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Le travail est-il encore source d'intégration ?

France métropolitaine, juin 2024 • Jour 1

dissertation

Le travail est-il encore source d’intégration ?

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Ce sujet de dissertation interroge les impacts sociaux des évolutions de l’emploi. Le travail remplit-il toujours ses fonctions intégratrices ?

 

 Dans quelle mesure les évolutions de l’emploi affaiblissent-elles le pouvoir intégrateur du travail ?

Document 1Qualité de l’emploi des salariés par catégorie socio-professionnelle en 2019 (en %)

 

Ensemble

CPIS1

Professions intermédiaires

Employés

Ouvriers

Intensité du travail et pression temporelle

     

Devoir se dépêcher

45

47

46

46

42

S’interrompre pour effectuer une tâche non prévue

66

73

72

66

51

Autonomie, marges de manœuvre

     

Avoir un travail répétitif

43

11

28

56

69

Ne pas pouvoir régler soi-même les incidents

31

17

24

37

42

Coopération, soutien - Être aidé

     

par les supérieurs hiérarchiques

67

69

68

65

64

par les collègues

83

87

87

76

82

Reconnaissance

68

75

68

66

66

Au vu des efforts, recevoir l’estime et le respect que mérite le travail

Insécurité socio-économique

20

13

19

23

21

Crainte pour son emploi

Source : d’après Dares-Insee, Enquête Conditions de travail, 2019.

Champ : France hors Mayotte, ensemble des salariés.

1. Cadres et professions intellectuelles supérieures.

Document 2Évolution des parts des professions peu qualifiées, moyennement qualifiées, qualifiées et très qualifiées en France, entre 1996 et 2017 (en points de %)

sesT_2406_07_00C_01

Source : Insee-DGI, Enquête Revenus fiscaux et sociaux de 1996 à 2017, www.strategie.gouv.fr.

Champ : France métropolitaine, personnes en emploi.

Document 3Évolution du taux de chômage et du taux de chômage de longue durée1 depuis 1975 (en % de la population active)

sesT_2406_07_00C_02

Source : Insee, 2023.

Champ : France hors Mayotte, ensemble des actifs.

1. Situation des chômeurs qui n’ont plus d’activité professionnelle depuis au moins un an.

Document 4La situation des travailleuses peu qualifiées

Les récits des jeunes femmes1 sur leur insertion professionnelle mettent en lumière une succession de périodes d’intérim, avec des contrats précaires2, dans certains cas non conformes (contrats oraux, « mais parce qu’on se connaît »), des conditions de travail difficiles, des horaires fractionnés, ou fractionnables. C’est le cas de celles qui exercent des métiers dans le secteur de l’aide à la personne, mais aussi des aides-soignantes et, plus largement, de toutes celles qui travaillent dans les métiers de service, du care3, où la dimension affective du travail est très présente.

Maëlle a 25 ans, fille d’un père inséminateur4 et d’une mère assistante maternelle, elle est aide-soignante en CDD dans un centre de rééducation, et « fait ce métier pour aider les gens, parce qu’elle aime ça aider… être utile ». Elle vient de se séparer de son conjoint avec qui elle avait acheté une maison dans la petite ville de T. (2 000 habitants), où habitent ses parents et son frère. Pendant sa formation, elle a « enchaîné » les contrats précaires et l’intérim (« j’ai travaillé un peu, j’ai travaillé au Leclerc à C., au Huit à Huit qui est Carrefour­ maintenant à T., au Leader Price à S-C »). Avec l’obtention de son diplôme, Maëlle multiplie les contrats courts dans différentes structures locales : EHPAD5, maisons de retraite… et, depuis peu, travaille dans un centre de rééducation. […] Ce travail lui plaît, même « si c’est très mal payé par contre : je dois gagner en CDD 1 400 euros à temps plein, et 1 200 en CDI6, ça ne donne pas envie de passer titulaire ». La rupture conjugale, les frais associés à la maison qu’elle doit maintenant assumer seule l’inquiètent.

Source : Yaëlle Ansellem-Mainguy, Les filles du coin, vivre et grandir en milieu rural, 2021.

1. L’enquête de Yaëlle Ansellem-Mainguy porte sur des jeunes femmes, âgées de 16 à 26 ans, vivant en milieu rural, souvent peu diplômées et appartenant aux classes populaires.

