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Les pratiques artistiques transforment-elles le monde ?

France métropolitaine • Juin 2022

Les pratiques artistiques transforment-elles le monde ?

dissertation

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Au xixe siècle, certains artistes revendiquent l’indépendance de l’art vis-à-vis des questions morales et politiques, en se regroupant autour de la formule « l’art pour l’art ». Mais le monde de l’art est-il vraiment une bulle isolée du réel ?

 
 

Les clés du sujet

Définir les termes du sujet

Pratiques artistiques

Le terme « art » (du latin ars, équivalent du grec tekhnè) désigne au sens large la capacité de produire un objet beau ou utile grâce à un savoir-faire, un métier, une habileté ou un talent.

Les « pratiques artistiques » désignent les processus créatifs propres à chacun des beaux-arts, visant la production de l’émotion esthétique que l’on peut appeler, selon une conception classique, le beau.

Traditionnellement, les beaux-arts sont le dessin, la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, la poésie et la danse.

Transformer

« Transformer » signifie faire passer d’une forme à une autre, donner un nouvel aspect à un objet.

Monde

De mundus, équivalent latin du grec kosmos qui signifie « ordre », le monde correspond d’abord à l’idée d’une totalité englobante.

Il peut désigner l’ensemble de la réalité, la société, l’univers ou encore les hommes qui l’habitent.

Dégager la problématique

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Construire un plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. L’art n’a pas vocation à changer le monde; L’art imite le monde.« L’art pour l’art » : la création artistique repose sur la gratuité.; Ligne 2 : 2. Les pratiques artistiques changent notre rapport au monde; L’art est le stimulant de la vie.Les pratiques artistiques élargissent le monde.; Ligne 3 : 3. Les pratiques artistiques créent notre monde; L’art crée la permanence d’un monde.Les pratiques artistiques constituent le monde.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Reformulation du sujet] L’art a-t-il le pouvoir d’agir sur le réel, et a-t-il vocation à cela ? On pourrait penser que si la pratique politique vise à modifier l’ordre actuel de la réalité, à changer la société, la pratique artistique, elle, serait tout au plus capable d’imaginer un monde qui n’existe pas. Mais l’œuvre d’art est-elle une fantaisie inconséquente ? [Définition des termes du sujet] La pratique artistique désigne la création d’œuvres d’art ou la performance par laquelle l’artiste vise à produire une émotion esthétique. Transformer le monde, c’est le faire passer d’une forme à une autre, qu’il désigne le monde social, l’humanité ou l’ensemble du réel. [Problématique] Le problème est donc de savoir si l’art a le pouvoir de changer nos vies, la société, voire l’humanité, ou si au contraire le monde de l’art est coupé du réel et impropre à le modifier.

1. L’art n’a pas vocation à changer le monde

A. L’art imite le monde

On pourrait d’abord penser que l’art ne change pas le monde, dans la mesure où il n’est pas fait pour cela. De fait, selon une conception classique de l’art, l’artiste crée du beau, vise à produire l’émotion esthétique en saisissant la réalité dans une forme qui ne fait que la redoubler. On peut donc dire que l’artiste imite le réel, mais reste impuissant à le modifier.

Dans La République, Platon explique ainsi que les artistes copient les objets produits par des artisans imitant eux-mêmes l’idée de l’objet qu’ils produisent. Aussi l’œuvre d’art est-elle éloignée au troisième degré de la réalité (c’est-à-dire de l’idée de la chose). Ignorant, manipulant des illusions, l’artiste ne sait rien de l’objet qu’il imite. Et si, pour Platon, il n’a pas sa place dans la cité idéale, c’est à la fois en raison de son ignorance et de l’absence de sens pratique qui en découle. Homère, dit Socrate, n’a jamais mené une armée à la guerre, et parle de guerres sans en avoir fait. Les artistes sont impuissants à changer l’ordre du monde, et, à ce titre, inutiles.

à noter

À Homère, Socrate oppose alors les figures de Solon, Charondas ou Lycurgue, tous trois hommes politiques ayant transformé les États, réformé les gouvernements et les institutions.

B. « L’art pour l’art »

Mais la pratique artistique est-elle impuissante à changer le monde en ce qu’elle est inutile ? Ou bien doit-elle revendiquer son autonomie vis-à-vis de tout discours moral ou politique qui tend, lui, à modifier nos actions ou la réalité sociale ?

« Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ? Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid. » En revendiquant dans la préface à Mademoiselle de Maupin l’inutilité, c’est-à-dire l’absence de portée pratique de l’art, Théophile Gautier affirme que la valeur de l’art tient précisément à ce qu’il ne prétend pas changer le monde réel. Au contraire, il veut nous en affranchir, pour constituer une sorte de contre-monde où se déploient librement les sensibilités.

