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Les enjeux mémoriels de la guerre d'Algérie

Étude critique de documents

Les enjeux mémoriels de la guerre d’Algérie

2 heures

10 points

Intérêt du sujet • Les mémoires de la guerre d’Algérie ne sont pas encore apaisées. L’enjeu de ce sujet est de présenter les différents acteurs de ces mémoires et de comprendre leurs divisions. Ce sujet présente également la position actuelle de l’État français dans un contexte qui a évolué depuis la fin de la guerre d’Algérie.

 

En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, présentez les enjeux mémoriels actuels de la guerre d’Algérie.

Document 1Les mémoires douloureuses de la guerre d’Algérie

Le travail des historiens sur la guerre d’Algérie n’a jamais cessé. Il a commencé très tôt, dès les années 1970 et 1980, et des deux côtés de la Méditerranée. Et il continue. En revanche, les saignements de mémoire de cette guerre n’ont jamais cessé, alimentés par les très nombreux groupes porteurs de cette mémoire. En France, les enfants d’immigrés algériens ou de harkis, les pieds-noirs, les très nombreux soldats partis là-bas… Tous ces groupes ont eu et gardent le sentiment de n’avoir été ni écoutés ni reconnus […]. [Emmanuel Macron] est le premier à aborder le sujet globalement, en traitant de la question coloniale, donc avant le déclenchement de la guerre elle-même. On se souvient de la polémique, pendant sa campagne en 2017, quand il avait qualifié la colonisation de crime contre l’humanité. Il a ouvert le premier cette brèche, et l’a agrandie en 2018 en se saisissant de l’affaire Maurice Audin1 en demandant pardon à sa veuve, au nom de la France qui avait enlevé et tué ce militant anticolonialiste. […]

Cette guerre d’Algérie est instrumentalisée par des lobbys politiques qui en ont fait une rente mémorielle […]. Dans les deux pays, des groupes politiques s’en servent comme objet politique pour se maintenir ou tenter d’accéder au pouvoir. En France, l’extrême droite en a fait un aspect très important de son programme, et on voit que cela perdure. En Algérie, c’est le parti au pouvoir qui s’en sert depuis soixante ans pour se légitimer. […]

[En France] il n’y a jamais eu de procès, du fait des nombreuses lois d’amnistie. Personne n’a été poursuivi en justice ou condamné à quoi que ce soit […]. Si on veut comparer avec la question de la Shoah, outre le travail historique, les procès – celui de Klaus Barbie ou de Maurice Papon – ont été de formidables accélérateurs, des moments de cristallisation, de dévoilement historique des réalités. L’absence de procès sur le conflit algérien est un véritable obstacle. […] La grande nouveauté, c’est que la nouvelle génération, en France comme en Algérie, veut se réapproprier une histoire qui ne soit ni fantasmée ni instrumentalisée. Emmanuel Macron, qui est né en 1977, appartient à cette génération. Il n’est pas dans une logique de culpabilité, de repentance, ou d’instrumentalisation. Son problème à lui, c’est de faire en sorte que l’on regarde cette histoire pour la dépasser et affronter les défis de l’avenir. Réconcilier les mémoires n’est d’ailleurs pas qu’un enjeu mémoriel, c’est une nécessité historique.

Interview de l’historien Benjamin Stora par Charles de Saint Sauveur, « Pour Macron, la réconciliation des mémoires est un enjeu primordial », Le Parisien, 24 janvier 2020.

1. Maurice Audin est un mathématicien français, anticolonialiste et membre du Parti communiste algérien. Arrêté lors de la bataille d’Alger, il a disparu et a été déclaré mort en 1957. L’historien Pierre Vidal-Naquet est convaincu qu’il a été tué pendant son interrogatoire.

