France métropolitaine • Septembre 2021
Sprint final
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France métropolitaine • Septembre 2021
Mon cher amour…
Intérêt du sujet • Les documents ont pour thème les lettres d’amour. Mais c’est moins leur contenu que les réactions qu’elles suscitent qui sont au cœur du sujet.
Document ATexte littéraire
Ariane et Solal sont tombés follement amoureux. Souvent éloignés l’un de l’autre, ils s’écrivent.
Trois fois dans la journée, bien avant l’arrivée du courrier, elle était sur la route à attendre. Lorsqu’il n’y avait pas de lettre de l’absent, elle faisait au facteur un sourire aimable, la mort dans l’âme. Lorsqu’il y avait une lettre, elle l’ouvrait tout de suite, la balayait du regard. Une lecture superficielle, du bout des yeux. Elle s’empêchait d’en prendre vraiment connaissance, ne voulait pas s’en pénétrer. Il s’agissait seulement de s’assurer qu’il n’y avait pas de catastrophe, qu’il n’était pas malade, que son retour à Genève n’était pas retardé. La lecture pour de vrai viendrait plus tard, à la maison. Rassurée, elle courait vers la villa et la vraie lecture, […] courait et s’empêchait de crier son bonheur. Ma chérie, murmurait-elle à la lettre ou à elle-même.
Dans sa chambre, l’habituel cérémonial. Porte fermée à clé, volets fermés, rideaux tirés, boules de cire pour supprimer les bruits du dehors, tous les bruits de non-amour. La lampe de chevet allumée, elle s’étendait sur le lit, arrangeait l’oreiller. Non, ne pas lire encore, faire durer le plaisir. Voir un peu l’enveloppe d’abord. Belle enveloppe solide, sans l’affreux doublage intérieur. Très bien. Et il avait collé le timbre soigneusement, pas sens dessus dessous, tout droit, juste au bon endroit, avec amour, voilà. Oui, parfaitement, c’était une preuve d’amour. Elle regardait la lettre de loin, sans la lire. Ainsi, lorsqu’elle était une petite fille, elle considérait le biscuit Petit-Beurre avant de le manger. Non, ne pas lire, attendre encore. Elle est à ma disposition, mais il faut que je meure d’envie de la lire. Regardons un peu l’adresse. […] Maintenant, regardons un peu le papier, mais du côté pas écrit. Papier très beau, japon1 peut-être. Non, le papier ne sent rien. Il sent la netteté, la propreté absolue, un papier viril, voilà.
Soudain, elle n’en pouvait plus. C’était alors une lecture minutieuse et lente, une étude de la lettre, avec des arrêts pour méditer, pour se représenter, les yeux fermés, et sur les lèvres un sourire un peu idiot, un peu divin. Afin de mettre en valeur des mots plus tendres ou plus ardents, elle recouvrait parfois la feuille de ses deux mains, de manière que seule la phrase merveilleuse restât visible. Elle s’hypnotisait sur cette phrase. Pour mieux la sentir, elle la déclamait, ou encore, prenant une glace à la main, se la confiait à mi-voix, et s’il lui écrivait qu’il était triste sans elle, elle était contente, elle riait. Il est triste, il est triste, chic ! s’écriait-elle, et elle relisait la lettre, la relisait tant de fois qu’elle ne la comprenait plus et que les mots perdaient leur sens.
Albert Cohen, Belle du Seigneur, 1968.
© Éditions Gallimard.
1. Japon : papier blanc, fin, soyeux et satiné.
Document BJean Raoux, La Liseuse, fin du xviie siècle
ph © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/Tony Querrec
Travail sur le texte littéraire et sur l’image 50 points • ⏱ 1 h 10
Les réponses doivent être entièrement rédigées.
Grammaire et compétences linguistiques
▶ 1. Ligne 21 : « Elle regardait la lettre [de loin], [sans la lire]. »
a) Quelle est la fonction grammaticale des groupes en caractères gras ? (2 points)
b) Indiquez deux manipulations qui vous ont permis d’identifier leur fonction. (2 points)
▶ 2. Qui parle dans les phrases des lignes 23 à 27 ? Relevez deux marques du discours direct. Pourquoi cette manière d’insérer du discours direct peut-elle surprendre ? (4 points)
▶ 3. « Elle s’hypnotisait sur cette phrase. Pour mieux la sentir, elle la déclamait, ou encore, prenant une glace à la main, se la confiait à mi-voix, et s’il lui écrivait qu’il était triste sans elle, elle était contente » (l. 33 à 36).
