La justice et le droit
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La politique
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CORRIGE
Polynésie française
Que l'agresseur qui se met lui-même en état de guerre avec quelqu'un, et qui porte injustement atteinte aux droits d'autrui, ne puisse jamais acquérir, par une telle guerre injuste, aucun droit sur celui qu'il a vaincu, c'est ce dont tous conviendront aisément, à moins de penser que les voleurs et les pirates possèdent un droit à l'empire sur tous ceux dont leur force leur aura permis de se rendre maîtres, ou que les hommes sont liés par les promesses que la force illégitime leur a extorquées. Si un voleur fait irruption dans ma maison et si, me mettant le couteau sous la gorge, il me fait signer des actes par lesquels je lui transfère tous mes biens, cela lui donnera-t-il un titre valable ? Or, c'est précisément un titre de ce genre que le conquérant injuste tient de son épée lorsqu'il me force à me soumettre. L'injustice et le crime sont identiques, qu'ils soient commis par le détenteur d'une couronne ou par le dernier des paysans. Le titre du coupable et le nombre de ceux qui le suivent ne changent rien à la faute, sinon pour l'aggraver. La seule différence, c'est que les grands brigands punissent les petits pour les maintenir dans l'obéissance, tandis qu'eux-mêmes sont récompensés par les lauriers et les triomphes parce qu'ils sont trop puissants pour les faibles mains de la justice de ce monde, et que ce sont eux qui détiennent le pouvoir qui devrait châtier les coupables.
John Locke, Second traité du gouvernement civil, 1690.
Dégager la problématique du texte
- Être plus fort permet d'imposer sa volonté à autrui, mais le triomphe de la force seule peut-elle créer le droit ? Locke problématise ce sujet en montrant qu'il ne faut pas se laisser aveugler par les faits. L'idée de justice permet la problématisation. Elle met en cause la nature de la guerre. Vaincre ne suffit pas à donner un droit au vainqueur sur le vaincu car on doit considérer les mobiles et les motifs de l'affrontement.
- L'introduction de ce critère moral dans le champ politique met en cause une pensée superficielle qui jugerait du droit à partir du fait. Locke renverse cette perspective, ce qui le conduit, pour finir, à nous inviter à réfléchir sur la façon dont les puissants gouvernent et sur leurs rapports avec l'institution judiciaire.
Repérer la structure du texte et les procédés d'argumentation
- Le texte est constitué de trois parties. La première (jusqu'à « leur a extorquées ») expose la thèse de Locke. Dans un second temps, Locke illustre son idée par un exemple (jusqu'à « me force à me soumettre »). La dernière partie renforce la première, tout en expliquant la raison pour laquelle on peut ne pas comprendre la vérité de ce que Locke expose. Ce dernier argument contient une critique très vive des puissants.
- Le procédé principal d'argumentation consiste à illustrer les idées par des exemples facilement accessibles. Locke se donne ainsi le moyen d'être compris alors qu'un raisonnement sur de pures notions (le droit, la justice, la force) pourrait être moins bien saisi. On note également l'usage des italiques pour souligner l'importance de certaines idées. Ce procédé rhétorique est commode et facilite lui aussi la compréhension. Au milieu du texte, Locke adopte la première personne du singulier pour rendre son propos plus parlant.
Éviter les erreurs
Le texte ne présente pas de difficultés de compréhension mais il faut prendre soin d'expliquer les couples de notions comme la force et le droit, l'injuste et le juste.
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Les rapports de force structurent souvent les relations humaines et particulièrement en politique où la lutte pour l'acquisition et la conservation du pouvoir rend les hommes peu regardants sur les moyens qu'ils emploient.
Cette logique s'étend à l'histoire lorsqu'il s'agit des confrontations entre les chefs d'État. Doit-on considérer que la
Le sujet est d'autant plus délicat que les vainqueurs essayent de se faire passer pour des hommes justes. Ce texte a donc l'ambition de dénoncer une supercherie qui permet à des coups de force de dissimuler leur vraie nature.
