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Musset, On ne badine pas avec l'amour, acte III, scène 2

Sujet d’oral • Explication & entretien

Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte III, scène 2

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.

Puis proposez-en une explication linéaire.

document

Déçue par Perdican, Camille semble confortée dans sa vocation religieuse et confie ses projets à une de ses amies de couvent, dans une lettre qui tombe entre les mains du jeune homme.

Perdican, seul. — Que ce soit un crime d’ouvrir une lettre, je le sais trop bien pour le faire. Que peut dire Camille à cette sœur ? Suis-je donc amoureux ? Quel empire a donc pris sur moi cette singulière fille, pour que les trois mots écrits sur cette adresse me fassent trembler la main ? Cela est singulier ; Blazius, en se débattant avec dame Pluche, a fait sauter le cachet1. Est-ce un crime de rompre le pli ? Bon, je n’y changerai rien.

Il ouvre la lettre et lit.

« Je pars aujourd’hui, ma chère, et tout est arrivé comme je l’avais prévu. C’est une terrible chose ; mais ce pauvre jeune homme a le poignard dans le cœur, il ne se consolera pas de m’avoir perdue. Cependant j’ai fait tout au monde pour le dégoûter de moi. Dieu me pardonnera de l’avoir réduit au désespoir par mon refus. Hélas ! ma chère, que pouvais-je y faire ? Priez pour moi ; nous nous reverrons demain, et pour toujours. Toute à vous du meilleur de mon âme. Camille. »

Est-il possible ? Camille écrit cela ? C’est de moi qu’elle parle ainsi ? Moi au désespoir de son refus ? Eh ! bon Dieu ! si cela était vrai, on le verrait bien ; quelle honte peut-il y avoir à aimer ? Elle a fait tout au monde pour me dégoûter, dit-elle, et j’ai le poignard dans le cœur ? Quel intérêt peut-elle avoir à inventer un roman pareil ? Cette pensée que j’avais cette nuit, est-elle donc vraie ? Ô femmes ! Cette pauvre Camille a peut-être une grande piété ; c’est de bon cœur qu’elle se donne à Dieu, mais elle a résolu et décrété qu’elle me laisserait au désespoir. Cela était convenu entre les bonnes amies, avant de partir du couvent. On a décidé que Camille allait revoir son cousin, qu’on le lui voudrait faire épouser, qu’elle refuserait, et que le cousin serait désolé. Cela est si intéressant, une jeune fille qui fait à Dieu le sacrifice du bonheur d’un cousin ! Non, non, Camille, je ne t’aime pas ; je ne suis pas au désespoir. Je n’ai pas le poignard dans le cœur, et je te le prouverai. Oui, tu sauras que j’en aime une autre, avant que de partir d’ici. Holà ! brave homme !

Entre un paysan.

Allez au château, dites à la cuisine qu’on envoie un valet porter à Mlle Camille le billet que voici.

Il écrit.

Le Paysan — Oui, monseigneur.

Il sort.

Perdican — Maintenant, à l’autre. Ah ! je suis au désespoir ! […]

Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte iii, scène 2, 1834.

1. Cachet : cire qui porte l’empreinte d’un cachet (matière dure gravée avec laquelle on imprime une marque).

2. question de grammaire.

Étudiez la construction de l’interrogation dans la phrase suivante : « Quel intérêt peut-elle avoir à inventer un roman pareil ? » (l. 21-22)

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Rendez la curiosité de Perdican, d’abord intrigué par la lettre.

Lisez la lettre de Camille en laissant transparaître le ton étonné ; soulignez ensuite la stupéfaction de Perdican, lorsqu’il reprend notamment les mots de sa cousine pour s’en indigner.

Faites sentir la rancœur et le dépit final du jeune homme.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Le procédé de la lettre interceptée est fréquent au théâtre : questionnez-vous sur son intérêt.

Cherchez à montrer en quoi ce monologue, centré sur une lettre qui n’aurait pas dû être lue, s’avère révélateur de l’orgueil des personnages et déterminant pour la suite.