2. Les contrats précaires désignent les contrats à durée déterminée (CDD) et les contrats de travail temporaire.

3. Care : les métiers du « care » désignent plus communément le travail des auxiliaires de vie, des aides à domicile, des aides-soignants, dont les fonctions sont de répondre à ces besoins élémentaires de soins et d’accompagnement quotidiens.

4. L’inséminateur est un spécialiste de la reproduction animale.

5. EHPAD : établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes.

6. CDI : contrat à durée indéterminée.

 

Les clés du sujet

Analyser la consigne et dégager une problématique

sesT_2406_07_00C_03

Problématique. Peut-on dire que la précarisation des emplois, la persistance du chômage de masse et la polarisation de la qualité des emplois conduisent à l’inefficacité intégratrice du travail ?

Exploiter les documents

Document 1. Ce tableau de la Dares et de l’Insee permet d’établir la polarisation de la qualité des emplois : les catégories socioprofessionnelles populaires (employés et ouvriers) ont moins de sécurité socio-économique que les cadres et les professions intermédiaires, et leurs tâches sont moins variées.

Document 2. Ce graphique de l’Insee souligne la polarisation de l’emploi : la part des professions qualifiées dans l’emploi total augmente de 4 points de pourcentage entre 1996 et 2017, tandis que la part des professions moyennement qualifiées a reculé de 6 points. Par conséquent, le risque de chômage concerne davantage les emplois moyennement qualifiés, et peu les emplois très qualifiés.

Document 3. Ce graphique élaboré par l’Insee met en évidence l’appa­ri­tion d’un chômage de masse, suite au ralentissement de la croissance sur la période 1975-1985, puis sa persistance à un taux élevé (entre 8 et 11 % des actifs). Le chômage de longue durée oscille entre 2 et 3 %. Les phases de décrue du chômage s’expliquent en partie par la création d’emplois atypiques (précarisation de l’emploi et développement du temps partiel).

Document 4. Ce texte illustre concrètement les évolutions de l’emploi et leurs effets sur le pouvoir intégrateur du travail : pour échapper au chômage, les travailleuses peu qualifiées occupent successivement divers emplois précaires, mal rémunérés, peu reconnus, de qualité médiocre. Elles subissent une forte insécurité économique et cela a un impact sur leur situation sociale et conjugale.

Définir le plan

I. Le travail est une source fondamentale d’intégration dans notre société

 Comment le travail permet-il l’intégration économique des individus ?

 En quoi est-il également pour eux un facteur d’intégration sociale ?

II. Les évolutions de l’emploi affaiblissent le pouvoir intégrateur du travail

Pourquoi la précarisation de l’emploi et le chômage de masse affaiblissent-ils ce pouvoir intégrateur ?

Quel est l’effet de la polarisation de la qualité de l’emploi ?

Les titres des parties ne doivent pas figurer sur votre copie.

Introduction

[accroche] Le mythe du self made man, incarné aujourd’hui par certains influenceurs sur les réseaux sociaux, illustre l’importance du travail au sein des sociétés démocratiques, dans lesquelles la place dans l’espace social doit découler du travail et non de la naissance. Le travail est une activité qui produit de la valeur, l’emploi désigne la situation dans laquelle ce travail est déclaré et rémunéré. [présentation du sujet] Source de revenus et de liens sociaux, marqueur de l’identité sociale, le travail contribue à l’intégration, processus qui permet de devenir membre de la société. Mais l’emploi typique des Trente Glorieuses (un emploi stable à temps complet) est désormais déstabilisé par le chômage, la précarisation et la polarisation de la qualité des emplois. [problématique] Peut-on dire que la précarisation des emplois, la persistance du chômage de masse et la polarisation de la qualité des emplois conduisent à l’inefficacité intégratrice du travail ? [annonce du plan] Dans un premier temps, nous présenterons le pouvoir intégrateur du travail. Dans un deuxième temps, nous constaterons que les évolutions de l’emploi affaiblissent ce pouvoir intégrateur.

I. Le pouvoir intégrateur du travail

 Le secret de fabrication

Vous pouvez évoquer les dimensions intégratrices du travail dans l’ordre de votre choix. Généralement, on pense d’abord au travail comme source de revenus (intégration économique), mais une analyse approfondie de cet aspect fait ressortir la place du travail comme source d’intégration sociale.

