Annale corrigée Explication de texte

Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live

Corpus Corpus 1
Machiavel

La société

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La politique

27

Antilles, Guyane • Septembre 2014

explication de texte • Série S

> Expliquer le texte suivant :

Le hasard a donné naissance à toutes les espèces de gouvernement parmi les hommes. Les premiers habitants furent peu nombreux et vécurent, pendant un temps, dispersés, à la manière des bêtes. Le genre humain venant à s'accroître, on sentit le besoin de se réunir, de se défendre ; pour mieux parvenir à ce dernier but, on choisit le plus fort, le plus courageux ; les autres le mirent à leur tête, et promirent de lui obéir. À l'époque de leur réunion en société, on commença à connaître ce qui est bon et honnête, et à le distinguer d'avec ce qui est vicieux et mauvais. On vit un homme nuire à son bienfaiteur. Deux sentiments s'élevèrent à l'instant dans tous les cœurs : la haine pour l'ingrat, l'amour pour l'homme bienfaisant. On blâma le premier ; et on honora d'autant plus ceux qui, au contraire, se montrèrent reconnaissants que chacun d'eux sentît qu'il pouvait éprouver pareille injustice. Pour prévenir de tels maux, les hommes se déterminèrent à faire des lois, et à ordonner des punitions pour qui y contreviendrait. Telle fut l'origine de la justice.

Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (achevé en 1519, publié en 1532).

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Les clés du sujet

Dégager la problématique du texte

Quelle est l'origine de la justice ? Cette question est fondamentale car elle a une portée universelle. Hors, comment être sûr que la réponse que l'on donne ne soit pas particulière à un type de société et de gouvernement ? L'histoire des civilisations nous montre une grande diversité des coutumes et des lois. La conscience de cette difficulté conduit Machiavel à problématiser son sujet. Seule une description logique et progressive des besoins et des sentiments, que tous les hommes sont censés partager, est apte à nous donner une réponse vraisemblable. La problématique est donc la suivante : peut-on montrer que l'origine de la justice est identique dans toutes les sociétés en dépit de leurs nombreuses différences ?

Repérer la structure du texte et les procédés d'argumentation

  • Le texte dévoile l'origine de la justice en en faisant sa genèse. Il expose les étapes d'un développement qui a conduit nécessairement à l'apparition de l'idée de justice. Machiavel retrace la naissance des premières sociétés à leur stabilisation au moyen de lois.
  • Une première étape montre les hommes se réunissant pour subvenir à des besoins vitaux (l. 1 à 7).
  • Une deuxième étape montre la naissance de sentiments moraux (l. 7 à 13) à partir des sentiments innés d'amour et de haine, de louange et de blâme à l'égard de certaines conduites.
  • Les deux dernières lignes concluent le texte sur le sens des lois chargées de faire appliquer la justice.

Éviter les erreurs

Le texte ne présente pas de difficultés particulières mais l'erreur serait de prendre sa brièveté pour de la superficialité. Il faut être sensible à la progressivité des étapes qui conduisent à dévoiler l'origine de la justice.

Corrigé

Les titres en couleur servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

Info

L'introduction doit présenter la thèse et le problème qu'elle pose. Il faut citer le nom de l'auteur du texte.

Les hommes vivent dans des sociétés régies par différents types de gouvernement et de législation. Ceci peut conduire à estimer que la justice est une idée dont la nature varie selon les pays et les époques. Dans ce texte, Machiavel présente une démarche ambitieuse. Il entend dévoiler l'origine de la justice. Il s'agit donc de remonter au fondement commun à toutes les formes sociales. Cela est-il possible ? Machiavel soutient que la justice est née de la nécessité absolue de faire des lois pour empêcher les maux que les hommes peuvent se causer. Cette thèse affirme avoir une portée universelle. Quels sont ses présupposés ? Est-il possible de faire une histoire unique pour toutes les sociétés sans supprimer leurs différences ?

1. Naissance de la société

A. Le rôle du hasard

Dès la première ligne, Machiavel assigne une cause unique à « toutes les espèces de gouvernement ». Il s'agit du hasard. C'est dire que la création des sociétés n'a pas été le fruit d'une Providence divine.

Conseil

Montrez le caractère étonnant de cette thèse.

Dans ce cas, comment peut-on dire qu'il n'y a qu'une seule origine à la justice ? Le hasard aurait plutôt dû produire une variété de situations. La seule réponse possible est de se situer au niveau du genre humain. C'est un même hasard pour tous, ce qui explique que les mêmes effets vont suivre. Ainsi, Machiavel fait rapidement le tableau des premiers hommes. Ils étaient « peu nombreux » et vivaient « dispersés, à la manière des bêtes ». L'alignement sur la vie des animaux confirme l'aspect non religieux du propos. L'homme n'est pas à l'image de Dieu, c'est un être naturel qui a des besoins à satisfaire.

B. Deux besoins fondamentaux

L'accroissement de la population amène les hommes à se rencontrer. Ces rencontres auraient pu ne pas se produire si les hommes n'étaient pas parvenus à se multiplier. De ces premiers groupements vont naître deuxbesoins. Le premier concerne la vie commune. Les hommes ressentent le « besoin de se réunir » pour gagner en commodité de vie. Machiavel choisit cependant d'accentuer un deuxième besoin. Celui de se défendre.

Conseil

Expliquez les choix argumentatifs de l'auteur.

