Écrit
Dissertation • Corneille, Le Menteur
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Sujet d’écrit • Dissertation
Le mensonge en question chez Corneille
Intérêt du sujet • « Ô l’utile secret que mentir à propos ! » s’exclame Dorante à la scène 6 de l’acte II. Mais qu’est-ce qui le pousse à mentir ainsi dans la pièce ?
Pourquoi Dorante joue-t-il la comédie ?
Vous répondrez à cette question dans un développement structuré. Votre travail prendra appui sur Le Menteur de Corneille, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours « Mensonge et comédie » et sur votre culture personnelle.
Les clés du sujet
Analyser le sujet
Formuler la problématique
Le mensonge, chez Dorante, est-il seulement le fait de sa psychologie ? La pièce de Corneille n’est-elle qu’une comédie de caractère ?
Construire le plan
1. Dorante : un menteur né | Répertoriez les scènes où le mensonge apparaît, chez Dorante, comme une seconde nature. Dans quelle mesure Le Menteur pourrait être considérée comme une comédie de caractère ? |
2. Dorante : le mensonge en action | Montrez que les mensonges de Dorante soutiennent l’intrigue de la comédie. Soulignez le lien entre mensonges et comique. |
3. Dorante : comédien et poète ? | Mettez en évidence la mise en abyme à l’œuvre dans l’écriture dramaturgique. Expliquez en quoi les mensonges de Dorante relèvent de l’invention poétique. |
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] En intitulant sa pièce Le Menteur (1644), Corneille met l’accent sur un trait psychologique du personnage au centre de l’action dramatique. Tantôt hâbleur, tantôt imposteur, Dorante anime toute l’intrigue par ses mensonges. [Sujet] Mais pourquoi joue-t-il la comédie ? Si les affabulations du protagoniste relèvent de sa personnalité, elles paraissent aussi répondre à des nécessités dramaturgiques. [Problématique] Le drame cornélien se donne-t-il comme une comédie de caractère ou d’intrigue ? [Annonce du plan] Pour le déterminer, il s’agira d’abord de voir en Dorante un menteur né, puis de montrer que le personnage incarne le mensonge en action, pour s’interroger, enfin, sur la fonction poétique du mensonge.
I. Dorante : un menteur né
Le secret de fabrication
Dans cette première partie, on étudie la personnalité du menteur et la manière dont la comédie s’organise autour de ce trait psychologique.
1. Le sens de la comédie
Parce que les « hautes fictions [lui] sont bien naturelles » comme l’admet Cliton à la scène 6 de l’acte i, Dorante ne cesse d’emprunter des identités pour les besoins de la séduction : il est capable d’endosser l’habit du soldat comme le costume du galant.
Le goût de la comédie chez Dorante s’enracine en et hors de lui : il ment par défi, reconnaissant qu’il « aime à braver ainsi les conteurs de Nouvelles » (v. 362) ; à la scène 3 de l’acte iii, Philiste suggère toutefois qu’il est également « menteur par coutume », c’est-à-dire qu’il en a pris l’habitude dans le jeu des relations sociales.
2. Un trait de caractère déterminant
Dans la comédie de caractère, un trait psychologique détermine le déroulement de l’action. Dans Le Menteur, toute l’intrigue est ainsi organisée autour du défaut de Dorante ; les autres rôles se répartissent entre ceux qui le subissent ou cherchent à le corriger.
à noter
La comédie de caractère a été magistralement illustrée par Molière dans L’Avare, qui est parvenu à dépasser la caricature dans la peinture des types humains. La correction des mœurs y est plus poussée que chez Corneille.
Le jeune homme manifeste, par ses affabulations, son souci de gloire en même temps qu’il cherche à séduire Clarice, à impressionner son rival Alcippe, à souligner la crédulité de son valet et à contourner les décisions paternelles.
Géronte reproche à son fils la comédie qu’il joue : « Est-il vice plus bas, est-il tache plus noire/Plus indigne d’un homme élevé pour la gloire ? » (v. 1521-1522). Quant à Cliton, comme Sganarelle face à Dom Juan dans la pièce éponyme de Molière, il s’effarouche des audaces mensongères de son maître. Pourtant, si Corneille reconnaît « que les actions de Dorante ne sont pas bonnes moralement » (« Épître » de La Suite du Menteur), les mensonges de son personnage viennent s’intégrer à la morale héroïque du dramaturge : il n’affabule pas par lâcheté ; il invente plus qu’il ne dissimule.
[Transition] Naturellement porté à mentir par le jeu des circonstances, Dorante s’affirme sur scène comme un comédien virtuose, de sorte que ses mensonges sont mis au service de l’action.
II. Dorante : le mensonge en action
Le secret de fabrication
Dans cette deuxième partie, on montre que le mensonge de Dorante nourrit l’action dramatique et qu’il est la source du comique.
