Épreuve orale
Molière, Le Malade imaginaire
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Sujet d'oral • Explication & entretien
Molière, Le Malade imaginaire, acte I, scène 5
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication.
Document
En présence de sa servante Toinette, Argan vient d'annoncer à sa fille Angélique son intention ferme de la marier, non pas à son amant Cléante, mais à Thomas Diafoirus, fils d'un médecin.
Toinette. – Mon Dieu ! je vous connais, vous êtes bon naturellement.
Argan, avec emportement. – Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.
Toinette. – Doucement, Monsieur : vous ne songez pas que vous êtes malade.
Argan. – Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.
Toinette. – Et moi, je lui défends absolument d'en faire rien.
Argan. – Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de servante de parler de la sorte devant son maître ?
Toinette. – Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser1.
Argan, court après Toinette. – Ah ! insolente, il faut que je t'assomme.
Toinette, se sauve de lui. – Il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.
Argan, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main. – Viens, viens, que je t'apprenne à parler.
Toinette, courant, et se sauvant du côté de la chaise où n'est pas Argan. – Je m'intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.
Argan, de même. – Chienne !
Toinette, de même. – Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.
Argan, de même. – Pendarde2 !
Toinette, de même. – Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus.
Argan, de même. – Carogne3 !
Toinette, de même. – Et elle m'obéira plutôt qu'à vous.
Argan, s'arrêtant. – Angélique, tu ne veux pas m'arrêter cette coquine-là ?
Angélique. – Hé ! mon père, ne vous faites point malade.
Argan, à Angélique. – Si tu ne me l'arrêtes, je te donnerai ma malédiction.
Toinette, en s'en allant. – Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.
Argan, se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle. – Ah ! ah ! je n'en puis plus. Voilà pour me faire mourir.
Molière, Le Malade imaginaire, acte i, scène 5, 1673.
1. Redresser : corriger, remettre dans le droit chemin.
2. Pendarde : qui mérite d'être pendue.
3. Carogne : femme méchante, hargneuse.
2. question de grammaire. Analysez l'expression de la négation dans la phrase : « Non, je ne consentirai jamais à ce mariage. » (l. 25).
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Faites bien entendre le contraste entre les deux personnages : le ton d'Argan est celui d'un homme colérique ; Toinette, elle, est déterminée et moqueuse.
Faites sentir la vivacité comique du dialogue lorsque la course-poursuite autour du fauteuil démarre.
Situer le texte, en dégager l'enjeu
Il s'agit d'une scène de confrontation entre deux personnages : Argan et sa servante Toinette. Étudiez-en l'enjeu.
Observez qui l'emporte et mesurez la force comique de la scène.
2. La question de grammaire
Vous devez relever deux négations.
Comment est construite la seconde ? Quelle est sa portée ?
1. L'explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Dans Le Malade imaginaire, Molière associe les arts préférés du roi – musique, danse et théâtre – pour divertir son public, développant ainsi une nouvelle forme dramaturgique : la comédie-ballet.
[Situer le texte] Cette pièce s'inscrit dans une tradition comique bien établie : celle de la satire des médecins. Le spectateur découvre un Argan inféodé à ses soignants, au point de souhaiter prendre pour gendre un fils de médecin, au grand désespoir de sa fille Angélique.
[En dégager l'enjeu] Au milieu de l'acte i, la scène à étudier, particulièrement dynamique, met aux prises Argan et sa servante Toinette, dans un affrontement résolument comique.
Explication au fil du texte
Argan face à Toinette (l. 1-14)
Le passage s'ouvre sur un échange verbal particulièrement vif. Courtes, les répliques s'opposent deux à deux, selon un mouvement de contradiction permanent qui montre combien chaque protagoniste est campé sur ses positions : le « Je ne suis point bon » d'Argan réfute le postulat de Toinette « vous êtes bon naturellement » ; en affirmant « je lui défends absolument », Toinette s'oppose à la réplique précédente d'Argan, « Je lui commande absolument ».
Cette stichomythie suggère qu'aucun terrain d'entente n'est envisageable entre une Toinette soucieuse de l'intérêt d'Angélique, et un Argan sûr de son bon droit, arc-bouté sur ses prérogatives de père.
mot clé
La stichomythie est un dialogue vif composé de répliques courtes qui se répondent deux à deux.
Toinette mêle la déférence (« Monsieur ») et l'ironie : « Vous ne songez pas que vous êtes malade ». Elle n'a de cesse de railler l'hypocondrie de son maître. Impérieux, Argan s'appuie sur son autorité de père de famille pour légitimer ses choix : « je suis méchant quand je veux » ; « prendre le mari que je dis ».
