Annale corrigée Explication de texte

Mill, La Nature

La nature

Mill, La Nature

Explication de texte

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Dans son essai La Nature (1874) devenu un classique de philosophie politique, l'Anglais J. S. Mill remet en question l'idée selon laquelle il faudrait « suivre la nature ». Il va ainsi à l'encontre de ce préjugé très répandu qui fait de la nature une norme. Quels sont ses arguments ?

 

Expliquez le texte suivant :

Le mot Nature a deux sens principaux : il désigne soit le système entier des choses, avec l'ensemble de leurs propriétés, soit les choses telles qu'elles seraient en l'absence d'intervention humaine.

Dans le premier sens, la doctrine selon laquelle l'homme doit suivre la nature est absurde, car l'homme ne peut rien faire d'autre que suivre la nature, puisque toutes ses actions reposent sur une ou plusieurs des lois physiques ou mentales de la nature et obéissent à ces lois.

Dans le second sens de ce mot, la doctrine selon laquelle l'homme doit suivre la nature ou, en d'autres termes, devrait prendre le cours spontané de la nature pour modèle de ses actions volontaires, est à la fois irrationnelle et immorale. Irrationnelle, parce que toute action humaine consiste à altérer le cours spontané de la nature, et toute action utile à l'améliorer. Immorale, parce que le cours des phénomènes naturels étant rempli de tous les événements qui, lorsqu'ils résultent de l'action humaine, méritent le plus d'inspirer la répulsion, quiconque s'efforcerait par ses actes d'imiter un tel cours naturel serait universellement considéré comme le plus méchant des hommes.

John Stuart Mill, La Nature, 1874, trad. Estiva Reus, La Découverte, 2003.

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

 

Les clés du sujet

Repérer le thème et la thèse

Il est commun d'affirmer que ce qui est naturel est bon et que l'homme devrait suivre la nature.

Mais, pour Mill, il est à la fois absurde, irrationnel et déraisonnable de recommander à l'homme de suivre la nature.

Dégager la problématique

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Repérer les étapes de l'argumentation

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. Les deux sens du mot « nature » (l. 1 à l. 3); Distinguez les deux sens du mot « nature » énoncés par Mill. En quoi s'opposent-ils ?; Ligne 2 : 2. L'homme est un être naturel (l. 4 à l. 7); Qu'est-ce qu'une tautologie ? Si la nature désigne le « système entier des choses », pourquoi est-il tautologique de demander à l'homme de la suivre ?; Ligne 3 : 3. La nature ne peut être une norme (l. 8 à l. 17); Le propre de l'homme n'est-il pas de transformer la nature ? Montrez comment Mill développe cette idée.La nature ne peut-elle pas se montrer cruelle en certaines circonstances ? Qu'en déduit Mill ?;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Le philosophe stoïcien Zénon de Citium, né au ive siècle avant notre ère, affirmait que l'homme devait vivre « conformément à la nature ». Faire de la nature une norme du comportement humain semble présenter l'avantage de fonder la morale sur un critère objectif, clairement lisible dans le réel. [Thèse et problématique] Mais Mill, dans cet extrait, s'attaque à cette idée en montrant qu'elle est faible, tant logiquement que moralement. En effet, « suivre la nature » suppose que l'homme soit extérieur à celle-ci. Or l'homme n'est-il pas un membre à part entière de la nature ? De plus, n'est-il pas illusoire de considérer la nature comme un modèle à suivre, dans la mesure où elle est capable du meilleur comme du pire ? [Annonce du plan] Dans le texte étudié, le philosophe commence par présenter les deux sens du mot « nature » (l. 1 à 3). Il explique ensuite que l'homme fait partie de la nature : il est donc inutile de lui demander de la suivre (l. 4 à 7). Il montre enfin que la nature n'est pas une norme et qu'il serait donc à la fois irrationnel et immoral de chercher à la suivre (l. 8 à 17).

1. Les deux sens du mot « nature »

Le conseil de méthode

Vous devez montrer que Mill présente deux définitions du terme « nature », l'une incluant l'homme et l'autre l'excluant.

A. L'ensemble des choses

Mill commence par dégager le premier sens du mot « nature », qui renvoie au « système entier des choses, avec l'ensemble de leurs propriétés ». Le mot « choses » englobant à la fois les êtres vivants et les corps inertes, la nature désigne ici la réalité dans son ensemble.

En tant qu'être vivant, l'homme fait partie de la nature ainsi entendue.

B. L'ensemble des choses non produites par l'homme

Dans sa seconde acception, la nature désigne « les choses telles qu'elles seraient en l'absence d'intervention humaine ». Elle correspond alors à ce qui n'est pas produit ou transformé par l'homme.