1. Le héros d’une comédie d’intrigue
La comédie d’intrigue met l’accent sur l’action en déplaçant l’intérêt vers l’enchaînement des quiproquos et des rebondissements. La comedia espagnole en a donné le modèle à Corneille, où les actions requièrent davantage d’attention que les personnages et où l’argument repose sur l’amour. Ce type de comédie suppose l’usage du mensonge. L’imbroglio se noue à partir de stratagèmes et substitutions qui engendrent une cascade de méprises.
Personnage clé de l’intrigue galante à l’espagnole, Dorante incarne l’amoureux extravagant. Ses mensonges déterminent alors la conduite de l’action. Né de la confiance trop vite accordée au propos d’un cocher, le quiproquo initial, qui veut que Lucrèce soit plus belle que Clarice, donne l’occasion à Dorante de s’inventer des rôles qui ont pour effet d’alimenter des malentendus – Alcippe prenant Dorante pour l’amant secret de Clarice, par exemple.
2. Une force comique
Destinée à plaire par le tourbillon des actions, la comédie d’intrigue mobilise au premier chef le comique de situation : dans Le Menteur, il prend sa source dans les discordances entre les propos tenus et la réalité observée. C’est le cas notamment à la scène 2 de l’acte iv lorsqu’Alcippe surgit sur scène alors que Dorante vient de déclarer qu’il l’a tué au cours d’un duel.
Par ses mensonges, Dorante assure l’avancée autant que le dynamisme de la comédie : le comique de gestes résulte des choix de mise en scène, tel le va-et-vient de Dorante entre ses deux amantes à la scène 6 de l’acte v ; le comique de mœurs se révèle à travers la satire enjouée des jeunes aristocrates ou les valets vénaux, à l’instar de Sabine ; le comique de mots se retrouve dans la parodie de la pastorale mise dans la bouche de Dorante, prompt à faire naître des mondes (ex. : le récit de la collation : i, 5).
à noter
Au siècle suivant, dans Les Fausses Confidences, Marivaux prête la même virtuosité au personnage de Dubois qui, par ses paroles mensongères, emmène toute la comédie à sa suite.
[Transition] Figure centrale d’une comédie d’intrigue, Dorante en assure par ses feintes la progression dramatique et la dimension comique. Mais ses mensonges ne revêtent-ils pas d’abord une fonction poétique ?
III. Dorante : comédien et poète ?
Le secret de fabrication
Dans cette troisième partie, on montre que la comédie de Dorante donne lieu à une mise en abyme du théâtre et relève de l’esthétique baroque.
1. Une comédie dans la comédie
Théâtre dans le théâtre, Le Menteur met en scène un comédien jouant dans une comédie. Cette mise en abyme est particulièrement sensible dans la scène 5 de l’acte ii, où le public peut reconnaître dans la parade verbale burlesque que le fils sert à son père les faux-semblants dont use le théâtre lui-même pour divertir la salle.
Ce principe de mise en abyme crée un mouvement perpétuel entre vérité et mensonge et amène le spectateur à s’interroger sur la réalité. Quand Dorante transporte le public dans l’atmosphère hors scène des guerres d’Allemagne, à la scène 3 de l’acte i, il joue le Matamore, mais fait référence simultanément à une vérité historique, la guerre de Trente Ans, identifiable par le spectateur.
à noter
La mise en abyme permet de convoquer le theatrum mundi, l’idée que les spectateurs ne sont eux-mêmes que les acteurs du « grand théâtre du monde ».
Créateur de fable, Dorante apparaît donc comme un double du dramaturge.
2. L’imagination d’un poète
Les mensonges de Dorante endossent souvent une valeur purement poétique : ils élaborent des univers imaginaires et font vivre des rêves éveillés dans lesquels Corneille délègue à son protagoniste une véritable virtuosité dramaturgique. Philiste voit clair dans le « talent de bien imaginer » de Dorante et le soupçonne de leur servir une « pièce […] fort complète, et des plus à la mode » (v, 1).
Poussé au-delà de lui-même, Dorante vit ainsi dans les marges de la réalité à la manière des magiciens qui peuplent la scène baroque. Étranger aux règles qui corsètent son être social, personnage libertin, il se caractérise par une imagination foisonnante et un raffinement ostensible. Les fictions dont il se fait l’auteur n’en atteignent pas moins une forme de vérité : « On dirait qu’il dit vrai, tant son effronterie/Avec naïveté pousse une menterie » reconnaît Clarisse, à la scène 5 de l’acte iii.
Conclusion
[Synthèse] En mettant en scène un comédien, Corneille donne une comédie de caractère, tout en exploitant les ressorts de la comédie d’intrigue. Les mensonges de Dorante célèbrent finalement cet art de l’illusion qu’est le théâtre, selon l’esthétique baroque. [Ouverture] À l’âge classique, Molière a dit sa dette à l’égard de l’auteur du Menteur, en multipliant dans L’École des femmes les récits romanesques pour rapprocher les amoureux et déjouer les visées d’un barbon jaloux.