Document 2La commémoration du 17 octobre 1961

ph © Philippe LOPEZ/AFP

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Le 17 octobre 2019, Anne Hidalgo (maire de Paris) inaugure la stèle en hommage aux victimes algériennes du 17 octobre 1961. Inscrit sur la plaque : « À la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 19611. » (photo publiée sur le site rtl.fr)

1. Le 17 octobre 1961, 20 000 Algériens, à l’appel du FLN, défient le couvre-feu qui leur est imposé à Paris. Selon les historiens, entre 50 et 120 Algériens sont tués, et leurs corps sont jetés dans la Seine par les forces de l’ordre. Maurice Papon est alors le préfet de police de Paris.

 

Les clés du sujet

Identifier les documents

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Comprendre la consigne

Les groupes mémoriels qui portent les souvenirs de la guerre d’Algérie sont multiples et opposent des visions différentes du conflit depuis 1962.

Dépasser ces divisions pour faire une histoire apaisée du conflit est une volonté des historiens. Plus récemment, elle est devenue une volonté politique.

Dégager la problématique et construire le plan

En quoi ces documents témoignent-ils des enjeux mémoriels actuels de la guerre d’Algérie ?

I. Des mémoires de la guerre d’Algérie encore conflictuelles

Quels sont les différents groupes mémoriels de la guerre d’Algérie en France ?

Quelle est la mémoire du conflit en Algérie ?

II. Une « guerre des mémoires » aux causes multiples

Quels sont les « lobbys » politiques évoqués par l’auteur du texte ?

Quelle a été la mémoire officielle véhiculée par les deux pays après 1962 ?

III. Aujourd’hui, une volonté d’apaiser les mémoires

Comment les travaux historiques peuvent-ils apaiser les conflits mémoriels ?

Quelles formes peut prendre aujourd’hui le « devoir de mémoire » ?

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] La guerre d’Algérie reste une plaie ouverte des deux côtés de la Méditerranée. [Présentation du sujet] Dans une interview accordée au Parisien le 24 janvier 2020, l’historien Benjamin Stora évoque ces « saignements de mémoire » (l. 3-4) et la nécessité actuelle d’apaiser les conflits mémoriels concernant ce conflit. Le second document soumis à notre étude est une photographie de la cérémonie d’inauguration d’une plaque commémorative en hommage aux victimes de la répression du 17 octobre 1961. Elle illustre la volonté de laisser une trace de toutes les souffrances de la guerre d’Algérie, quelles qu’en aient été les victimes. [Problématique] En quoi ces documents reflètent-ils les enjeux mémoriels actuels concernant la guerre d’Algérie ? [Annonce du plan] Nous verrons que si les mémoires du conflit sont encore multiples [I], leur opposition est ancienne et repose sur de multiples facteurs [II]. Aujourd’hui, le contexte politique est sans doute propice à une relecture plus apaisée de la guerre d’Algérie, du moins en France [III].

Le secret de fabrication

Dans une étude critique de documents, l’accroche a un caractère plus facultatif que dans une dissertation, une phrase courte suffit. Pour la problématique, vous pouvez reprendre la consigne sous forme de question. En revanche, soignez la présentation des documents.

I. Des mémoires encore conflictuelles

1. Des mémoires divisées en France

Dans cette interview, Benjamin Stora évoque de multiples « groupes porteurs » de mémoires (l. 5). « En France, les enfants d’immigrés algériens ou de harkis, les pieds-noirs, les très nombreux soldats partis là-bas » (l. 5-7). Leurs mémoires s’opposent.

Le secret de fabrication

Commencez si possible votre développement par une citation du texte qui présente de façon générale le problème dont il est question. Vous montrerez ainsi que vous êtes bien dans l’analyse d’un document et que vous n’allez pas vous contenter de restituer des connaissances.

En effet, les groupes mémoriels qui portent la nostalgie de l’Algérie française sont nombreux : les pieds-noirs, marqués par le traumatisme du rapatriement en 1962, les partisans de l’Algérie française (anciens militaires, anciens membres de l’OAS), les harkis, anciens supplétifs de l’armée française qui ont trouvé refuge en France, abandonnés par le pouvoir et rejeté de leur pays natal.