1. La guerre injuste
A. Juger la guerre
Info
Commencez par l'examen critique de la notion pour problématiser le sujet.
Dès le début du texte, Locke critique la force au nom du droit par un examen de la notion de guerre. Il importe de connaître
La soif de dominer est un désir solidement ancré dans la nature humaine comme Platon le souligne déjà dans le Gorgias et la République. L'avidité de certains est
B. Le fait et le droit
Conseil
En montrant l'enchaînement des idées, vous ferez voir comment Locke refuse de déduire le droit sur le fait et fonde sa pensée sur l'idée de liberté.
Cette situation entraîne la conséquence suivante. Le vainqueur n'a « aucun droit sur celui qu'il a vaincu ». Locke est catégorique. Une guerre injuste ne pourra
En un deuxième sens, « illégitime » veut dire
Nous voyons donc que la
2. La valeur de l'exemple
A. Le voleur
Conseil
Montrez la nécessité de l'exemple : un auteur ne le choisit pas au hasard.
Locke écrit que « tous conviendront aisément » de ce qu'il soutient. Il faut croire toutefois que cet accord n'est pas si évident puisqu'il éprouve le besoin de renforcer ses idées en reprenant l'exemple du voleur et en employant la première personne du singulier pour donner à son propos un ton plus pathétique. Le voleur vient dans
En effet, la légalité se limite à la chose écrite. Je signe les actes par lesquels je me dépossède au profit du voleur. Mais les circonstances de l'acte font qu'il ne vaut rien puisque ma volonté est fortement contrainte. Je cède à la demande parce que j'ai peur et que je calcule mon intérêt. La perte de mes biens est moins grave que celle de ma vie mais la prudence n'est pas un mobile légitime. Je
B. Application de cet exemple au sujet
Attention
Il faut mettre en évidence la méthode de raisonnement suivie par Locke. Commenter l'exemple ne suffit pas.
Le cas du voleur était une mise en scène destinée à nous faire saisir celui du « conquérant injuste ». Locke procède donc par
Mais ceci est impossible sans l'accord d'autrui.
3. Critique du pouvoir injuste et de l'illusion qu'il entretient
A. Critique de l'imagination
Conseil
Concluez en montrant les conséquences de l'analogie et comment le texte explique l'illusion.
L'analogie permet à Locke de démasquer les artifices par lesquels un conquérant injuste fait croire qu'il est légitime. Locke pointe l'importance que « le titre du coupable et le nombre de ceux qui le suivent » ont sur la foule, alors que ce sont des critères superficiels et trompeurs. Le titre ne vaut rien, compte tenu de son origine. Quant au nombre, c'est une donnée simplement quantitative qui ne prouve pas la légitimité du pouvoir. Le conquérant injuste est un grand voleur et le voleur un petit conquérant injuste.
Comment expliquer que nous nous fassions abuser ? Il faut prendre en compte le rôle de
B. Le cercle du pouvoir
Locke conclut en attirant l'attention sur l'injustice propre aux puissants. Ceux-ci châtient les voleurs et c'est leur devoir. Les petits brigands sont punis pour les désordres qu'ils causent. Mais les gouvernants ne se conduisent pas mieux. Leur puissance est la plus étendue et ils l'emploient à s'assurer
Attention
Un texte doit être lu jusqu'au bout. Les dernières lignes signalent un problème.
Nous sommes alors placés dans une situation inquiétante exposée par les dernières lignes du texte. Les politiques ont le pouvoir de « châtier les coupables », ils devraient donc être capables de
Conclusion
Ce texte de Locke est une étape importante dans l'effort de la philosophie politique pour refuser de fonder le droit sur le fait. Rousseau dans Du contrat social soutiendra également que la force ne peut jamais créer le droit. Quant à la critique des aspects mystificateurs de l'imagination elle n'a rien perdu de son actualité.
Locke montre ici, et de façon exemplaire, qu'il est nécessaire d'avoir une conscience en éveil et de se servir de sa raison.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.