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Molière, Le Malade imaginaire, acte III, scène 12

Sujet d'oral • Explication & entretien

Molière, Le Malade imaginaire, acte III, scène 12

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication.

Document 

Toinette s'écrie. – Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident1 !

Béline. – Qu'est-ce, Toinette ?

Toinette. – Ah, Madame !

Béline. – Qu'y a-t-il ?

Toinette. – Votre mari est mort.

Béline. – Mon mari est mort ?

Toinette. – Hélas oui. Le pauvre défunt est trépassé2.

Béline. – Assurément ?

Toinette. – Assurément. Personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer3 entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.

Béline. – Le Ciel en soit loué. Me voilà délivrée d'un grand fardeau4. Que tu es sotte, Toinette, de t'affliger de cette mort !

Toinette. – Je pensais, Madame, qu'il fallût pleurer.

Béline. – Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement, ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.

Toinette. – Voilà une belle oraison funèbre5.

Béline. – Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu'en me servant ta récompense est sûre. Puisque par un bonheur personne n'est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu'à ce que j'aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l'argent, dont je veux me saisir, et il n'est pas juste que j'aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clefs.

Arganse levant brusquement. – Doucement.

Bélinesurprise et épouvantée. – Ahi !

Argan. – Oui, Madame ma femme, c'est ainsi que vous m'aimez ?

Toinette. – Ah, ah ! le défunt n'est pas mort.

Argan, à Béline, qui sort. – Je suis bien aise de voir votre amitié, et d'avoir entendu le beau panégyrique6 que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur qui me rendra sage à l'avenir, et qui m'empêchera de faire bien des choses.

Molière, Le Malade imaginaire, acte III, scène 12, 1673.

1. Accident : événement imprévu.

2. Trépassé : mort.

3. Passer : mourir.

4. Fardeau : poids.

5. Oraison funèbre : discours qui fait le portrait valorisant d'un mort.

6. Panégyrique : discours élogieux.

2. question de grammaire. Analysez la construction de la phrase : « Puisque, par un bonheur […] mon affaire » (l. 25 à 27).

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

La scène convoque une riche palette d'émotions : donnez à entendre la douleur feinte de Toinette, la froideur de Béline, son exaltation pleine de colère et d'esprit de revanche, l'ironie d'Argan quand il « ressuscite ».

Faites preuve de dynamisme : les répliques, surtout au début, s'enchaînent à un rythme soutenu qui doit tenir en haleine votre auditeur !

Situer le texte, en dégager l'enjeu

Après avoir rappelé la situation, analysez la ruse imaginée par Toinette et Argan, et les réactions successives de Béline.

Soulignez l'importance de ce passage dans l'intrigue : il s'agit d'une scène de dévoilement, grâce à un subterfuge qui précipite le dénouement.

Soyez attentif à la progression de la scène : Toinette passe du désespoir feint à l'ironie cinglante.

2. La question de grammaire

Identifiez d'abord les verbes conjugués : il y en a autant que de propositions.

Puis observez comment les propositions s'articulent : sont-elles juxtaposées, coordonnées, subordonnées ?

1. L'explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Dans Le Malade imaginaire, Molière, s'inspirant d'une tradition théâtrale déjà ancienne, fait la satire de la médecine de son époque. Obnubilé par une santé qu'il pense fragile, Argan – le personnage principal de la pièce – veut absolument marier Angélique, fille d'un premier mariage, à un médecin et se laisse abuser par sa seconde épouse, Béline, qui obtient d'être sa seule héritière aux dépens d'Angélique.

[Situer le texte] Cette scène du dernier acte précipite le dénouement : Toinette, servante avisée, invite Argan à simuler la mort pour percer à jour Béline.

[En dégager l'enjeu] À l'issue de cette scène, véritable comédie dans la comédie, Argan ouvre enfin les yeux sur la réalité qui l'entoure.

Explication au fil du texte

La comédie de la mort (l.1-12)

La scène s'ouvre sur une série d'exclamations dramatiques : « Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! ». Les interjections soulignent l'exagération de cette comédie du désespoir que Toinette joue sous les regards amusés des spectateurs, complices de sa ruse.

Quatre courtes questions s'enchaînent sur un rythme vif pour manifester la surprise de Béline : « Qu'est-ce, Toinette ? […] Qu'y a-t-il ? ». Perplexe, Béline reprend en écho la révélation de Toinette (« Votre mari est mort » / « Mon mari est mort ? ») et se contente dans un premier temps de vérifier l'information avec réserve, presque froideur.

En bonne actrice, la servante multiplie par contraste les marques d'affliction (interjections et exclamations pour marquer son abattement) : « Hélas ! oui. » La tournure pléonastique « Le pauvre défunt est trépassé » prête à sourire.

des points en +

Un pléonasme est la répétition dans un même énoncé de mots ayant le même sens. Les pléonasmes de Toinette relèvent du comique de mots.