Elle s'oppose ici à l'artifice, conçu comme le produit d'une activité humaine, et à la culture, entendue comme le processus par lequel l'homme s'éloigne de l'animalité en transformant la nature.

à noter

Il est souvent utile, pour expliquer une notion (ici la nature), de l'opposer à ses antonymes (ici l'artifice, la culture).

[Transition] Après avoir clarifié les deux sens du terme « nature », Mill examine ce que vaut le précepte selon lequel l'homme doit suivre la nature.

2. L'homme est un être naturel

A. L'homme fait partie de la nature

Mill explique que si l'on conçoit la nature comme la réalité dans son ensemble, alors « la doctrine selon laquelle l'homme doit suivre la nature est absurde ». Il rejoint ici la conception de Spinoza qui dénonce, dans l'Éthique, la tendance de l'homme à croire qu'il peut échapper aux lois de la nature, alors qu'il est, comme toute chose, soumis à ces lois, tant au niveau de son corps que de son esprit.

B. Il n'a donc pas le choix de la suivre

Mill en déduit que le précepte qui recommande de suivre la nature est tautologique : l'homme faisant partie de la nature, il ne peut que la suivre.

Lui demander de suivre la nature, c'est supposer que cet acte repose sur une décision libre, alors que les actions suivent nécessairement la nature.

[Transition] Mill envisage ensuite le second sens du mot « nature », lequel ne permet pas plus de justifier le précepte qui commande de la suivre.

3. La nature ne peut être une norme

Le secret de fabrication

Observez comment progresse le raisonnement de Mill. Suivre la nature, dit Mill, est absurde logiquement (sur le plan théorique), mais également contraire à la survie de l'homme et à la morale (sur le plan pratique).

A. Une thèse polémique

à noter

Étudier la forme du raisonnement permet de mettre en lumière la logique du texte.

Mill envisage désormais la nature comme l'ensemble des choses non produites par l'homme. Il contredit le précepte qui commande de suivre la nature, au nom de sa conséquence à la fois « irrationnelle et immorale ».

Ce faisant, il vise des penseurs qui ont fait de l'obéissance à la nature le fondement de l'action humaine. Par exemple, dans la Lettre à Ménécée, ­Épicure préconise, pour être heureux, de privilégier les désirs naturels, comme le fait de se nourrir quand on a faim, et de renoncer aux désirs vains, comme la richesse, qui sont le fruit de la vie en société. Si cette conception a l'avantage de fonder la morale sur un critère objectif, Mill la juge problématique.

B. Suivre la nature : un précepte irrationnel

En effet, l'homme ne peut vivre qu'en modifiant son environnement naturel. C'est ce que montre le mythe de Prométhée : les hommes, naturellement démunis, ont besoin de la technique pour survivre.

Mill ajoute que la transformation de la nature est aussi la condition du progrès de l'homme en affirmant que « toute action utile » consiste à « améliorer » la nature. L'exemple des OGM, notamment, peut cependant nous conduire à nuancer son propos : l'homme pensait initialement, grâce à eux, « améliorer » la nature. Mais est-ce réellement le cas dès lors que les OGM risquent de nuire à la biodiversité ?

C. Suivre la nature : un précepte immoral

Mill dénonce ensuite l'illusion selon laquelle la nature ne produirait que de bonnes choses. En effet, la nature est à l'origine de catastrophes naturelles ou d'épidémies, qui sont perçues comme des malheurs par les hommes. Ainsi, prendre la nature comme norme de l'action humaine pourrait conduire à l'immoralité, car, comme Mill l'explique dans L'Utilitarisme, une action dont les conséquences nuisent au bonheur du plus grand nombre est immorale.

Le philosophe montre ici qu'on ne peut faire du principe selon lequel il faut suivre la nature le fondement de l'action morale, qu'à condition de spécifier ce qui, en elle, mérite d'être suivi. Or cela risque d'impliquer un retour de la subjectivité dans un fondement qui semblait objectif.

Conclusion

Mill montre dans ce texte qu'il est infondé de demander à l'homme de suivre la nature. Ce précepte est absurde, car l'homme, en tant qu'être naturel, ne décide pas de suivre la nature. Il est irrationnel, car l'homme a besoin de transformer la nature pour survivre. Enfin, il est immoral, car la nature ne produit pas que de bonnes choses. Les débats contemporains autour de la préservation de la nature font écho à la thèse de Mill : c'est bien parce que l'homme ne se contente pas de suivre la nature qu'il peut lui nuire, mais qu'il peut aussi se donner comme impératif de la respecter.

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