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Musset, On ne badine pas avec l'amour, acte I, scène 2

Sujet d’oral • Explication & entretien

Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte I, scène 2

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.

Puis proposez-en une explication linéaire.

document

Camille et Perdican ont vécu une enfance complice et pleine d’espoirs aux yeux du Baron, qui compte bien les unir par les liens du mariage ; les voici réunis après dix ans de séparation.

Perdican — Bonjour, mon père, ma sœur1 bien-aimée ! quel bonheur ! que je suis heureux !

Camille — Mon père et mon cousin, je vous salue.

Perdican — Comme te voilà grande, Camille ! et belle comme le jour.

Le Baron — Quand as-tu quitté Paris, Perdican ?

Perdican — Mercredi, je crois, ou mardi. Comme te voilà métamorphosée en femme ! Je suis donc un homme, moi ? Il me semble que c’est hier que je t’ai vue pas plus haute que cela.

Le Baron — Vous devez être fatigués ; la route est longue, et il fait chaud.

Perdican — Oh ! mon Dieu, non. Regardez donc, mon père, comme Camille est jolie !

Le Baron — Allons, Camille, embrasse ton cousin.

Camille — Excusez-moi.

Le Baron — Un compliment vaut un baiser ; embrasse-la, Perdican.

Perdican — Si ma cousine recule quand je lui tends la main, je vous dirai à mon tour : Excusez-moi ; l’amour peut voler un baiser, mais non pas l’amitié.

Camille — L’amitié ni l’amour ne doivent recevoir que ce qu’ils peuvent rendre.

Le Baron, à maître Bridaine. — Voilà un commencement de mauvais augure ; hé ?

Maître Bridaine, au baron. — Trop de pudeur est sans doute un défaut ; mais le mariage lève bien des scrupules.

Le Baron, à maître Bridaine. — Je suis choqué, blessé. Cette réponse m’a déplu. Excusez-moi ! Avez-vous vu qu’elle a fait mine de se signer2 ? Venez ici, que je vous parle. Cela m’est pénible au dernier point. Ce moment, qui devait m’être si doux, est complètement gâté. Je suis vexé, piqué. – Diable ! voilà qui est fort mauvais.

Maître Bridaine — Dites-leur quelques mots ; les voilà qui se tournent le dos.

Le Baron — Eh bien ! mes enfants, à quoi pensez-vous donc ? Que fais-tu là, Camille, devant cette tapisserie ?

Camille, regardant un tableau. — Voilà un beau portrait, mon oncle. N’est-ce pas une grand-tante à nous ?

Le Baron — Oui, mon enfant, c’est ta bisaïeule, – ou du moins, la sœur de ton bisaïeul, – car la chère dame n’a jamais concouru, – pour sa part, je crois, autrement qu’en prières, – à l’accroissement de la famille. – C’était, ma foi, une sainte femme.

Camille — Oh ! oui, une sainte ! c’est ma grand-tante Isabelle ; comme ce costume religieux lui va bien !

Le Baron — Et toi, Perdican, que fais-tu là, devant ce pot de fleurs ?

Perdican — Voilà une fleur charmante, mon père. C’est un héliotrope3.

Le Baron — Te moques-tu ? elle est grosse comme une mouche.

Perdican — Cette petite fleur grosse comme une mouche a bien son prix.

Maître Bridaine — Sans doute ! le docteur a raison ; demandez-lui à quel sexe, à quelle classe elle appartient ; de quels éléments elle se forme, d’où lui viennent sa sève et sa couleur ; il vous ravira en extase en vous détaillant les phénomènes de ce brin d’herbe, depuis la racine jusqu’à la fleur.

Perdican — Je n’en sais pas si long, mon révérend. Je trouve qu’elle sent bon, voilà tout.

Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte i, scène 2, 1834.

1. Camille et Perdican sont cousins, mais ont été élevés ensemble, ce que souligne le terme « sœur ».

2. Se signer : faire le signe de la croix sur soi.

3. Héliotrope : petite fleur mauve.

2. question de grammaire.

Analyser l’expression de la négation dans la phrase suivante : « L’amitié ni l’amour ne doivent recevoir que ce qu’ils peuvent rendre. » (l. 21-22)

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Veillez à bien rendre la différence d’attitude de Perdican et celle de Camille : à l’enthousiasme galant du premier fait pendant la retenue et la froideur de la seconde.