Réécrivez ce passage en remplaçant « Elle » par « Je ». Effectuez toutes les modifications nécessaires. (10 points)
Compréhension et compétences d’interprétation
▶ 4. Quelles sont les étapes que suit Ariane dans la découverte de la lettre ? (6 points)
▶ 5. Pourquoi, selon vous, l’auteur utilise-t-il à plusieurs reprises le discours direct ? Vous donnerez au moins deux raisons en les justifiant. (3 points)
▶ 6. a) Quel souvenir d’enfance surgit dans le deuxième paragraphe ? (1 point)
b) Quel lien Ariane établit-elle entre ce souvenir et son attitude face à la lettre ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte. (4 points)
▶ 7. Comment comprenez-vous « Elle s’hypnotisait sur cette phrase » (l. 33-34) ? Vous répondrez en prenant appui sur les réactions d’Ariane à la lecture de la lettre dans le dernier paragraphe. (6 points)
▶ 8. Expliquez quel rôle joue la lettre dans cette relation amoureuse. Pourquoi prend-elle une telle importance ? (6 points)
▶ 9. Le tableau correspond-il à l’image que vous vous faites d’Ariane lisant la lettre ? Justifiez votre réponse en prenant appui sur le tableau et sur le texte. (6 points)
Dictée 10 points • ⏱ 20 min
Le nom de l’auteur, le titre de l’œuvre et la date sont écrits au tableau.
Albert Cohen
Belle du Seigneur, 1968.
© Éditions Gallimard
Parfois, le matin, elle était absorbée par quelque tâche solitaire, occupée à cueillir des champignons ou des framboises, ou à coudre, ou à lire un livre de philosophie qui l’ennuyait (mais il fallait se cultiver pour lui), ou à lire avec honte et intérêt le courrier du cœur ou l’horoscope d’un hebdomadaire féminin. Alors elle s’entendait tout à coup murmurer deux mots, sans l’avoir voulu, sans avoir pensé à lui : mon amour. Vous voyez, mon chéri, disait-elle alors à l’absent, même quand je ne pense pas à vous, en moi ça pense à vous. Ensuite, elle rentrait essayer des robes pour décider de laquelle elle mettrait le soir, et alors elle se regardait dans la glace, se régalait d’être regardée par lui le soir.
Rédaction 40 points • ⏱ 1 h 30
Vous traiterez au choix l’un des sujets suivants.
Sujet d’imagination
Solal se prépare à écrire une lettre d’amour à Ariane. Racontez ce moment.
Vous rendrez compte des différentes étapes de la rédaction de la lettre (préparatifs, réflexions, rédaction, expédition) ainsi que de ses pensées, de ses émotions, de ses hésitations au moment de l’écriture.
Sujet de réflexion
Pourquoi l’écriture est-elle un moyen privilégié pour dire l’amour ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé, en vous appuyant notamment sur la lecture d’œuvres littéraires que vous avez pu faire.
Les clés du sujet
Analyser les documents
Traiter le sujet d’imagination
Recherche d’idées
Conseils de rédaction
Les réflexions du personnage sont indispensables. Fais-les intervenir à chaque étape du récit : préparation, rédaction puis expédition.
Utilise le champ lexical de l’amour, sans oublier les termes qui peuvent exprimer l’inquiétude : peur, souffrance, supplice, déchirement…
Traiter le sujet de réflexion
Recherche d’idées
Conseils de rédaction
Organise ta réponse en plusieurs parties : l’avantage de l’écrit sur l’oral, la nécessité d’une correspondance amoureuse, la source d’inspiration qu’est l’amour pour les écrivains.
Essaie de terminer ta conclusion par un élargissement, une nouvelle idée, qui pourrait permettre à la réflexion de se poursuivre.
Travail sur le texte littéraire et sur l’image
Grammaire et compétences linguistiques
▶ 1. Ligne 21 : « Elle regardait la lettre [de loin], [sans la lire]. »
a) « De loin » et « sans la lire » sont des compléments circonstanciels de manière.
b) Deux manipulations nous permettent de les reconnaître : la suppression (« Elle regardait la lettre ») et le déplacement (« Sans la lire, de loin, elle regardait la lettre ») ; dans les deux cas, la phrase reste correcte.
▶ 2. Ce sont les pensées d’Ariane que nous lisons ici, rapportées au discours direct : le présent de l’indicatif (elle est, il faut) et les marques de première personne (ma, je, regardons) le prouvent. Toutefois, les guillemets normalement présents sont absents. Le discours direct est intégré à la narration, les frontières entre paroles du narrateur et paroles du personnage s’estompent.
▶ 3. Je m’hypnotisais sur cette phrase. Pour mieux la sentir, je la déclamais, ou encore, prenant une glace à la main, me la confiais à mi-voix, et s’il m’écrivait qu’il était triste sans moi, j’étais contente.