Toinette renforce son propos en présentant le corps étendu d'Argan – vision amusante pour un public dans la connivence : le maître joue lui aussi la comédie.

La joie méchante de Béline (l. 13-30)

Assurée d'être enfin veuve, Béline tombe le masque. Elle quitte brutalement le rôle de femme attentionnée qu'elle jouait depuis le début de la pièce, et clame son soulagement à travers des exclamations appuyées : « Le ciel en soit loué » joue en écho (comique pour l'auditoire) à la formule inaugurale de Toinette : « Ah, mon Dieu ! »

La réplique de la servante, au subjonctif imparfait, souligne combien l'attitude de Béline est peu conforme aux usages : « Je pensais, madame, qu'il fallût pleurer ». Loin d'être éplorée, Béline brosse une description accablante (mais aussi en partie exacte) d'un mari déplaisant moralement et répugnant physiquement : « Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre […] ». Le spectateur sourit de l'énumération cinglante des défauts d'un Argan qu'on devine médusé : au lieu d'être pleuré, il entend sa femme lui jeter à la figure ses quatre vérités !

Toinette ironise sur ce portrait désastreux : « Voici une belle oraison funèbre ! », tandis que Béline, sournoise et pragmatique, révèle ses véritables intentions – sans supposer que son mari est là, bien vivant, à en saisir le moindre détail : elle entend voler Argan et faire de Toinette une alliée ! Elle s'empresse de tirer profit d'une situation manifestement providentielle.

Le réveil d'Argan : Béline démasquée (l. 31-38)

C'en est trop pour Argan, qui intervient à la fin de la scène pour faire éclater au grand jour la supercherie. Molière joue sur un comique de situation savoureux, souligné par des mouvements inattendus (didascalies « se levant brusquement », « surprise et épouvantée ») et par la formule paradoxale, pleine d'humour, de Toinette qui commente la (fausse) résurrection : « Le défunt n'est pas mort ! » en écho au « pauvre défunt […] trépassé ».

Le supposé mort se relève et c'est à son tour de se répandre en sarcasmes en accablant une femme fausse et opportuniste : l'injonction « Doucement ! », suivie d'une question rhétorique, condamne le double jeu de Béline : « Madame ma femme, c'est ainsi que vous m'aimez ? »

des points en +

Dans Tartuffe également, un stratagème, dont le public est complice, permet de démasquer l'hypocrite.

L'extrait s'achève sur une réplique ironique (« beau panégyrique ») qui pousse Béline, confondue, à se retirer de scène, et du jeu : la ruse a porté ses fruits ; la vérité éclate.

Conclusion

[Faire le bilan de l'explication] Double jeu, déguisement, effet de surprise, comique de caractère et de situation, ironie piquante : tout est fait pour animer une scène particulièrement réjouissante. Elle se clôt sur la condamnation sans appel de l'opportuniste Béline qui, au même titre que les médecins, cherchait à profiter d'un Argan bien naïf et vulnérable.

[Mettre le texte en perspective] La comédie touche à son terme : Argan revient à l'essentiel, il va bientôt découvrir l'attachement sincère de sa fille, qui épousera l'homme qu'elle aime, tandis que les autres comparses l'inviteront, à défaut d'avoir pour gendre un fils de médecin, à se faire médecin lui-même.

2. La question de grammaire

« [Puisque, par un bonheur, personne n'  est  encore  averti  de la chose],  ­portons -le dans son lit, et  tenons  cette mort cachée, [jusqu'à ce que j' aie fait  mon affaire.] »

Cette phrase comporte quatre verbes conjugués (encadrés) ; il s'agit donc d'une phrase complexe constituée de quatre propositions.

Les deux propositions principales (soulignées) sont coordonnées par la conjonction de coordination « et ».

Deux propositions subordonnées circonstancielles (entre crochets) encadrent la phrase : l'une, de cause, est introduite par la conjonction « puisque » ; l'autre, exprimant le temps, est introduite par la locution conjonctive « jusqu'à ce que ».

Ces subordonnées soulignent clairement l'opportunisme méthodique de Béline.

Des questions pour l'entretien

Lors de l'entretien, vous devrez présenter une autre œuvre que vous avez lue au cours de l'année. L'examinateur introduira l'échange et peut vous poser des questions sous forme de relances. Les questions ci-dessous ont été conçues à titre d'exemples.

1 Sur votre dossier est mentionnée la lecture cursive d'une autre pièce de théâtre : Ubu roi d'Alfred Jarry. En quoi cette pièce se rattache-t-elle au genre de la comédie ?

2 Selon vous, peut-on se contenter de lire une œuvre comme celle-ci ? Quels éléments la représentation ajoute-t-elle au texte ?

3 Des passages vous ont-ils particulièrement marqué(e) ?

4 Pourquoi cette pièce a-t-elle sa place dans le parcours « Spectacle et comédie » ?

 

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