[Transition] Pourtant, l’art constitue-t-il vraiment un monde parallèle, sans effet sur la réalité ?

2. Les pratiques artistiques changent notre rapport au monde

A. L’art est le stimulant de la vie

Faut-il revendiquer la gratuité de l’art, admettre qu’il n’a aucune raison d’être et aucun rapport au monde réel, sous prétexte de le libérer de tout asservissement au discours moral ou politique ? Dans Le Crépuscule des idoles, Nietzsche critique la formule « l’art pour l’art » : dire que l’art est inutile, qu’il n’a pas de raison d’être, qu’il est gratuit en somme, c’est ne pas voir que l’art est le « stimulant de la vie ». En d’autres termes, si l’œuvre d’art en effet ne « prêche » pas une morale, si elle n’a pas à porter un message ou une idéologie, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas de sens.

à noter

Nietzsche critique ici Schopenhauer, pour qui l’expérience esthétique est celle d’un monde qui est seulement représenté, donc contemplé, et non plus vécu dans les souffrances du besoin, du désir et de la Volonté.

Ce que nous trouvons dans une tragédie, pour Nietzsche, ce n’est ni la résignation ni une consolation, pas plus qu’une thérapie. Il s’agit du spectacle de notre propre existence tendue entre la cruauté et la douceur, et cette représentation nous renforce.

B. L’art élargit le monde

Si l’artiste comme le spectateur sont ainsi au cœur de la vie, on pourrait ajouter que pour eux le réel est plus vaste que le monde du quotidien. Comme l’explique Bergson, l’artiste, détaché du monde de l’utilité et de l’efficacité, perçoit pour percevoir, et non pour agir. Autrement dit, nos pratiques artistiques transforment notre rapport au réel dans la mesure où elles élargissent notre perception du monde, habituellement réduite par les nécessités de l’action. En effet, c’est pour agir que nous sélectionnons dans ce que nous voyons, et en conséquence nous ne voyons plus que ce qui nous est utile pour ce que nous avons à faire.

Ainsi, nos pratiques artistiques ne nous font pas évoluer dans un monde imaginaire et fantaisiste. Si elles nous sortent du monde restreint du quotidien, de l’action, c’est au contraire pour nous permettre de retrouver le monde dans toute son ampleur.

[Transition] Si les pratiques artistiques ont le pouvoir de transformer notre rapport à la vie et au monde, n’est-ce pas finalement parce qu’elles créent le monde, qui ne leur préexiste pas ?

3. Les pratiques artistiques créent notre monde

A. L’art crée la permanence d’un monde

De fait, le monde est-il vraiment l’ensemble de ce qui existe et nous englobe, ou bien ce que nous avons le pouvoir de faire surgir, dès lors que nous inventons et créons des œuvres ?

Comme le dit Arendt dans La Condition de l’homme moderne, « l’œuvre fournit un monde “artificiel” d’objets, nettement différent de tout milieu naturel. C’est à l’intérieur de ses frontières que se loge chacune des vies individuelles, alors que ce monde lui-même est destiné à leur survivre et à les transcender toutes. La condition humaine de l’œuvre est l’appartenance-au-monde. » Autrement dit, les pratiques par lesquelles nous créons un monde artificiel donnent une durée à nos vies limitées. Elles nous permettent de sortir de la cyclicité propre au monde naturel pour constituer un monde de la permanence qui s’étend au-delà des générations.

l’auteur

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Hannah Arendt (1906-1975).

Arendt place au cœur de sa réflexion sur la politique le concept de vita activa (vie active), qui regroupe le travail, l’œuvre et l’action.

B. Les pratiques artistiques constituent le monde

Parmi toutes les activités de la vita activa, l’œuvre correspond ainsi au pouvoir de former un « monde commun », dit Arendt. « Les hommes de parole et d’action […] ont besoin de l’artiste, du poète et de l’historiographe, du bâtisseur de monuments ou de l’écrivain, car sans eux le seul produit de leur activité, l’histoire qu’ils jouent et qu’ils racontent, ne survivrait pas un instant. » Autrement dit, en fabriquant un objet et particulièrement en créant une œuvre d’art, d’abord au sein de la sphère privée, puis en l’exposant publiquement, l’homme crée un monde dans lequel l’action et la parole peuvent alors prendre place.

Conclusion

Si nos pratiques artistiques transforment le monde, c’est donc moins au sens où le monde serait déjà là, et nous précéderait comme une chose informe qu’il s’agirait de rectifier ou de modifier, qu’au sens où l’artiste, comme le spectateur ou l’amateur, ont le pouvoir d’édifier un monde distinct de la nature où tout passe et se répète. On peut alors dire que nos pratiques artistiques donnent forme à notre monde commun.

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