2. La question de grammaire

Repérez les marqueurs de l’interrogation.

Identifiez sa portée et son intérêt.

1. l’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Le Baron désire marier son fils Perdican à sa nièce Camille, après dix ans d’éloignement durant lesquels les jeunes gens ont grandi et affiné leur vision de l’amour. [Présenter le texte] Craignant l’inconstance des hommes, Camille, qui rêve d’un amour pur et éternel, écrit, à une de ses amies religieuses, une lettre qui tombe entre les mains de Perdican. [En dégager l’enjeu] Comment ce ­monologue, qui résulte de la découverte d’une lettre interceptée, traduit-il la nature tourmentée de Perdican­, tiraillé entre amour et amour-propre ? [Annoncer le plan] Nous examinerons d’abord les hésitations du jeune homme à ouvrir un courrier qui ne lui est pas destiné, puis la découverte de son contenu. Nous verrons enfin que Perdican, blessé dans son amour-propre, prend une décision tragique.

mot clé

Un monologue est une scène où un personnage parle seul : il exprime ainsi ses émotions (fonction expressive), prend une décision (fonction délibérative) ou fournit diverses informations au public (fonction ­informative).

Explication au fil du texte

Les tergiversations de Perdican (l. 1-7)

Détenant une lettre qui ne lui est pas adressée, Perdican, bien éduqué, exprime d’abord ses scrupules par une hyperbole : il qualifie sa tentation de « crime » à deux reprises (l. 1 et 6).

Sa curiosité est néanmoins très vive, elle le pousse à s’interroger sur ses propres sentiments, comme en témoignent les questions insistantes et rhétoriques : « Suis-je donc amoureux ?… ».

à noter

Perdican, tout au long de la pièce, peine à mettre au clair ses sentiments : c’est déjà le cas dans son monologue de la scène 1 de l’acte iii.

Il s’étonne lui-même de la réaction disproportionnée et suspecte suscitée par ces « trois mots » qui lui font « trembler la main », signe d’un vif trouble intérieur. Perdican se résout cependant à ouvrir la lettre, déjà décachetée lors de la dispute entre les adultes, ce qui l’aide ainsi à lever son dilemme.

La lettre de Camille (l. 8-16)

Perdican surprend ainsi les confidences de Camille, adressées à une « chère » amie de couvent ; il lit la lettre à haute voix.

Camille exprime sa résolution inébranlable de se vouer à Dieu et dramatise la situation par l’emploi d’un lexique tragique : ainsi Perdican est-il présenté comme un « pauvre jeune homme », « le poignard dans le cœur » et « réduit au désespoir ».

La jeune femme choisit consciemment Dieu alors qu’elle aurait pu vivre une histoire d’amour : « j’ai fait tout au monde pour le dégoûter de moi. » Le sort de Perdican est évoqué au futur de certitude, sur un ton péremptoire : « il ne se consolera pas. » Camille se présente sous des traits flatteurs à sa confidente. Par orgueil, elle accentue la détresse supposée de Perdican, qu’elle aurait rêvé transi d’amour.

La question rhétorique « Que pouvais-je y faire ? » donne le sentiment qu’une force supérieure a poussé Camille à cette extrémité : pourtant, sa détermination apparente semble davantage liée à son amertume qu’à sa foi en Dieu : Perdican, et les hommes en général, la déçoivent.

La vive réaction de Perdican (l. 17-40)

Perdican ne réagit pas tant au choix religieux de Camille qu’au portrait dégradant qu’elle fait de lui. Sa stupéfaction outrée perce à travers la ponctuation expressive : « Moi au désespoir de son refus ? », « j’ai le poignard dans le cœur ? ». Il refuse le portrait peu flatteur que Camille dresse de lui, en s’arrogeant à ses dépens le beau rôle, et dénonce le « roman » bâti par Camille. En écho au « pauvre jeune homme » de la lettre, il taxe sa cousine de « pauvre Camille », tout en clamant son dépit dans une apostrophe ironique : « Ô femmes ! » (l. 23).