Cette préférence permet d'expliquer la naissance de l'autorité et de la relation de commandement et d'obéissance qui se concrétisera au final par les lois. D'entrée, la vie des sociétés est mise sous le signe de la menace. Il faut se préserver des animaux et des autres hommes. Dès lors, « le plus fort ou le plus courageux » est logiquement choisi pour diriger l'ensemble. Ainsi apparaissent deux relations essentielles. La coopération pour pouvoir bien vivre ensemble et surtout la domination d'un chef. Il faut qu'un ordre soit garanti pour que le groupe soit uni.

2 Les sentiments moraux

A. Apparition de jugements moraux

Le raisonnement de Machiavel se poursuit. La réunion des hommes a des conséquences inéluctables. Les conduites sont jugées et la morale fait son apparition sous forme de couples d'opposés : au « bon » et à l'« honnête » répondent le « vicieux » et le « mauvais ».

Attention !

Vous devez indiquer une difficulté. Ne suivez pas passivement le texte.

Quelle est l'origine de ces valeurs ? Machiavel l'indique d'une phrase : « on vit un homme nuire à son bienfaiteur ». C'est donc à partir de l'expérience de l'injustice que naquit le sens moral. Si tout avait été juste, il n'y aurait pas eu lieu de s'éveiller à la différence entre le bien et le mal mais la vision d'un homme trahi par celui à qui il avait fait du bien déclencha une réaction que Machiavel détaille. Le premier fut aimé, le second haï. Deux points sont à souligner. Ces sentiments apparurent immédiatement. Ils ne relèvent donc pas d'une réflexion intellectuelle. Il s'ensuit que la morale ne vient pas de la raison mais du cœur et Machiavel indique que cette réaction fut unanime : « tous les cœurs » furent soulevés par l'indignation envers l'ingrat qui nuit à son bienfaiteur.

B. Estime publique et intérêt personnel

Cette situation en appela une autre. La création de l'estime publique. La société est animée par une vie éthique, c'est-à-dire un système de normes qui qualifient les conduites. La grande majorité des hommes préféra être louée et jouir d'une bonne réputation. Le goût des honneurs est puissant car il conforte notre statut et donc notre pouvoir dans le groupe. L'existence d'un individu n'est effective qu'en tant qu'elle est reconnue par ses semblables.

Attention !

Ne laissez pas passer un élément de la phrase.

À ce stade, Machiavel apporte une précision capitale. L'honneur accordé à l'homme bienfaisant et trahi fut d'autant plus grand que chacun s'identifia avec la victime. La trahison nous apprend à nous méfier de la nature humaine. L'ingratitude, qui semble d'abord incroyable, est cependant réelle. Chacun s'imagina alors qu'il pourrait en souffrir. Le motif de la louange n'est donc pas désintéressé.

À la compassion s'ajoute la défiance qui nous pousse à voir dans l'autre un ennemi potentiel, un rival susceptible d'oublier jusqu'au bien qu'on lui a fait si son intérêt est en jeu. Il est donc indispensable que les mauvais penchants soient contenus par la peur d'un blâme général.

3. Loi et Justice. Achèvement de la démonstration

A. La nécessité des lois

La société a gagné en consistance. Les hommes forment une communauté unie par des valeurs éthiques qui ont pour fonction de normaliser les comportements. Cependant, les jugements moraux ne suffisent pas. On peut concevoir un homme indifférent à la honte publique. Il faut créer des lois pour que l'ordre soit mieux maintenu. Quel est le sens de cette différence ?

Conseil

Après voir résumé le sens du propos, montrez la raison de sa progression.

Le passage aux lois marque l'apparition d'un ordre juridique garanti par le pouvoir politique. Les hommes écrivent les règles d'après lesquelles ils veulent vivre et les organisent dans une constitution. Les lois obligent, autorisent ou interdisent. Leur invention est le signe d'une société qui a une conscience plus développée d'elle-même et qui ne veut plus vivre selon des coutumes transmises oralement. Une loi peut être abrogée ou modifiée.

B. Le sens de cette origine

Une phrase lapidaire indique le terme de la démarche : « Telle fut l'origine de la justice. » Ce point appelle des commentaires. La loi a une fonction organisatrice. Elle doit être un facteur de coopération. Elle encadre les actions de telle sorte que « le besoin de se réunir » soit satisfait. Elle règle les échanges et veille à ce que chacun reçoive la part qui lui est due. Aristote parle en ce dernier sens de justice distributive, à laquelle il donne une fonction essentiellement répressive. Son but est de sanctionner les manquements au droit et à l'honnêteté moyennant des lois qui fixent les peines et qu'un pouvoir – celui du dirigeant – fait appliquer. Ce texte est donc sous-tendu par une vision de la nature humaine. Les hommes ont un sens moral, mais ils sont surtout capables de se nuire au mépris du bien qu'ils ont reçu. Ils doivent craindre les sanctions. Nous en concluons que si les hommes étaient parfaitement moraux, les lois et donc la justice seraient inutiles.

Conclusion

L'analyse du texte a montré que Machiavel organise rigoureusement son propos. Si le hasard est le point de départ de tout, car les hommes auraient pu s'éteindre et ne pas former de sociétés, la création de celles-ci déclenche des processus qui ont tous la marque de la nécessité. Le propos de Machiavel s'élève des besoins matériels aux sentiments moraux et s'achève en faisant apparaître l'idée de justice. Cette histoire du genre humain est logique et l'absence de référence à la thèse d'une Providence montre que la justice est ici une norme dont la nature est exclusivement humaine et sociale.

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