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On ne badine pas avec l'amour : un drame de l'orgueil ?

Sujet d’écrit • Dissertation

On ne badine pas avec l’amour : un drame de l’orgueil ?

4 heures

20 points

Intérêt du sujet Perdican, à la manière d’un héros de tragédie, accuse une force extérieure d’être responsable de son malheur. Mais on peut donc se demander si son malheur ne vient pas de lui-même, d’une cause plus profonde dont l’orgueil n’est qu’un symptôme.

 

 À la fin d’On ne badine pas avec l’amour, Perdican s’exclame : « Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? » Peut-on dire de cette pièce qu’elle est un drame de l’orgueil ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur On ne badine pas avec l’amour, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé et sur votre culture littéraire.

 

Les clés du sujet

Analyser les termes du sujet

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Formuler la problématique

Le drame dans On ne badine pas avec l’amour ne naît-il, comme le suggère Perdican, que de l’orgueil dont les personnages seraient de simples victimes ? N’y a-t-il pas des causes plus profondes dont l­’orgueil ne serait que le révélateur ?

Construire le plan

1. Certes, l’orgueil conduit Camille et Perdican à leur perte

En quoi l’orgueil est-il à l’origine de la mécanique implacable menant à la séparation des personnages ?

Montrez que l’orgueil est d’abord un ressort comique, puis la source de la transformation de la comédie en drame.

2. Toutefois, accuser l’orgueil est peut-être une manière de s’illusionner

Perdican se présente ici comme un héros tragique, victime des circonstances. Est-ce vraiment le cas ?

Montrez que Camille et Perdican blâment souvent des causes extérieures pour justifier leurs actions.

3. L’orgueil n’est en fait que le symptôme de maux plus profonds

L’orgueil en réalité n’apparaît qu’à l’acte III. Qu’est-ce qui sépare les personnages auparavant ?

En quoi peut-on dire que leur vision de l’amour, propre à chacun, est la source véritable du drame ?

Introduction

[Amorce] Dans la pièce de Racine, Phèdre justifie sa conduite et ses crimes en se disant victime de la vengeance de la déesse Vénus et des mauvais conseils de sa nourrice Œnone. [Reformulation du sujet]. De même, quand Perdican s’exclame à la fin de la pièce « Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? », il semble désigner un coupable à blâmer, auquel il s’adresse comme s’il était extérieur à lui. [Problématique] On se demandera si Camille et Perdican ne sont que des victimes de leur orgueil, qui les conduit à leur perte, ou si une cause plus profonde peut expliquer le drame. De quoi l’orgueil est-il le symptôme ? [Annonce du plan] Certes l’orgueil conduit Camille et Perdican à leur perte, toutefois accuser l’orgueil est peut-être une manière de s’illusionner. L’orgueil est en fait sans doute le symptôme de maux plus profonds.

I. Certes l’orgueil conduit Camille et Perdican à leur perte

1. L’orgueil engendre une mécanique implacable

« C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui » assure fièrement Perdican (II, 5). Pourtant, dans toute la pièce, il semble bien qu’il agisse en jouant un rôle que lui dicte son orgueil.

En effet, dès lors qu’il a été éconduit par Camille, il courtise Rosette, en soulignant qu’elle au moins n’a pas renoncé au monde de l’enfance et de la nature. Camille perçoit bien la blessure qu’elle lui inflige : « je ne veux pas me marier : il n’y a rien là dont votre orgueil doive souffrir. » Mais Perdican, aveuglé, rétorque : « L’orgueil n’est pas mon fait. » (II, 1)

La lecture de la lettre à Louise marque une accélération dans la mécanique implacable de la pièce : pour se venger, Perdican fait la cour à Rosette sous les yeux de Camille (III, 3) qui, à son tour, séduit Perdican sous les yeux de Rosette (III, 6). Il est alors obligé pour ne pas paraître « lâche » (III, 7) de persister à annoncer son mariage.

à noter

Pour étayer ce propos, il ne faut pas seulement connaître des citations, il faut aussi bien connaître la structure de l’œuvre.

2. La pièce, qui est une comédie, tourne au drame du fait de l’orgueil

La pièce pourrait n’être qu’une comédie, avec deux personnages orgueilleux qui refusent de s’avouer qu’ils s’aiment, comme dans une comédie de Marivaux. Chacun d’entre eux reproche à l’autre son orgueil. Perdican parle de l’« orgueil si insensible » (II, 5) de Camille, lui dit même « Tu es une orgueilleuse ; prends garde à toi. » (II, 5), tandis que celle-ci se moque de lui en disant qu’il a été « blessé dans [s]on noble orgueil » (III, 6)

Cependant, chez Musset, lorsque les deux jeunes gens, ayant pris conscience d’avoir été aveuglés par leur orgueil, s’avouent leur amour, le mal est fait : Rosette meurt, victime de l’orgueil des deux jeunes gens (III, 8). La comédie vire au drame.

