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Les vertus du regard éloigné

Sujet d'écrit • Dissertation

Les vertus du regard éloigné

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • À partir de l'exemple des Lettres persanes, il s'agit de s'interroger sur l'efficacité du procédé du « regard persan » pour faire voir avec un œil neuf et dénoncer ce qu'on ne voit plus.

Les Lettres persanes donnent à lire la correspondance fictive entre des Persans séjournant à Paris et leurs amis restés en Perse. Pourquoi adopter ce procédé dit du regard éloigné ? En quoi celui-ci peut-il servir à défendre des idées ?

Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté, en vous appuyant sur votre lecture du roman Lettres persanes de Montesquieu et sur les autres textes étudiés dans le cadre du parcours « le regard éloigné ».

Les clés du sujet

Analyser le sujet

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Formuler la problématique

Pourquoi peut-il être judicieux, dans une œuvre argumentative, d'adopter le principe du regard éloigné ?

Construire le plan

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Corrigé Guidé

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Au xviiie siècle, la fascination pour les pays d'Orient amène les auteurs français à y faire référence dans leurs œuvres : ce sont les débuts de l'orientalisme.

[Explicitation du sujet] Les Lettres persanes, roman épistolaire du siècle des Lumières, ont fait date ; le principe du regard étranger qu'adopte Montesquieu s'y révèle ingénieux. Même si, dans sa préface, l'auteur affirme proposer au lecteur la traduction d'une correspondance persane authentique, celle-ci est pure invention. Quel est, pour lui, l'intérêt d'adopter le point de vue de Persans pour rapporter un voyage dans la France de la Régence ? En quoi, de manière plus générale, ce procédé du regard éloigné peut-il servir à défendre un point de vue ?

[Annonce du plan] Après avoir montré comment ce procédé permet de présenter une réalité sous un jour nouveau [I], nous nous attacherons à souligner sa portée argumentative [II].

I. Un regard neuf

m Le secret de fabrication

On montre ici qu'adopter le principe du regard éloigné est une source de plaisirs mais aussi une manière pour l'écrivain de se protéger.

1. L'étonnement du regard

Le regard persan permet de regarder de l'extérieur une société que le voyageur découvre pour la première fois. Ce regard va à l'essentiel : il se concentre sur ce qui le frappe d'emblée.

Ainsi Rica, dans les Lettres persanes, s'étonne-t-il du rythme de vie effréné des Parisiens ou de leurs maisons qui semblent conçues pour des « astrologues ». À travers un tel regard, le lecteur du xviiie siècle redécouvre ce qu'il n'apercevait plus.

Dans L'Ingénu (1767), le Huron, qui s'exprime avec franchise et spontanéité, formule son incompréhension devant des pratiques galantes dont il souligne ainsi l'étrangeté ou l'incohérence.

Montaigne utilise également ce procédé en évoquant dans « Des cannibales » (Essais) des Amérindiens du Brésil, rencontrés à Rouen en 1562, qui s'étonnent d'une société où « tant de grands hommes, portant barbes, forts et armés, [obéissent] à un enfant ».

2. Un regard moqueur

Le regard porté sur la réalité observée est souvent moqueur et suscite le rire.

Rica relate ainsi avec humour son propre étonnement devant l'étonnement des Parisiens, dont il attire fort l'attention : « Ah ah ! Monsieur est Persan ? C'est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? ». Sur un ton badin, il s'amuse des « caprices de la mode » en soulignant leur instabilité bouffonne.

Érasme, dans son Éloge de la Folie (1509), donne comiquement la parole à celle-ci ; elle fait son propre éloge et pointe une folie généralisée, chez les théologiens, les politiques, les grands, les poètes… L'éloge devient satire mordante d'un monde qui dysfonctionne.

3. Une extériorité qui innocente

On remarquera également que le regard éloigné place l'auteur qui l'adopte dans une posture qui l'innocente et assure son impunité.

Dans L'Ingénu (1767), Voltaire utilise ce même procédé pour se mettre à l'abri de la censure : le regard de ce Huron, plein de fougue et d'inexpérience, débarqué du Canada en 1689, permet de manière détournée, de formuler une critique religieuse et politique féroce contre les jésuites et le roi.

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Le xviiie siècle apprécie particulièrement le regard éloigné du naïf, qui fait rire et constitue, pour l'auteur, un paravent derrière lequel formuler des critiques.