Compréhension et compétences d’interprétation
▶ 4. Les lettres sont pour le personnage une source intense de plaisir qu’elle cherche à faire durer le plus longtemps possible. À l’attente initiale de la lettre succède une « lecture superficielle » et immédiate ; puis vient l’observation du papier, du timbre, de l’enveloppe, avant la « lecture minutieuse et lente ». Les relectures prolongent encore le bonheur que la lettre procure.
▶ 5. Le discours direct est employé à plusieurs reprises dans ce texte : lignes 11-12, 23-27, 31-32. En partageant ainsi avec le lecteur les mots et les pensées du personnage, l’auteur parvient à rendre son récit réel et vraisemblable (« Il est triste, il est triste, chic ! »). Par ailleurs, on pénètre dans l’intériorité du personnage et on partage plus aisément l’émoi d’Ariane (« Il faut que je meure d’envie de la lire »).
info +
Rapporter les pensées d’un personnage est caractéristique des récits menés au point de vue interne, contrairement au point de vue externe (ou « focalisation » interne/externe).
▶ 6. a) Un souvenir d’enfance resurgit : les biscuits Petit-Beurre qu’Ariane mangeait.
b) Ariane se comporte face à la lettre comme elle le faisait, petite fille, face au biscuit avant de le manger. Elle savoure d’abord sa possession (« elle est à ma disposition ») ; elle retarde ensuite son engloutissement/sa lecture (« il faut que je meure d’envie de la lire ») pour faire croître son désir, jusqu’à ne plus pouvoir résister (« Soudain, elle n’en pouvait plus »). Elle fait en sorte que ses émotions soient les plus intenses possibles.
▶ 7. La lettre est la seule manière de maintenir une proximité avec l’être aimé dont Ariane est séparée. Les mots particulièrement « tendres » et « ardents » sont très précieux. Ils exercent une vraie fascination sur Ariane : elle ne peut en détacher les yeux. Pour mieux sentir encore cette phrase, elle cache le reste de la lettre et la prononce à voix haute : le pouvoir presque magique des mots en devient plus sensible.
info +
La construction pronominale « s’hypnotisait » (plutôt que la forme passive « était hypnotisée ») montre qu’Ariane entretient volontairement cette hypnose.
▶ 8. La lettre permet de combler l’absence de l’être aimé. C’est une manière indirecte de se sentir proche de l’autre : la communication est différée dans le temps, mais permet de réduire l’espace qui sépare les deux amants. Les mots remplacent les contacts et la présence concrète ; expressifs, ils nourrissent et entretiennent les sentiments.
▶ 9. Les deux documents sont d’époques différentes. Toutefois les correspondances sont nombreuses : les deux œuvres représentent une femme en train de lire une lettre d’amour. Le décor féminin du tableau (le rideau, la petite boîte précieuse) rappelle la chambre aux rideaux tirés évoquée dans le texte. La lumière artificielle semble presque provenir de la lettre elle-même, illustrant l’idée des mots qui fascinent, hypnotisent et illuminent. La posture d’abandon et le sourire de la lectrice correspondent également à la description d’Ariane.
Dictée
Point méthode
1 Huit formes se terminent par le son [e]. Souviens-toi que pour différencier participe passé en -é et infinitif en -er, il te faut remplacer la forme par un verbe du troisième groupe.
2 Une fois identifié, un participe passé obéit à différentes règles d’accord : avec l’auxiliaire être il s’accorde avec le sujet, avec l’auxiliaire avoir il ne peut s’accorder avec le COD que si celui-ci est placé avant le verbe.
3 Mémorise l’orthographe de certains mots difficiles : tâche, cueillir, horoscope.
Parfois, le matin, elle était absorbée par quelque tâche solitaire, occupée à cueillir des champignons ou des framboises, ou à coudre, ou à lire un livre de philosophie qui l’ennuyait (mais il fallait se cultiver pour lui), ou à lire avec honte et intérêt le courrier du cœur ou l’horoscope d’un hebdomadaire féminin. Alors elle s’entendait tout à coup murmurer deux mots, sans l’avoir voulu, sans avoir pensé à lui : mon amour. Vous voyez, mon chéri, disait-elle alors à l’absent, même quand je ne pense pas à vous, en moi ça pense à vous. Ensuite, elle rentrait essayer des robes pour décider de laquelle elle mettrait le soir, et alors elle se regardait dans la glace, se régalait d’être regardée par lui le soir.
Rédaction
Voici un exemple de rédaction sur chacun des deux sujets.