Les répliques des adultes tranchent par leur dimension comique : ­rendez le désappointement comique – car excessif – du Baron.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Cette scène est la première où Camille et Perdican sont réunis : le spectateur brûle de les découvrir, à l’instar du Baron.

Voyez si les espoirs du Baron se confirment. Que dégagent les deux jeunes gens dans leur attitude ? Comment peut-on l’expliquer ?

Soyez attentif aux éléments qui créent le comique.

2. La question de grammaire

Relevez les termes qui expriment la négation et identifiez leur nature.

Transformer cette phrase négative en phrase affirmative pourra vous aider à identifier les négations en jeu, et leur type.

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Le Baron entend marier son fils à sa nièce Camille ; il les réunit donc après dix ans de séparation et se réjouit par avance de ces retrouvailles. [Situer le texte] Dans cette scène d’exposition, le spectateur assiste à la première rencontre des deux cousins, qui ne se passe pas comme prévu. [En dégager l’enjeu] En quoi cette scène de retrouvailles à la fois grinçante et décalée s’avère-t-elle de mauvais augure pour l’avenir ? [Annoncer le plan] Nous examinerons d’abord les premiers échanges du couple, dissonants, avant d’analyser la conversation, en aparté, d’adultes décontenancés ; enfin, nous verrons que les comportements comiquement opposés des deux jeunes gens s’avèrent significatifs.

Explication au fil du texte

Les retrouvailles froides des personnages (l. 1-22)

Perdican se répand d’emblée en salutations enjouées : il exprime avec force son « bonheur » et qualifie affectueusement sa cousine de « sœur bien-aimée » (l. 1). Les exclamations traduisent son enthousiasme.

Par contraste, Camille paraît d’emblée froide et mesurée : « Mon père et mon cousin, je vous salue » (l. 3). Perdican souligne avec surprise, voire nostalgie, les liens qui les unissent, mais aussi le temps qui a passé : « Comme te voilà grande, Camille ! » (l. 4) ; « Comme te voilà métamorphosée en femme ! […] Il me semble que c’est hier que je t’ai vue pas plus haute que cela. » (l. 7-9).

Le Baron risque quelques questions très conventionnelles, auxquelles Perdican­ n’accorde comiquement que bien peu d’attention (l. 7, l. 12), tant il se focalise sur l’essentiel : Camille. Il multiplie les termes flatteurs à son égard, quelque peu convenus, mais qui ne peuvent que réjouir le Baron : elle est « belle comme le jour » (l. 4-5), « Regardez […] comme Camille est jolie ! » (l. 12-13).

En retrait, Camille est rappelée à l’ordre par son oncle : « Allons, Camille, embrasse ton cousin » (l. 14). La courte réplique de la jeune fille est cinglante : « Excusez-moi » (l. 15) ; elle se dérobe, et c’est le Baron qui cherche maladroitement à provoquer un rapprochement physique : « embrasse-la, Perdican ».

Perdican, galant et conciliant, s’y refuse, sentencieux : « l’amour peut voler un baiser, mais non pas l’amitié » (l. 19-20). L’antithèse révèle un changement de posture vis-à-vis de Camille, un glissement significatif sur la nature possible de leur relation, de « l’amour » à « l’amitié ». C’est cependant déjà une reculade non négligeable par rapport aux espoirs du Baron.

Sarcastique, Camille rétorque à la manière de Perdican, dressant une barrière supplémentaire entre eux, refusant catégoriquement tout contact, même amical : « L’amitié ni l’amour ne doivent recevoir que ce qu’ils peuvent rendre. » (l. 21-22). Camille multiplie les fins de non-recevoir.

Les commentaires décontenancés des adultes (l. 23-33)

Déconcerté par la froideur de Camille, le Baron épanche son désarroi en aparté à Bridaine. Les participes passés excessifs et redondants déclinent son dépit de manière risible : « Je suis choqué, blessé. […] Je suis vexé, piqué » (l. 27-31). Une antithèse souligne combien ces retrouvailles sont aux antipodes de ce qu’il avait espéré : « Ce moment, qui devait m’être si doux, est complètement gâté » (l. 30).

