Individu, morale et société
roman
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Sujet d'écrit • Commentaire
Mme de Lafayette, La Princesse de Montpensier
Intérêt du sujet • La princesse de Montpensier, « femme fatale » du xvie siècle, est entourée de prétendants subjugués par sa beauté. Voici donc les tourments d'une femme tiraillée entre sa vertu et la passion amoureuse.
► Commentez ce texte de Madame de Lafayette, extrait de La Princesse de Montpensier.
DOCUMENT
Deuxième moitié du xvie siècle. Mlle de Mézières, amoureuse dans sa jeunesse du duc de Guise, a dû se résoudre à épouser le prince de Montpensier. Quelques années plus tard, le duc de Guise la rencontre par hasard : ses sentiments renaissent. Le duc d'Anjou tombe aussi sous le charme de la princesse. Tous se retrouvent alors à la cour royale, à Paris.
La beauté de la princesse de Montpensier effaça toutes celles qu'on avait admirées jusques alors ; elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne. Le duc d'Anjou ne changea pas en la revoyant les sentiments qu'il avait conçus pour elle à Champigny1, et prit un soin extrême de les lui faire connaître par toutes sortes de soins et de galanteries, se ménageant2 toutefois à ne lui en donner des témoignages trop éclatants, de peur de donner de la jalousie au prince son mari. Le duc de Guise acheva d'en3 devenir violemment amoureux et, voulant par plusieurs raisons tenir sa passion cachée, il se résolut de la déclarer d'abord4 à la princesse de Montpensier, pour s'épargner tous ces commencements qui font toujours naître le bruit et l'éclat5. Étant un jour chez la reine à une heure où il y avait très peu de monde, et la reine étant retirée dans son cabinet pour parler au cardinal de Lorraine, la princesse arriva.
Le duc se résolut de prendre ce moment pour lui parler, et, s'approchant d'elle : « Je vais vous surprendre, madame, lui dit-il, et vous déplaire en vous apprenant que j'ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois, et qu'elle est si fort augmentée, en vous revoyant, que votre sévérité, la haine de M. le prince de Montpensier et la concurrence du premier prince du royaume6 ne sauraient lui ôter un moment de sa violence7. Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaître par mes actions que par mes paroles, mais, madame, mes actions l'auraient apprise à d'autres aussi bien qu'à vous, et je veux que vous sachiez seule que je suis assez hardi pour vous adorer. » La princesse fut d'abord si surprise et si troublée de ce discours qu'elle ne songea pas à l'interrompre, mais ensuite, étant revenue à elle, et commençant à lui répondre, le prince de Montpensier entra. Le trouble et l'agitation étaient peints sur le visage de la princesse sa femme. La vue de son mari acheva de l'embarrasser, de sorte qu'elle lui en laissa plus entendre que le duc de Guise n'en venait de dire.
La reine sortit de son cabinet, et le duc se retira pour guérir la jalousie de ce prince. La princesse de Montpensier trouva le soir dans l'esprit de son mari tout le chagrin à quoi elle s'était attendue. Il s'emporta avec des violences épouvantables, et lui défendit de parler jamais au duc de Guise. Elle se retira bien triste dans son appartement, et bien occupée8 des aventures qui lui étaient arrivées ce jour-là.
Madame de Lafayette, La Princesse de Montpensier, 1662.
1. Champigny : endroit où le duc d'Anjou est tombé sous le charme de la princesse.
2. Se ménageant : faisant attention.
3. Acheva d'en : finit par.
4. D'abord : immédiatement.
5. Le bruit et l'éclat : le duc de Guise semble vouloir éviter tout ce qui, au début d'une relation amoureuse, est trop visible et fait naître des rumeurs.
6. Il s'agit du duc d'Anjou, frère du roi Charles ix.
7. Guise affirme que malgré tous les obstacles (l'indifférence affichée de la princesse, le mari, le rival), son amour pour la princesse est extrêmement fort.