Les appelés du contingent sont ceux qui effectuaient leur service militaire en Algérie. Ils ont œuvré pour la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie afin d’obtenir des pensions d’anciens combattants. La majorité de ce groupe mémoriel milite pour une histoire plus apaisée de ce conflit.

2. Les mémoires algériennes

conseil

N’oubliez pas, autant que possible, de citer les deux documents dans chaque partie du devoir, à plusieurs reprises.

Les immigrés algériens de France et leurs enfants dénoncent les conséquences de la guerre en France : la montée du racisme et des discriminations. Ils sont sans aucun doute à l’origine des commémorations des répressions dont leurs parents ont été victimes comme celle du 17 octobre 1961 (document 2).

Les anciens combattants du FLN et les nationalistes véhiculent la mémoire d’une guerre de libération contre l’occupant français. Cette mémoire se confond avec la mémoire nationale, inscrite dans la Constitution de l’Algérie.

[Transition] Benjamin Stora évoque rapidement le « conflit mémoriel » (l. 3-7) en France et en Algérie, mais il insiste davantage sur les raisons de cette fracture des mémoires.

II. Une « guerre des mémoires » aux causes multiples

1. Un long silence

« Emmanuel Macron est le premier à aborder le problème globalement » (l. 8-9). En effet, avant lui, la mémoire officielle de la guerre d’Algérie ne concernait que le conflit lui-même et les personnes y ayant participé. Le temps de l’amnésie dure jusqu’en 1968. À partir de cette date, les mémoires évoluent : la jeunesse engagée à gauche remet en cause le passé colonial de la France et des historiens, comme Pierre Vidal-Naquet, évoquent pour la première fois la torture.

à noter

Dans Raison d’État, en 1972, Pierre Vidal-Naquet présente le cas de Maurice Audin comme l’évoque indirectement le paratexte du document 1.

Dans les années 1980, les mémoires s’éveillent et se durcissent : celle des jeunes générations issues de l’immigration algérienne qui dénoncent le racisme, celle des enfants de harkis qui luttent pour une reconnaissance officielle des souffrances de leurs parents (l. 31-33). En 1997, le procès de Maurice Papon, impliqué dans la répression du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962, réveille le besoin de vérité historique (document 2).

2. L’absence de justice

Si Maurice Papon a été jugé, ce n’est pas dans le cadre de la guerre d’Algérie mais pour sa participation à la collaboration et à la déportation des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale. « L’absence de procès sur le conflit algérien est un véritable obstacle » (l. 30-31) à l’écriture de l’histoire et à la réconciliation mémorielle. Aucun procès n’a permis « de dévoilement historique des réalités » (l. 29-30).

En effet, une série de lois d’amnistie est accordée entre 1962 (dans les accords d’Évian) et 1982, qu’il s’agisse des délits ou crimes commis par le FLN, l’OAS ou des militaires français. Il fallait alors de tourner vite la page « des événements » et du passé colonial de la France.

3. Des mémoires instrumentalisées à des fins politiques

Benjamin Stora affirme qu’en France l’extrême droite instrumentalise les conflits mémoriels (l. 20-22). Il sous-entend ici que le Rassemblement national défend la mémoire des nostalgiques de l’Algérie française. Ce groupe mémoriel obtient d’ailleurs en 2005 la reconnaissance officielle des souffrances des rapatriés, réveillant une guerre des mémoires entre la France et l’Algérie. En 2016, la responsabilité de la France dans le sort particulier des harkis est reconnue pour la première fois.

En Algérie, « c’est le parti au pouvoir qui s’en sert depuis soixante ans pour se légitimer » (l. 22-23). Il est vrai que la Constitution algérienne de 1963 impose une vision officielle de l’histoire, celle de plus d’un million de « martyrs ». Le pouvoir algérien est encore l’héritier de cette vision aujourd’hui.