1. Le travail, source d’intégration économique

Le travail procure des revenus qui permettent d’avoir à un certain pouvoir d’achat. Les individus accèdent ainsi à l’indépendance financière mais également à la norme de consommation de la société à laquelle ils appartiennent. Dans une société de consommation, posséder certains biens (smartphones, vêtements de marque…) définit le statut social.

Avec le développement de la protection sociale, fortement bâtie sur une logique d’assurance, c’est le travail et le revenu associé qui engendrent l’accès aux droits sociaux (pensions de retraite, indemnisation du chômage), donc à une gestion solidaire des risques sociaux. Notre degré de sécurité économique est donc conditionné par le travail.

2. Le travail, source d’intégration sociale

Travailler, c’est avoir des collègues, construire des liens sociaux de participation organique, selon la formule du sociologue Serge Paugam. Les relations au sein de l’univers professionnel renforcent notre sociabilité, mais participent aussi à notre socialisation secondaire professionnelle, par l’intériorisation de normes et de valeurs spécifiques à cet univers.

Travailler, c’est exercer une profession qui a sa place dans la division sociale du travail. Pour Émile Durkheim, la division du travail des sociétés modernes, marquée par des professions de plus en plus spécialisées, est source de solidarité organique. Notre profession définit alors notre utilité sociale, notre statut, notre place dans l’espace social.

mot clé

La solidarité organique désigne la forme de cohésion sociale dans les sociétés modernes, induite par la complémentarité des individus favorisée par une division sociale du travail renforcée.

II. La remise en cause de ce pouvoir intégrateur

1. Chômage et précarisation de l’emploi

Être au chômage, c’est perdre une partie de son revenu, malgré une éventuelle indemnisation par la protection sociale. En cas de chômage de longue durée, les revenus sont de plus en plus incertains. Les liens sociaux professionnels sont affectés, ainsi que les liens amicaux et familiaux. Le risque d’exclusion augmente. Le document 3 montre le développement du chômage de masse depuis 1975, et sa persistance à un taux élevé compris entre 8 et 11 %. Par conséquent de plus en plus d’individus sont exclus de l’intégration par le travail, notamment les chômeurs de longue durée.

Le document 4 présente le cas de jeunes femmes de milieu rural, qui occupent des emplois très utiles socialement mais peu valorisés du fait de faibles qualifications. Ces emplois s’exercent à travers des contrats précaires ou de l’intérim, qui placent ces femmes dans une situation de forte insécurité économique. Le développement des emplois précaires dû aux politiques de flexibilisation du marché du travail affaiblit donc le pouvoir intégrateur du travail pour ceux occupant des emplois dits atypiques.

à noter

La précarisation de l’emploi désigne le développement, pour lutter contre le chômage, d’emplois précaires tels que les CDD, l’intérim ou les contrats aidés. Leur instabilité économique s’accompagne de fragilités sociales.

2. Un affaiblissement relatif et inégal

Dans les économies avancées, l’évolution de la structure socioprofessionnelle est marquée par un processus de polarisation des emplois : la part des emplois de qualification intermédiaire diminue, tandis que la part des emplois très qualifiés et celle des emplois peu qualifiés non automatisables augmente. Dans le document 2, on lit que la part des professions très qualifiées dans l’emploi augmente de 4 points de pourcentage entre 1996 et 2017, alors que la part des professions moyennement qualifiées recule de 6 points.

La polarisation des emplois est également une polarisation de la qualité des emplois, qualité qui peut être caractérisée par la sécurité économique, le niveau de salaire ou les conditions de travail. Les emplois les moins qualifiés (ouvriers, employés) sont également ceux qui s’accompagnent d’une moindre sécurité économique, d’un salaire plus faible et de tâches moins variées, comme le montre le document 1. Le pouvoir intégrateur du travail varie donc avec la qualité de l’emploi.

Conclusion

[bilan] Le travail est par nature un facteur central de l’intégration socio-économique dans les sociétés démocratiques. Mais ce pouvoir intégrateur est relativement affaibli, de manière inégale, par le chômage de masse, les emplois précaires et la polarisation qualitative des emplois. [ouverture] Doit-on s’atten­dre à ce qu’il s’affaiblisse encore davantage avec l’arrivée d’innovations numériques telles que l’intelligence artificielle ?

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