Le ton se durcit progressivement face à une servante trop irrévérencieuse, qui dispute le pouvoir à son maître, dans des formules injonctives. Argan condamne, à travers des interrogations rhétoriques appuyées de termes péjoratifs, la révolte de Toinette : « quelle audace est-ce là, à une coquine de servante, de parler de la sorte devant son maître ? »
Toinette, au verbe haut, tient tête à son maître grâce à une formule proverbiale légitimant sa désobéissance : « Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser. »
Une course-poursuite ridicule (l. 15-31)
Devant l'insolence évidente de Toinette, Argan veut en découdre : s'ensuit une course-poursuite comique qui dynamise la scène, en renouant avec la veine de la farce. Les personnages usent d'accessoires pour parer aux attaques de l'adversaire, et ce dans la durée, comme l'indiquent les didascalies « se sauve de lui », « court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main ».
mot clé
La farce est une pièce courte qui suscite le rire grâce à des procédés comiques assez grossiers (situations, gestes, mots).
Retranchée derrière le fauteuil, Toinette continue de défier son maître avec fermeté, en recourant au lexique du devoir (« comme je dois ») et à grand renfort de négations totales (« Non, je ne consentirai jamais », « je ne veux point »).
En contrepoint, Argan s'épuise en injures, qui fusent en crescendo : « insolente », « chienne », « pendarde », « carogne ».
Sûre de son fait, Toinette dénonce le choix intéressé et égoïste d'un gendre médecin par l'hypocondriaque Argan, à travers un déterminant possessif accusateur : « Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus ». Plus étoffées et maîtrisées dans le ton, les répliques de Toinette prouvent sa supériorité sur un Argan hors de lui.
La défaite d'Argan (l. 32-40)
Mis en échec par la verve et la vélocité de Toinette, Argan sollicite comiquement l'aide de sa fille. Soucieuse de ménager son père sans pour autant l'aider, Angélique l'invite plutôt à se calmer et à abandonner son effort !
La scène se clôt sur un dernier échange amusant, reposant sur le chantage menaçant d'Argan (« Si tu ne me l'arrêtes, je te donnerai ma malédiction. »), rapidement annihilé par la répartie de Toinette, qui surenchérit ironiquement mais fermement : « Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit. » À travers le motif de la succession, Toinette confisque avec humour les prérogatives paternelles d'Argan.
La dernière didascalie, « se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle », scelle l'échec d'Argan, physiquement épuisé. Des interjections exclamatives associées à une négation soulignent sa déroute : « Ah ! ah ! je n'en puis plus. » L'hyperbole finale laisse éclater ses craintes d'hypocondriaque, arrachant un dernier sourire au spectateur : « Voilà pour me faire mourir. »
Conclusion
[Faire le bilan de l'explication] Argan est ainsi verbalement et physiquement contrarié dans ses projets matrimoniaux, dans une scène qui prend des accents de farce. Hauts en couleur, les personnages de l'hypocondriaque autoritaire et de la servante à forte tête suscitent un rire franc.
[Mettre le texte en perspective] La figure irrévérencieuse de Toinette rappelle d'autres personnages de domestiques qui osent tenir tête à leur maître : Dorine dans Le Tartuffe de Molière (1669) ou plus tard Figaro dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais (1784).
2. La question de grammaire
« Non, je ne consentirai jamais à ce mariage. »
On relève dans cette phrase deux négations grammaticales différentes, qui se renforcent l'une l'autre, avec une forte valeur polémique.
L'adverbe « Non » ouvre la phrase : il exprime l'opposition franche de Toinette à la proposition de son maître.
La locution adverbiale « ne… jamais » encadre le verbe « consentirai » : il s'agit d'une négation partielle qui porte sur le temps, et qui rend absolument définitif le refus de Toinette.
Des questions pour l'entretien
Lors de l'entretien, vous devrez présenter une autre œuvre que vous avez lue au cours de l'année. L'examinateur introduira l'échange et peut vous poser quelques questions sous forme de relances. Les questions ci-dessous ont été conçues à titre d'exemples.
1 Sur votre dossier est mentionnée la lecture cursive d'une autre pièce de théâtre : Un fil à la patte de Feydeau (1894). En quoi cette pièce porte-t-elle bien son titre ?
2 Pouvez-vous expliquer ce qu'est un vaudeville ?
3 Selon vous, peut-on se contenter de lire une œuvre comme celle-ci ? Quels éléments le spectacle ajoute-t-il au texte ?
4 Pourquoi cette pièce a-t-elle sa place dans le parcours « Spectacle et comédie » ?