Le comportement de Camille, jugé affecté et inapproprié, est blâmé : « trop de pudeur » (l. 25) ; « elle a fait mine de se signer » (l. 28-29). Cette attitude reflète son attachement à la religion.

La didascalie interne « Les voilà qui se tournent le dos » (l. 32-33) donne l’impression cocasse de deux enfants fâchés, à réconcilier. C’est la tâche que vont se fixer, non sans ridicule, les adultes.

mot clé

Les didascalies sont des indications fournies par le dramaturge sur le jeu des acteurs et la mise en scène. On parle de ­didascalie interne lorsque la réplique d’un personnage précise la mise en scène.

Des attitudes opposées et significatives (l. 34-57)

Comiquement, le Baron questionne tour à tour Camille puis Perdican, chacun campé devant un élément hautement révélateur.

Dans la contemplation admirative de Camille, se lit son attrait pour le spirituel : « Oh ! oui, une sainte ! […] Comme ce costume religieux lui va bien ! » (l. 42-43). Tandis que le Baron pointe non sans humour la stérilité de cette grand-tante, Camille répète, en l’amplifiant, fascinée, le mot « sainte », comme en quête d’un modèle familial inspirant.

Ce tableau aux connotations éthérées contraste de manière amusante avec le « pot de fleurs » qui absorbe Perdican et dont il fait l’éloge face à un père peu convaincu. Le jeune homme affiche une réelle sensibilité aux réalités terrestres, à la beauté – qu’elle émane d’une femme, comme d’une fleur. En cela, il s’oppose à Camille : « Cette petite fleur grosse comme une mouche a bien son prix. » (l. 49-50)

Bridaine tente alors, avec une maladresse risible, de brosser un portrait supposé flatteur et séduisant du « docteur » : « Demandez-lui à quel sexe, à quelle classe elle appartient » (l. 51-52). La réplique finale de Perdican coupe court à cette demande d’étalage savant et revendique un simple plaisir sensoriel : « Je trouve qu’elle sent bon, voilà tout. » (l. 56-57) Camille comme Perdican échappent ainsi très vite aux rôles que les adultes semblent avoir fixés pour eux.

à noter

La pièce mélange les registres comique et tragique, se rapprochant en cela de l’esthétique du drame romantique, théorisé en 1827 par Victor Hugo.

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Ainsi, cette scène d’exposition présente des protagonistes dont le comportement décalé tranche avec les retrouvailles idéales imaginées par le Baron. Déjà s’esquisse un portrait moral de Camille et de Perdican. [Mettre le texte en perspective] Si cette scène abonde en éléments comiques, l’atmosphère s’assombrit progressivement par la suite, jusqu’à mettre les cousins dos à dos, alors qu’ils auraient pu s’aimer.

2. La question de grammaire

« L’amitié ni l’amour ne doivent recevoir que ce qu’ils peuvent rendre. » (l. 21-22)

On relève dans cette phrase deux négations : la conjonction de coordination « ni » ; la locution négative syntaxique « ne… que », composée de deux adverbes qui encadrent le verbe principal.

Cette dernière est une négation exceptive (ou restrictive), qu’on peut remplacer par « seulement » dans une phrase affirmative : « L’amitié et l’amour doivent seulement recevoir ce qu’ils peuvent rendre. »

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Merci pour votre présentation du Jeu de l’amour et du hasard (1730) de Marivaux. Comment les sentiments y sont-ils mis à l’épreuve ?

Inquiète du mariage que son père lui a ménagé avec Dorante, Silvia décide d’éprouver ses sentiments en se travestissant en femme de chambre. Dorante a cependant la même idée, et se déguise en valet : chacun, à l’abri de son déguisement, cherche à sonder son prétendant.

2 À lire cette pièce, l’amour vous semble-t-il le fruit du « hasard » ?

Le public mesure combien le rang social influe dans les choix amoureux et donne le sentiment d’un fort conservatisme social, d’un mélange quasi impossible des classes.

3 Pourriez-vous expliquer ce qu’est le « marivaudage » ?

Le marivaudage correspond à un style propre à cet auteur, qui joue des subtilités du langage amoureux, entre jeux de séduction, propos galants et finesse d’esprit.

 

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