8. Occupée : préoccupée par.
Les clés du sujet
Définir le texte
Construire le plan
La problématique est la suivante : comment cette scène de déclaration d'amour montre-t-elle la force des passions, mais aussi leurs dangers ?
Corrigé Guidé
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Présentation du contexte] Au xviie siècle, le goût littéraire désire davantage de brièveté et de mesure.
[Présentation du texte] Madame de Lafayette s'empare du genre de la nouvelle en écrivant La Princesse de Montpensier (1662), qui met en scène plusieurs personnages historiques du siècle précédent. La princesse est au centre d'une rivalité amoureuse : mariée à un prince jaloux, elle est courtisée par le duc d'Anjou, frère du roi, et par le duc de Guise, son amour de jeunesse.
[Problématique] Comment cette scène de déclaration d'amour montre-t-elle la force des passions, mais aussi leurs dangers ?
[Annonce du plan] Nous étudierons dans un premier temps les personnages comme objets de passions intenses [I] avant de montrer, dans un second temps, que ces passions sont associées à de multiples périls [II].
I. Des êtres objets de passions
► Le secret de fabrication
Il s'agit dans cette partie d'étudier en quoi cette scène montre l'omniprésence de passions fortes et incontrôlables, qui amènent les personnages – notamment le duc de Guise – à déclarer leur amour à la princesse de Montpensier, personnage d'une beauté hyperbolique.
1. Un personnage féminin idéalisé
La beauté de l'héroïne est décrite de manière superlative : elle « effaça toutes celles qu'on avait admirées jusques alors ». Madame de Lafayette idéalise la jeune femme et en fait un être d'exception.
L'héroïne allie beauté physique et vertu morale : « les charmes de son esprit et de sa personne ». Ses tourments en seront d'autant plus forts.
La beauté hyperbolique de la princesse a des effets merveilleux, à la manière des contes de fées : « elle attira les yeux de tout le monde ». L'expression globalisante souligne l'aspect magnétique et enchanteur du personnage, qui semble être au centre des préoccupations de la cour dès qu'elle arrive à Paris.
2. Des sentiments intenses et durables
Ce personnage d'exception provoque logiquement des sentiments d'exception. C'est ce que l'on retrouve dans l'adverbe qui qualifie l'amour très intense du duc de Guise : « [Il] acheva d'en devenir violemment amoureux ». Plus loin, la même violence caractérise le discours du duc.
La résurgence du passé dans le discours lyrique du duc montre la force des passions, qui ne peuvent jamais s'estomper : « j'ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois ». Ces passions rejaillissent avec puissance, comme le montre l'intensif : « elle est si fort augmentée, en vous revoyant ».
conseil
Pensez à observer les procédés syntaxiques et non uniquement les figures de style !
Le duc de Guise n'est pas seul à tomber sous le charme de la princesse. Le duc d'Anjou « ne changea pas en la revoyant les sentiments qu'il avait conçus pour elle à Champigny » : la négation et le plus-que-parfait montrent la constance des sentiments chez les prétendants de la princesse.
3. Des démonstrations d'amour
Au xvie siècle, l'amant doit faire preuve d'actions galantes vis-à-vis de la femme aimée. Ainsi le duc d'Anjou « prit un soin extrême de les lui faire connaître par toutes sortes de soins et de galanteries ». Le duc de Guise souligne l'importance de ce geste, même si c'est pour s'en dédire : « Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaître par mes actions que par mes paroles ».
Le duc de Guise choisit de déclarer son amour par la parole. La passion rend capable de braver tous les obstacles, comme le montre l'énumération des périls qu'il ose enjamber : « votre sévérité, la haine de M. le prince de Montpensier et la concurrence du premier prince du royaume ».
L'aveu amoureux est une manière d'exprimer une certaine forme de bravoure : « je suis assez hardi pour vous adorer ». Madame de Lafayette ici s'inscrit dans la tradition d'une certaine courtoisie médiévale.