[Transition] On ne badine pas avec l’amour semble donc être le drame de l’orgueil. Mais Perdican n’a-t-il pas un peu trop vite fait d’accuser l’orgueil afin de pouvoir se dédouaner de ses actions et accéder au dénouement heureux qu’il espère ?

II. Toutefois, accuser l’orgueil est peut-être une manière de s’illusionner

1. Perdican joue au personnage de tragédie

Dans le passage qui nous sert de sujet, Perdican utilise le vocabulaire de la tragédie, comme on le remarque encore ensuite « qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil, lorsque nos mains allaient se joindre ? » (III, 8) Cela lui permet de se présenter en victime des circonstances, en jouet du destin, comme les personnages de tragédie qui accusent leurs conseillers de les avoir conduits au crime pour mieux s’en innocenter.

On notera d’ailleurs qu’un tel discours est parodié ailleurs dans la pièce quand le personnage de Bridaine, dans un pastiche de monologue élégiaque, se lamente sur le fait d’avoir perdu la place d’honneur à la table du Baron : « Pourquoi un vain orgueil m’a-t-il éloigné de ce dîner honorable, où j’étais si bien accueilli ? » (III, 2) Pour Bridaine, On ne badine pas avec l’amour est bien le drame de l’orgueil !

2. Dans toute la pièce, les personnages blâment des causes extérieures

Ce qui sème également le doute, c’est la propension des personnages à blâmer des causes extérieures pour leurs actions, ou à se dire les jouets du hasard, comme lorsque Perdican ouvre la lettre adressée à Louise parce que « Blazius, en se débattant avec dame Pluche, a fait sauter le cachet » (III, 2).

Camille de son côté attribue sa conduite à un abandon de la part de Dieu : « ne voulez-vous donc plus de moi ? ». Elle ne comprend pas pourquoi elle est si « faible » (III, 8). Si Perdican pense être le jouet de la fatalité, Camille pense être la victime de la volonté divine.

[Transition] Ne faut-il pas dès lors considérer que l’orgueil n’est qu’un symptôme d’une cause plus profonde qui explique que la pièce tourne, non à la tragédie, comme le voudrait Perdican pour nier sa responsabilité, mais au drame ?

III. L’orgueil n’est en fait que le symptôme de maux plus profonds

1. Dès le début de la pièce, Camille et Perdican semblent inadaptés au monde qui les entoure

Les effets de l’orgueil n’apparaissent qu’à l’acte III. Au début de la pièce, d’autres éléments permettent de comprendre que le dénouement était déjà prévisible.

Perdican apparaît comme un être attaché au monde de l’enfance : il ne vit pas vraiment dans la réalité présente, mais dans la nostalgie du passé. Avant même son entrée, le chœur s’écrie : « Puissions-nous retrouver l’enfant dans le cœur de l’homme. » (I, 1). Perdican agit d’emblée comme un enfant dont il a – au début de la pièce – la candeur et la fraîcheur innocente : il s’émerveille de retrouver le monde d’autrefois : « voilà le monde mystérieux des rêves de mon enfance ! » (I, 4).

Camille, pour sa part, a une vision totalement déformée de la réalité à cause de l’influence que les sœurs du couvent ont eue sur elle. Elle aussi aspire à ne pas vivre dans la réalité, mais cloîtrée, en retrait du monde humain. C’est pourquoi la seule chose qui l’intéresse lors de sa première entrevue avec le Baron et Perdican est le portrait de son aïeule, qu’elle voit comme « une sainte » (I, 2).

2. C’est leur vision de l’amour qui les conduit à leur perte

Les rapports des deux héros à la réalité déterminent deux visions de l’amour.

Perdican rêve de retrouver une enfant en Camille. Tout est pour lui source d’une nostalgie qu’il voudrait partager avec elle : « Quoi ! pas un souvenir, Camille ? » (I, 3), ce que celle-ci refuse (« les souvenirs d’enfance ne sont pas de mon goût »). Son orgueil à l’acte III n’est que le symptôme de cette vision enfantine de l’amour où on l’aime en restant prisonnier du passé, d’un monde où rien n’avait d’importance.

Camille a une très haute conception de l’amour. Elle rejette l’amour humain car elle veut un amour absolu, que seul l’amour divin peut contenter : « je veux aimer d’un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas. » Elle reproche à Perdican de ne pas prendre l’amour au sérieux, lui qui ne croit pas « qu’on puisse mourir d’amour » (II, 5). Son orgueil à l’acte III n’est que le symptôme de cette vision pour ainsi dire surhumaine de l’amour.

Conclusion

[Synthèse] On ne badine pas avec l’amour n’est véritablement un drame de l’orgueil que dans son dernier acte. L’issue tragique de la pièce s’explique par le caractère profondément romantique des deux héros que leur vision de l’amour rend inaptes à s’aimer dans le monde réel. [Ouverture] En ce sens, On ne badine pas avec l’amour est d’abord un drame romantique, mettant en scène des héros inadaptés au monde, comme le sont Hernani, Ruy Blas ou encore Lorenzaccio : l’orgueil n’est que le témoignage de cette inadaptation.

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