Le secret de fabrication

N’hésitez pas à multiplier les citations du texte, en les intégrant dans votre argumentation et en les faisant immédiatement suivre de leur explicitation, comme ici. Vos connaissances éclairent alors les propos de l’auteur.

[Transition] Les conflits de mémoire, qui opposent des groupes en France mais aussi la France à l’Algérie, trouvent donc leurs origines dans l’histoire de la décolonisation, l’absence de justice et l’instrumentalisation politique qui existe encore de ce conflit. Une nouvelle génération d’hommes et de femmes veut dépasser ces oppositions pour construire une mémoire plus apaisée de la guerre d’Algérie.

III. Aujourd’hui, une volonté d’apaiser les mémoires

1. Grâce à une nouvelle génération d’hommes politiques

« Emmanuel Macron, qui est né en 1977 […] n’est pas dans une logique de culpabilité, de repentance, ou d’instrumentalisation. Son problème à lui, c’est de faire en sorte que l’on regarde cette histoire pour la dépasser » (l. 33-37). Par ces lignes, Benjamin Stora donne un éclairage sur la volonté du président de la République de faire des mémoires de la guerre d’Algérie une priorité historique mais aussi politique. Il est le premier président à être né après ce conflit, il n’en a été ni l’acteur (comme François Mitterrand et Jacques Chirac), ni le témoin (Nicolas Sarkozy et François Hollande).

à noter

Nicolas Sarkozy avait évoqué en 2007 à Alger « les fautes de la colonisation française » tandis qu’en 2016, François Hollande avait parlé des « souffrances infligées au peuple algérien ».

Emmanuel Macron va plus loin que ses prédécesseurs afin d’apaiser les relations franco-algériennes. Il utilise même le terme de « crimes contre l’humanité » pour évoquer la colonisation française, qui suscite une vive polémique. Il cherche à élargir la question de la guerre d’Algérie à celle de la colonisation dans son ensemble.

L’inauguration d’une plaque face à la Seine par la maire de Paris relève de la même volonté de vérité historique (document 2). Après le réveil mémoriel des années 1970, seules certaines mémoires du conflit ont été honorées (pieds-noirs, harkis). Cette plaque est sans ambiguïté sur les victimes et leur sort, même si le nombre de victimes est encore objet de débat. Elle s’inscrit dans un « devoir de mémoire » mais aussi d’histoire.

2. Des politiques qui s’appuient sur les travaux des historiens

Emmanuel Macron n’est pas un spécialiste de l’histoire de la guerre d’Algérie et de ses mémoires. Il s’appuie sur le travail des historiens « qui n’a jamais cessé […], a commencé très tôt, dès les années 1970 et 1980, et des deux côtés de la Méditerranée » (l. 1-3).

Benjamin Stora fait évidemment référence à ses travaux personnels mais aussi à ceux de Pierre Vidal-Naquet qui ont sans doute pesé dans la décision du président de « demander pardon » à la veuve de Maurice Audin mentionné dans le document 1 (l.13-16). Les historiens comme Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault, Mohammed Harbi et bien d’autres poursuivent leurs recherches car, comme l’indique Benjamin Stora, c’est une nécessité historique pour réconcilier les mémoires.

Conclusion

conseil

Attention dans ce sujet à ne pas donner votre avis. Vous devez rester neutre.

[Réponse à la problématique] Ces deux documents évoquent donc bien la complexité des enjeux mémoriels concernant la guerre d’Algérie. Après des décennies de mémoires parallèles et concurrentes, la volonté politique actuelle semble rejoindre celle des historiens, afin de mettre fin à une concurrence mémorielle qui suscitait tensions et incompréhensions. [Ouverture] Il n’en reste pas moins que ce processus de réconciliation sera encore long et difficile. L’absence de consensus sur le jour de commémoration de la fin de la guerre d’Algérie en est le parfait exemple.

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