tensions entre frères sont très vite palpables et culminent dans l'ultime scène dialoguée de la pièce, située juste avant l'épilogue. Devant des femmes muettes, « comme absentes », Antoine prend une dernière fois la parole face à son frère.

[En dégager l'enjeu] Comment cet échange rend-il sensible la complexité des relations fraternelles, entre affection, malaise et rancœurs ?

Explication au fil du texte

Antoine, un frère maladroit mais aimant (l. 1-10)

Présent, Louis reste muet et insaisissable ; sa posture est perçue comme un affront par Antoine : « Tu es là, devant moi […] à m'accuser sans mot ».

Sans illusion, Antoine enferme Louis dans un rôle prévisible, qui ne laisse aucune place à l'échange, ce qu'exprime le conditionnel à valeur de futur dans le passé : « je savais que tu serais ainsi ».

Malgré un flot continu de reproches, Antoine est touchant lorsqu'il livre ses sentiments. La répétition de la conjonction de coordination « et » souligne son attachement pour son frère : « et je te plains, et j'ai de la pitié pour toi […] et de la peur aussi, et de l'inquiétude ». Antoine exprime sa mauvaise conscience à l'idée d'accabler Louis, dont le départ semble inéluctable.

Conscient que Louis va mourir, le spectateur mesure tout le drame qu'Antoine ignore mais pressent peut-être lorsqu'il formule ce vœu : « j'espère qu'il ne t'arrive rien de mal ».

Deux postures opposées (l. 11-24)

Impuissant, Antoine se fait le porte-parole de la famille entière en s'exprimant par un nous qui convoque les autres à ses côtés : « tu nous accables » succède à « tu m'accables ».

La figure fuyante de Louis semble pour lui une obsession qui l'empêche de se construire en tant que frère : « j'ai encore plus peur pour toi que lorsque j'étais enfant ».

Antoine esquisse le portrait de deux frères radicalement opposés : le bonheur supposé de l'un (« ma propre existence […] paisible et douce » de « mauvais imbécile ») contraste avec le martyre exemplaire de l'autre (« silencieux », « bon », « replié sur ton infinie douleur »).

L'incompréhension l'emporte, faute de réel échange. Antoine se dénigre et se moque de l'attitude de Louis, « bon, plein de bonté » – dans la scène précédente, il l'avait désigné comme « la Bonté même ». Seul le spectateur saisit l'ironie tragique de ses propos quand il évoque la douleur de Louis, douleur « dont je ne saurais pas même imaginer le début du début ».

mot clé

On parle d'ironie tragique lorsqu'un personnage, victime de son ignorance, prononce des paroles qui se retournent contre lui. En s'exprimant ainsi, Antoine ne se doute pas que son frère va bientôt mourir.

Un dialogue dans l'impasse (l. 25-40)

S'il a des mots durs envers Louis, Antoine ne s'épargne guère non plus. Il se sent constamment coupable. Plusieurs tournures négatives révèlent une piètre estime de soi : « Je ne suis rien, / je n'ai pas le droit […] je serai moins encore. »

L'abandon est présenté comme une fatalité douloureuse pour Antoine, qui vit dans l'ombre d'un frère insaisissable : citons les futurs prophétiques « tu nous quitteras encore […] tu me laisseras ».

des points en plus

Déjà disloquée, la famille semble vouée à rejouer sans cesse le drame inaugural de la séparation : « tu nous as faussé compagnie (là que tout commence) », rappelle Suzanne dans la scène 3 de la première partie.

Si délicats à trouver, les mots sont sources de tensions et de malentendus. Parfois blessants pour qui les reçoit, ils se retournent aussi contre leur auteur : « je serai […] juste là à me reprocher les phrases que j'ai dites ».

L'affection indéfectible d'Antoine pour son frère éclate avec la reprise du mot « ressentiment » (« avec juste le ressentiment, / le ressentiment contre moi-même »). Ici se lit la souffrance d'un personnage désemparé, habité par l'urgence d'une parole qui sera la dernière : « Je ne dirai plus rien. »

Si Antoine sollicite son frère (« Louis ? »), il ne semble pourtant pas attendre de réponse ; l'essentiel consiste à livrer son propre ressenti.

Absent ou présent, Louis paraît lointain : minimales, ses interventions finales attestent seulement de son écoute, sans autre réaction. Face à la parole débordante de son frère, il reste quasiment muet.

Conclusion

[Faire le bilan de l'explication] Dans cet ultime dialogue de la pièce, l'échange avorte tragiquement. Sous les rancœurs accumulées et les maladresses se lit l'affection d'un Antoine miné par ses inquiétudes, mais à qui la vérité de son frère échappera définitivement.

[Mettre le texte en perspective] Louis repart seul avec un secret qu'il n'aura pas su livrer. Dans d'autres pièces, c'est à l'inverse la délivrance d'un secret intime qui plonge la famille dans une crise dont elle ne se relèvera pas : tel est le cas de Phèdre et de son amour incestueux dans la tragédie de Racine.

2. La question de grammaire

« replié sur ton infinie douleur intérieure [dont je ne saurais pas même imaginer le début du début] »

La proposition subordonnée relative (entre crochets), introduite par le pronom relatif dont, a pour antécédent le groupe nominal ton infinie douleur intérieure.

C'est une relative apposée à valeur explicative : elle apporte un commentaire sans contribuer à l'identification de son antécédent.

Le pronom relatif dont a une fonction de complément du nom du groupe nominal le début du début.

Des questions pour l'entretien

Lors de l'entretien, vous devrez présenter une autre œuvre que vous avez lue au cours de l'année. L'examinateur introduira l'échange et peut vous poser des questions sous forme de relances. Les questions ci-dessous ont été conçues à titre d'exemples.

1 Sur votre dossier est mentionnée la lecture cursive d'une autre œuvre associée au parcours « Crise personnelle, crise familiale » : Antigone de Jean Anouilh. Pouvez-vous resituer le personnage d'Antigone dans sa propre famille ?

2 En quoi peut-on dire qu'Antigone traverse une « crise personnelle » ?

3 Comment la confrontation d'Antigone et de Créon ouvre-t-elle une réflexion sur les valeurs qu'un être humain doit défendre ?

 

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