Attention, les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Sujet d’imagination
[Préparatifs] Il écrivait le soir, avant de se coucher. Dans la pénombre qui s’installait doucement, dans la tiédeur des soirs d’été, il s’asseyait à sa petite table devant la fenêtre. C’était le bon décor, intime, familier, doux et c’était le bon moment pour écrire, l’esprit débarrassé des soucis du jour. Il prenait alors tout son temps, savourant chaque étape de la rédaction de cette lettre, comme elle en savourerait sans doute la lecture. Il fallait choisir avec soin le papier, le stylo, l’encre, qu’elle sente dans chaque détail l’amour qui explose. Mieux valait tarder à écrire que d’envoyer une lettre écrite à la va-vite, avec une bavure, une écriture maladroite, qui pourrait lui laisser penser qu’il était pressé, occupé par d’autres choses que son amour pour elle.
[Rédaction] Il commençait alors tranquillement, s’arrêtant parfois, hésitant. Reconnaîtrait-elle dans ces propos anodins l’amour qui n’osait pas éclater dès le début ? Oui, elle le reconnaîtrait, dans l’élégance de l’écriture et dans ce petit mot caressant qui n’était pas prévu, ici, pour ces propos. Et puis d’un coup l’émotion le gagnait et il lui fallait tout exprimer immédiatement, son amour, le manque, le supplice délicieux de la savoir loin de lui mais de la savoir à lui. Et la peur aussi : et si ces mots ne la touchaient pas ? et si l’absence était trop longue ? et si elle se lassait de l’attendre ? Alors il reprenait sa lettre, insistait sur la force de leur amour et lui démontrait qu’ils ne pourraient jamais plus aimer quelqu’un d’autre.
conseil
Les réflexions de Solal peuvent être décrites par le narrateur ou rapportées, comme dans le texte de Cohen, au discours direct ou au discours indirect libre.
[Expédition] La lettre finie, il la mettait dans l’enveloppe, écrivait amoureusement l’adresse, puis la posait sur sa table de chevet. Elle restait ainsi, à portée de main, toute la nuit, et il pourrait encore au matin l’effleurer précautionneusement dans la torpeur du demi-sommeil où il s’attardait à loisir. Il la posterait avant d’arriver à son bureau, et comme chaque jour, il l’accompagnerait en pensée, se délectant à l’avance du moment où ces mots, ce papier, ces pensées se trouveraient enfin entre les mains aimées. Quel grand amour que le nôtre ! avait-il envie de crier.
Sujet de réflexion
[Introduction] Dire l’amour se fait souvent par écrit. Par le passé, la seule manière d’exprimer ses sentiments à l’être aimé dont on était séparé était la lettre. Mais pourquoi l’écriture semble-t-elle encore aujourd’hui un moyen privilégié pour dire l’amour ?
[Un aveu difficile] Déclarer ses sentiments à l’être aimé apparaît à la fois comme une nécessité et comme une entreprise difficile. À la crainte d’être repoussé se joint la peur de ne pas trouver les bons mots devant une personne susceptible de nous faire perdre nos moyens. L’écrit paraît alors plus sûr que l’oral. Le héros d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, ne s’y trompe pas quand il écrit ses lettres d’amour à Roxane. Considérant son physique comme un obstacle insurmontable, il trouve un plaisir bien réel à pouvoir exprimer sincèrement ses sentiments par écrit, même si ses lettres sont attribuées à un autre.
[Se rapprocher de l’absent] Par ailleurs, maintenir le lien avec l’être aimé passe souvent par l’écrit. La lettre permet de réunir deux personnes éloignées. L’écrit est alors une manière de témoigner à l’autre son amour, même quand on ne peut pas lui parler. Il est une preuve concrète de l’attachement. Les lettres d’amour d’écrivains célèbres, comme celles de Gustave Flaubert ou de George Sand, sont encore appréciées aujourd’hui puisqu’elles témoignent de ce sentiment universel.
[Le plaisir des mots d’amour] L’amour enfin a ceci de particulier qu’il prend plaisir à s’exprimer dans toute sa complexité, et pas seulement dans une déclaration à l’être aimé. Depuis l’Antiquité, l’émoi amoureux apparaît comme une source d’inspiration éternelle pour les artistes. Les romans d’amour courtois du Moyen Âge, les Sonnets pour Hélène de Pierre de Ronsard, ou plus près de nous, les chansons à succès d’Adèle nous révèlent les rapports privilégiés entre l’écriture et l’amour, qui se nourrissent l’un de l’autre.
[Conclusion] L’écriture semble donc un moyen privilégié de dire l’amour. On dit que les paroles s’envolent, tandis que les écrits restent. Choisir l’écriture, c’est peut-être aussi refuser d’envisager le caractère souvent éphémère de ce sentiment…
info +
Il s’agit de la traduction d’un proverbe latin : Verba volant, scripta manent.