Amérique du Nord 2024 • Dissertation
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Amérique du Nord, mai 2024
Dissertation
Mes forêts, un chant personnel ?
Intérêt du sujet • Ce sujet permet de réfléchir à la dimension lyrique et musicale de l’œuvre d’Hélène Dorion ainsi qu’à sa portée, intime et universelle.
Le recueil Mes forêts est-il seulement un chant personnel ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur le recueil d’Hélène Dorion au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé à cette œuvre et sur votre culture personnelle.
Les clés du sujet
Analyser le sujet
Formuler la problématique
La poésie d’Hélène Dorion n’est-elle que l’expression d’un lyrisme personnel ou fait-elle entendre d’autres voix ?
Construire le plan
1. Un « chant personnel » | Intéressez-vous aux marques du lyrisme dans le recueil Mes forêts. Montrez qu’Hélène Dorion module son chant en étudiant les différents rythmes et émotions de ses poèmes. |
2. Une œuvre à l’écoute des bruits du monde | Comment le recueil donne-t-il une voix aux éléments naturels ? Montrez que les bruits du monde sont également marqués par la dysharmonie et le vacarme. |
3. Une symphonie universelle | De quelle manière Hélène Dorion allie-t-elle l’intime et l’universel dans son recueil ? Appuyez-vous sur la structure du recueil et sur le rôle attribué à la poésie. Intéressez-vous aux poèmes qui constituent un chant d’espoir pour l’humanité. |
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Pour prolonger la lecture de son recueil Mes forêts (2021), la poétesse canadienne Hélène Dorion propose à ses lecteurs d’écouter les mélodies qui ont accompagné l’écriture de ses poèmes. [Explication du sujet] Ainsi, sa poésie est-elle intimement liée à la musique et au rythme. Pour autant, le recueil Mes forêts est-il seulement un chant personnel ? [Problématique] Si la poétesse exprime bien l’intime dans ses poèmes aux accents lyriques, ne fait-elle pas aussi entendre d’autres voix ? [Annonce du plan] Nous verrons que le recueil d’Hélène Dorion est bien l’expression de ce « chant personnel ». Cependant, il fait également entendre les bruits du monde extérieur pour composer une symphonie universelle.
I. Un « chant personnel »
1. Des poèmes lyriques
Dès le titre, le déterminant possessif marque le ton personnel des poèmes : Mes forêts. La première personne parcourt l’ensemble du recueil, du titre jusqu’à ses derniers mots : « vers moi-même » (p. 114). L’œuvre se présente donc comme une quête de soi, un chemin pour mieux se connaître : « je marche entre mes ombres/et ma quête de joie » (p. 76). La poétesse fait allusion à son enfance dans la dernière section du recueil, ce qui renforce cette dimension personnelle.
Plusieurs poèmes emploient une énonciation lyrique : « Le chemin qui monte vers toi » (p. 85) exprime le désir pour l’autre – que ce dernier soit l’être aimé, le lecteur ou une entité spirituelle.
Les forêts d’Hélène Dorion sont la métaphore de son intériorité. Elle donne à voir ses états d’âme par des images, comme ces « arbres abattus/au-dedans de soi » (p. 67) qui représentent un état de désolation intérieure. Ainsi, à la manière des romantiques comme Lamartine (« Le Lac ») ou Hugo (« Aux arbres »), la nature lui permet de représenter ses états d’âme, même si elle l’exprime sans les effusions qui caractérisent ces poètes du xixe siècle.
2. Les modulations du chant
Le chant d’Hélène Dorion varie au gré de ses émotions : de longueurs variables, les poèmes sont parfois très brefs, parfois plus amples. Les émotions sont diverses : de l’inquiétude à l’espoir, de l’élan vers l’autre à l’envie de se renfermer sur soi. L’œuvre est marquée par de nombreuses anaphores : « mes forêts sont », « Il fait un temps », « c’est le bruit du monde ». Comme des refrains, elles confèrent une musicalité particulière à l’expression de l’intime.
à noter
Tirant son nom de la lyre d’Orphée, poète mythologique, le lyrisme est lié à la musicalité, à la nature chantée par ce poète et à l’expression des sentiments personnels.
Le recueil est caractérisé par une recherche d’harmonie. Dans le troisième poème débutant par « Mes forêts », la poétesse emploie la métaphore : « Mes forêts sont des rivages/accordés à mes pas » (p. 51). Elle semble ainsi chercher l’accord, au sens musical, entre elle et le monde.
Le chant peut être rompu par des silences qui donnent un rythme à la parole poétique. Ils sont matérialisés par les blancs sur la page ou à l’intérieur d’un vers : « chute comme un écho » (p. 77). Les silences deviennent parfois le thème du poème : « ce qui se tait en moi/quand la forêt/cesse de rêver » (p. 28).
[Transition] Ainsi, la poésie d’Hélène Dorion peut être lue comme un chant personnel, exprimant musicalement les inflexions de son âme. Mais l’œuvre donne à entendre d’autres voix, en particulier celle des forêts.