Montesquieu se présente ainsi dans Lettres persanes comme non pas l'auteur mais un simple collecteur et traducteur de lettres authentiques. Le recours au regard du (faux) naïf protège l'écrivain.

II. Un dispositif critique, une invitation à penser autrement

m Le secret de fabrication

Le regard « neuf » est non seulement une invitation à prendre du recul sur ce qui nous entoure, mais, de façon plus offensive, un dispositif critique efficace pour dénoncer des pratiques ou des opinions et inciter à y renoncer.

1. Un regard qui confronte de manière dérangeante

Le regard éloigné met en évidence des passerelles troublantes entre les cultures ou les sociétés.

Dans les Lettres persanes, les mêmes menaces semblent peser sur l'Orient et l'Occident : le despotisme oriental offre une image à peine déformée des abus de pouvoir de la monarchie française.

Dans Les États et Empires de la Lune (1657), Cyrano de Bergerac crée un monde inversé, qui prend le contre-pied des valeurs et des mœurs traditionnelles, illustrant ainsi le relativisme des comportements humains et invitant à la tolérance.

Dans Micromégas (1752), Voltaire reprend la tradition du voyage interplanétaire pour relativiser la place de l'homme dans l'univers : la Terre n'est qu'une « petite fourmilière » peuplée de « mites » humaines qui « ne considèrent rien au-delà de [leurs] usages ». Prendre conscience de notre petitesse permettrait peut-être d'éviter les fanatismes et les guerres dérisoires et destructrices.

2. Un regard qui interroge nos pratiques, parfois inacceptables

Le regard éloigné provoque des questionnements sur la légitimité de certaines pratiques.

Le portrait des Français qu'esquissent les Persans n'est guère flatteur : ils sont légers, superficiels, agités, futiles, orgueilleux. La puissance du roi, « grand magicien », et les pratiques de l'Église sont raillées comme artificielles et arbitraires.

Dans le conte philosophique Candide (1759), le héros découvre les maux universels. La rencontre d'un esclave noir permet de dénoncer le commerce triangulaire, en cherchant ainsi à dessiller le regard du lecteur : « C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ».

Montesquieu feint, dans L'Esprit des lois, d'adopter le point de vue d'un esclavagiste qui justifierait cette pratique d'un autre âge. D'une ironie mordante, ce procédé invite à saisir l'absurdité et l'ignominie de l'esclavage : le discours s'effondre de lui-même.

Dans le Supplément au voyage de Bougainville (1773), Diderot imagine le discours d'adieu qu'un vieux Tahitien aurait tenu au navigateur : il s'agit d'un blâme violent du colonialisme, révélant toutes les contradictions des Européens.

3. Un regard qui invite à adopter une vision plus juste

En définitive, le procédé du regard éloigné invite à adopter une vision plus juste sur la société contemporaine du lecteur, et à retrouver l'esprit critique caractéristique de la philosophie des Lumières.

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Appuyez-vous sur des textes de genres variés (roman épistolaire, dialogue, conte philosophique, pamphlet…) pour enrichir l'argumentaire, en insistant sur leurs forces respectives.

Cet esprit critique est sollicité par le jeu des points de vue que permet la forme épistolaire des Lettres persanes : le lecteur y sonde les contradictions des personnages. Peu à peu, des valeurs universelles émergent : la raison, la justice, la modération, la vérité et la tolérance.

Diderot joue de cette même confrontation des regards dans Le Neveu de Rameau (1805, posth.) en créant un dialogue satirique entre « Lui », original, bohème excentrique et amoral, qui vit en parasite, et « Moi », son opposé. « Lui » pose un regard amusé et acéré sur les mœurs en général ; la pensée s'enrichit de la vision très singulière d'un personnage marginal, campant sur des positions où les frontières entre sagesse et folie sont floues.

Conclusion

[Synthèse] Ainsi, le regard éloigné présente des vertus vivifiantes pour le lecteur, sommé de s'étonner de ce qu'il n'interroge plus tant est puissante la force de l'habitude, d'en sourire parfois, et d'opérer un retour critique sur lui-même, sa société, sa culture. Le regard de l'autre, singulier, décalé, incisif, renvoie à soi avec une acuité particulière, ouvrant des questionnements multiples. La littérature devient l'école d'un regard qu'elle tâche d'ajuster.

[Ouverture] Sans doute n'est-ce pas là l'une des moindres vertus de la littérature ; le scientifique Descartes déclare ainsi dans son Discours de la méthode (1637) que « la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés [qui] ne nous livrent que les meilleures de leurs pensées. »

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