Perdican se sent victime d’un complot féminin fomenté par Camille (« tout est arrivé comme je l’avais prévu ») et ses « bonnes amies » : « elle a résolu et décrété », « On a décidé que ». Il démonte les rouages de cette conspiration dans une énumération accablante qui conduit à son sacrifice (l. 26-28) et en vient à ironiser sur ce qui s’est tramé dans son dos : « Cela est si intéressant, une jeune fille qui fait à Dieu le sacrifice du bonheur d’un cousin ! » (l. 28-29). L’hostilité de Perdican pour la religion renforce sa colère, qui le pousse à prêter à Camille des intentions qu’elle n’a pas.

La fin de son monologue met en place sa vengeance. Sa détermination s’exprime par des phrases courtes, incisives, en écho à la question inaugurale « Suis-je donc amoureux ? » : « Non, non, Camille, je ne t’aime pas […] et je te le prouverai. » (l. 29-31) Ses sentiments semblent s’être radicalement transformés. Aveuglé par son amour-propre, blessé par les mots de Camille, Perdican est désormais prêt à se jeter dans les bras d’une autre.

La réplique finale de Perdican dévoile pourtant les sentiments qu’il se cache : « Ah ! je suis au désespoir ! », faisant écho aux mots prononcés plus haut : « je ne t’aime pas ; je ne suis pas au désespoir » (l. 30). Insistantes, ces négations ­trahissent ses sentiments pour Camille.

à noter

Perdican est ici victime d’ironie tragique : il se méprend sur ses propres sentiments. Il ­comprendra trop tard son amour pour Camille – et Rosette en mourra.

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Ainsi cette lettre interceptée par Perdican ­permet-elle de révéler au spectateur les propres sentiments du personnage : tiraillé entre amour et amour-propre, le jeune homme, blessé par Camille qui s’arroge le beau rôle en le sacrifiant à Dieu, devient le jouet d’émotions qui les conduiront à leur perte. [Mettre le texte en perspective] Le billet qu’il écrit achève de faire basculer l’intrigue dans la tragédie. À ce jeu d’ego froissés et de sentiments qu’ils ne parviennent pas à s’avouer, une jeune innocente sera tragiquement sacrifiée.

2. la question de grammaire

« Quel intérêt peut-elle avoir à inventer un roman pareil ? » (l. 21-22)

Cette phrase se termine par un point d’interrogation, associé à une intonation montante. L’ordre sujet-verbe suit une inversion simple : « peut-elle ». Il s’agit donc bien d’une interrogation directe.

Le déterminant interrogatif « quel » introduit cette interrogation qui est de portée partielle ; il s’agit d’une question ouverte. En effet, la réponse attendue ne saurait être « oui » ou « non ». Sur le plan pragmatique, cette interrogation appelle une réponse.

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation de Cyrano de Bergerac (1898) d’Edmond Rostand. Pourriez-vous dégager des points communs entre les personnages de Roxane et de Camille ?

Toutes deux se font une très haute idée de l’amour et attendent un engagement fort. Camille rêve d’un amour pur, éternel, absolu ; Roxane attend de Christian qu’il sache bien parler d’amour, car c’est une jeune femme cultivée, adepte de poésie, qui fréquente les salons précieux de son époque.

2 Que pensez-vous du stratagème mis en place par Cyrano pour aider Christian à séduire Roxane ?

C’est un stratagème ingénieux : Cyrano prête son éloquence à Christian, par exemple dans la scène du balcon où c’est Cyrano, contrefaisant sa voix, qui déclare son amour à Roxane à la place du jeune homme.

3 Comment la sincérité du cœur et celle de la parole se rejoignent-elles dans le dénouement de l’œuvre ?

Au seuil de la mort, Cyrano peut enfin confesser à Roxane qu’il l’a toujours aimée en secret. La lecture de la lettre révèle les véritables sentiments de « celui qui souffle et qu’on oublie », celui qui s’est sacrifié pour ne pas ­trahir le souvenir de Christian.

 

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