II. Une œuvre à l’écoute des bruits du monde
1. Le chant du monde
La poétesse porte une véritable attention à la nature, sujet principal de ce recueil écrit face à la forêt dans laquelle elle vit. Hélène Dorion est à l’écoute du chant du monde : « j’écoute cette partition/du temps » (p. 14) ; « j’écoute un chant de vagues » (p. 21). Elle incite le lecteur à adopter la même attitude en s’adressant directement à lui par la répétition de l’impératif « écoute », dans la section « L’onde du chaos ».
La personnification des éléments naturels, qui semblent raconter une histoire, confère une dimension polyphonique au recueil. Hélène Dorion nous donne à entendre le « murmure » (p. 45) de la forêt. Dans la section « Une chute de galets », elle reprend en anaphore l’expression : « c’est le bruit du monde », pour signifier que ce bruit rythme nos vies et nous accompagne.
2. La dysharmonie et le vacarme
Le chant du monde n’est pas toujours placé sous le signe de l’harmonie : du « murmure » au « bruit », les sons entendus sont bien loin du chant mélodieux. Dans le recueil, les forêts « grincent » (p. 22), on entend « le bégaiement de l’histoire » (p. 48).
Le monde contemporain fait entendre sa cacophonie : le lexique du vacarme est très présent dans l’œuvre, associé aux écrans, aux réseaux sociaux ou aux sigles et chiffres utilisés « pour ne rien dire » (p. 67). Ce bruit s’oppose au chant personnel et harmonieux de la poétesse.
Le monde semble également pousser un cri d’alerte. La poésie d’Hélène Dorion relaie les préoccupations écologiques de poètes contemporains comme Sophie Loizeau ou Pierre Vinclair. Dans le poème « Les alertes du matin résonnent » (p. 65), la poétesse décrit sa crainte de l’avenir pour la planète : « du portable au jetable/le jardin où périt le monde/où l’on voudrait vivre ».
[Transition] L’œuvre d’Hélène Dorion est polyphonique. Outre la voix de la poétesse, les poèmes accueillent les bruits du monde dans leur diversité : harmonie, bruits, fracas ou cri. En chef d’orchestre, la poétesse va chercher à unir ces voix dans une symphonie universelle.
III. Une symphonie universelle
1. Une composition symphonique
Le recueil est structuré comme un ensemble symphonique par le retour de motifs musicaux, notamment de nombreuses anaphores. Les poèmes qui débutent par « Mes forêts sont » parcourent tout le recueil et lui donnent une unité. La longueur des poèmes va en s’amplifiant. Tout se passe comme si, après avoir convoqué les différents éléments de la forêt dans la première section, la poétesse les assemblait progressivement pour aboutir aux vastes poèmes de la section « Le bruissement du temps ».
Le recueil crée une chambre d’échos avec d’autres voix humaines. Chaque section débute par une épigraphe qui reprend les vers de poétesses contemporaines. Hélène Dorion mêle également des références aux cultures antiques (« Apollon ») et modernes (« Made in China »). Elle fait allusion à la culture occidentale, mais également à l’histoire des Amérindiens : « on a balayé leurs rituels ».
mot clé
Une épigraphe est une citation placée au début d’un livre ou d’un chapitre.
La poésie est le moyen de lier les éléments qui composent le recueil. Par sa capacité à créer des associations d’images ou de sons, elle rassemble ces voix hétéroclites.
2. Un chant d’espoir
Par l’emploi régulier des pronoms « on » et « nous », Hélène Dorion renforce la dimension collective de son chant qui dépasse ainsi la simple expression des sentiments personnels. Le lyrisme devient l’expression d’émotions partagées. Par exemple, le poème « Nous sommes debout » (p. 78) évoque une humanité forte qui tient bon malgré les désastres, et « prononce un commencement ». Certains poèmes proposent ainsi une voie pleine d’espoir.
À la fin du recueil, Hélène Dorion propose une traversée des forêts qui est l’image de la longue histoire de l’humanité. Ainsi, elle attribue un rôle à la poésie, celui de proposer une voie pour l’avenir : « un poème murmure/un chemin vaste et lumineux/qui donne sens/à ce qu’on appelle humanité » (p. 111).
Conclusion
[Synthèse] En définitive, la poésie d’Hélène Dorion relève bien du chant personnel : elle exprime les états d’âme de la poétesse. Mais d’autres voix, harmonieuses ou dissonantes, se font également entendre dans ce recueil polyphonique. La poésie permet à l’autrice d’exprimer l’ensemble de ces chants, en les unissant dans une symphonie universelle qui propose une autre voie possible à l’humanité : celle d’une attention plus accrue à soi-même, à l’autre et surtout à la nature. [Ouverture] À l’instar d’Hélène Dorion, d’autres poètes ont exploité le motif de l’arbre pour renouveler la voix poétique, comme François Cheng dans son recueil Double chant (1998).