[Transition] Ces passions amoureuses omniprésentes, qui semblent correspondre à un idéal, ont pourtant un aspect plus sombre.
II. Des passions dangereuses
► Le secret de fabrication
Dans cette partie, il faut montrer le côté sombre des passions amoureuses, qui sont irrémédiablement liées à la dissimulation, aux dangers de la jalousie et du mensonge, corollaires des normes morales de l'époque.
1. Le sceau du secret
L'amour est marqué par la nécessité de la discrétion, comme le sait le duc d'Anjou : « se ménageant toutefois à ne lui en donner des témoignages trop éclatants ». L'adverbe « trop » montre l'exigence d'une démonstration d'amour aussi mesurée que possible, afin de ne pas attirer les regards d'autrui.
Le duc de Guise maîtrise, lui aussi, l'art de la dissimulation, comme le montre la subordonnée finale : « voulant par plusieurs raisons tenir sa passion cachée […] pour s'épargner tous ces commencements qui font toujours naître le bruit et l'éclat ». L'entreprise de séduction est semée d'embûches, à commencer par la peur de la rumeur qui pourrait la mettre à mal.
Les circonstances des rencontres du duc de Guise avec la princesse sont donc savamment étudiées : « à une heure où il y avait très peu de monde, et la reine étant retirée dans son cabinet ». Les propositions circonstancielles montrent la volonté du duc de se soustraire aux regards : « Le duc se résolut de prendre ce moment pour lui parler ».
2. Le poids des apparences
La société aristocratique de l'époque est en effet marquée par l'importance des apparences. C'est ce qu'indique le système hypothétique du discours du duc de Guise : « mes actions l'auraient apprise à d'autres aussi bien qu'à vous ». Il faut dissimuler aux autres les passions que l'on éprouve, ainsi que le montre l'adjectif : « je veux que vous sachiez seule ».
Or le champ lexical du bouleversement sentimental montre la difficulté pour la princesse de maîtriser et de cacher ses émotions : « La princesse fut d'abord si surprise […] Le trouble et l'agitation étaient peints sur le visage de la princesse sa femme ».
La physionomie trahit les sentiments. La parole a moins de force que les apparences : « La vue de son mari acheva de l'embarrasser, de sorte qu'elle lui en laissa plus entendre que le duc de Guise n'en venait de dire. »
3. La violence de la jalousie
En préparant l'aveu du duc de Guise (« Je vais vous surprendre, madame, lui dit-il, et vous déplaire »), Madame de Lafayette souligne ici qu'il agresse la vertu.
à noter
Dans l'Ancien Régime, le mariage aristocratique n'a quasiment jamais de lien avec l'amour : il s'agit souvent d'une union politique ou patrimoniale.
Les personnages masculins sont conscients du danger de la jalousie que peut créer leur amour : le duc d'Anjou reste discret « de peur de donner de la jalousie au prince son mari » ; après l'entretien « le duc [de Guise] se retira pour guérir la jalousie de ce prince ». La princesse s'attend aussi au « chagrin » (mot très fort dans la langue classique) de son mari jaloux.
L'extrait se clôt sur une démonstration de violence de la part du mari jaloux contre son épouse. Le simple fait d'avoir reçu le discours du duc de Guise constitue pour lui une transgression inadmissible des normes morales de la société : « Il s'emporta avec des violences épouvantables, et lui défendit de parler jamais au duc de Guise. Elle se retira bien triste dans son appartement, et bien occupée des aventures qui lui étaient arrivées ce jour-là. » La princesse est présentée comme un personnage pathétique, victime d'une société oppressante.
Conclusion
[Synthèse] Cette scène présente ainsi des personnages traversés par des passions intenses et secrètes, qui mènent irrémédiablement au malheur à cause de leur inadéquation avec les normes sociales de l'époque.
[Ouverture] Cette tension entre passion et vertu rappelle le dilemme que vit la princesse de Clèves face à son amour pour le duc de Nemours dans une autre nouvelle de Madame de Lafayette.