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Paysage de guerre (texte de A. Jenni, affiche de J. L. Beuzon)

Polynésie française • Septembre 2019

Paysage de guerre

3 heures

100 points

Intérêt du sujet • Le texte et l'image présentent deux visions opposées de l'expérience vécue par les soldats lors des guerres coloniale: cauchemardesque dans l'extrait, idyllique sur l'affiche de propagande.

document aTexte littéraire

Vétéran de la guerre d'Indochine, Victorien Salagnon raconte à un jeune homme ses souvenirs de guerre.

L'Indochine ? C'est la planète Mars. Ou Neptune. Je ne sais pas. Un autre monde qui ne ressemble à rien d'ici : imagine une terre où la terre ferme n'existerait pas. Un monde mou, tout mélangé, tout sale. La boue du delta1 est la matière la plus désagréable que je connaisse. C'est là où ils font pousser leur riz, et il pousse à une vitesse qui fait peur. Pas étonnant que l'on cuise la boue pour en faire des briques : c'est un exorcisme, un passage au feu pour qu'enfin ça tienne. Il faut des rituels radicaux, mille degrés au four pour survivre au désespoir qui vous prend devant une terre qui se dérobe toujours, à la vue comme au toucher, sous le pied comme sous la main. Il est impossible de saisir cette boue, elle englue, elle est molle, elle colle et elle pue.

La boue de la rizière colle aux jambes, aspire les pieds, elle se répand sur les mains, les bras, on en trouve jusque sur le front comme si on était tombé ; la boue vous rampe dessus quand on marche dedans. Et autour des insectes vrombissent, d'autres grésillent ; tous piquent. Le soleil pèse, on essaye de ne pas regarder mais il se réfléchit en paillettes blessantes qui bougent sur toutes les flaques d'eau, suivent le regard, éblouissent toujours même quand on baisse les yeux ; mais il faut marcher. Il ne faut rien perdre de l'équipement qui pèse sur nos épaules, des armes que l'on doit garder propres pour qu'elles fonctionnent encore, continuer de marcher sans glisser, sans tomber, et la boue monte jusqu'aux genoux. Et en plus d'être naturellement toxique, cette boue est piégée par ceux que l'on chasse. Parfois elle explose. Parfois elle se dérobe, on s'enfonce de vingt centimètres et des pointes de bambou empalent le pied. Parfois un coup de feu part d'un buisson au bord d'un village, ou de derrière une diguette2, et un homme tombe. On se précipite vers le lieu d'où est parti le coup, on se précipite avec cette grosse boue qui colle, on n'avance pas, et quand on arrive, il ne reste rien, pas une trace. On reste con devant cet homme couché, sous un ciel trop grand pour nous. Il nous faudra maintenant le porter. Il semblait être tombé tout seul, d'un coup, et le claquement sec que nous avions entendu avant qu'il ne tombe devait être la rupture du fil qui le tenait debout.

Alexis Jenni, L'Art français de la guerre, 2011, © Éditions Gallimard, www.gallimard.fr.

1. Delta : zone de marécage qui divise un fleuve en plusieurs bras.

2. Diguette : petite digue, construction destinée à contenir les eaux.

document BJ. L. Beuzon, Engagez-vous, Rengagez-vous dans les troupes coloniales. Affiche de 1931

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Ph © Bridgeman Images

Travail sur le texte littéraire et sur l'image 50 points • 1 h 10

Les réponses doivent être entièrement rédigées.

Compréhension et compétences d'interprétation

1. Relevez six termes permettant de comprendre que le récit se déroule en temps de guerre. (3 points)

2. « L'Indochine ? C'est la planète Mars. Ou Neptune. Je ne sais pas. » (ligne 1)

Quelle image le narrateur donne-t-il ici de l'Indochine ? (2 points)

3. a) La présence de l'ennemi est très peu évoquée dans ce passage. Pourquoi, selon vous ? (2 points)

b) Il y a cependant des indices de cette présence. Repérez-en au moins trois. (3 points)

4. « le claquement sec que nous avions entendu avant qu'il ne tombe devait être la rupture du fil qui le tenait debout. » (l. 33-34)

a) De manière implicite, à quoi l'auteur compare-t-il le soldat mort en employant l'expression soulignée ? Justifiez votre réponse. (2 points)

b) Quelle réflexion sur le sort des soldats en temps de guerre cela vous inspire-t-il ? Développez votre réponse. (3 points)

5. Comment la nature apparaît-elle dans le passage ? Développez votre réponse. (6 points)

6. « la boue vous rampe dessus quand on marche dedans. » (l. 15)

Comment se nomme la figure de style utilisée ici pour évoquer la boue ? Quel effet produit-elle sur vous ? Justifiez votre réponse. (3 points)

7. L'affiche délivre-t-elle la même vision de la guerre coloniale que le texte ? Justifiez précisément votre réponse. (6 points)

Grammaire et compétences linguistiques

8. « Il semblait être tombé tout seul, d'un coup, et le claquement sec que nous avions entendu avant qu'il ne tombe devait être la rupture du fil qui le tenait debout. » (lignes 32-34)

a) Relevez dans cette phrase une proposition subordonnée relative et une proposition subordonnée circonstancielle. (2 points)

b) Indiquez la fonction de la proposition subordonnée circonstancielle. (2 points)

9. « Il nous faudra maintenant le porter » (l. 31-32)

a) À quelle classe grammaticale appartient le mot souligné ? (2 points)

b) Que remplace-t-il ? (2 points)

10. Quel est le sujet grammatical du verbe « devait » (l. 34) ? (2 points)

11. « La boue de la rizière colle aux jambes, aspire les pieds, elle se répand sur les mains, les bras, on en trouve jusque sur le front […] » (l. 13-14). Mettez ce passage au passé composé. (5 points)

12. « Et en plus d'être naturellement toxique, cette boue est piégée par ceux que l'on chasse. Parfois elle explose. » (l. 23-25).

Réécrivez ce passage en remplaçant « cette boue » par « ces eaux » et en procédant à toutes les modifications nécessaires. (5 points)

Dictée 10 points • 20 min

Le nom de l'auteur, le titre de l'œuvre, ainsi que « Martiens » sont écrits au tableau au début de la dictée.

Alexis Jenni

L'Art français de la guerre, 2011.

© Éditions Gallimard

Les types là-bas ne nous disent rien. Ils sont plus petits que nous, ils sont souvent accroupis, et leur politesse déconseille de regarder en face. Alors nos regards ne se croisent pas. Quand ils parlent c'est avec une langue qui crie et que nous ne comprenons pas. J'ai l'impression de croiser des Martiens ; et de combattre certains d'entre eux que je ne distingue pas des autres. Mais parfois ils nous parlent : des paysans dans un village, ou des citadins qui sont allés tout autant à l'école que nous, ou des soldats engagés avec nous. Quand ils nous parlent en français cela nous soulage de tout ce que nous vivons et commettons chaque jour. […] Nous regardons leurs femmes qui sont belles comme des voilages, comme des palmes, comme quelque chose de souple qui flotte au vent. Nous rêvons qu'il soit possible de vivre là.

Rédaction 40 points • 1 h 30

Vous traiterez au choix un des deux sujets de rédaction suivants. Votre travail fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).

Sujet d'imagination

Vous aussi, vous vous êtes retrouvé(e) dans un lieu où vous avez ressenti un profond dépaysement, avec un sentiment de malaise. Racontez.

Sujet de réflexion

L'inconnu fait-il nécessairement peur ? Vous proposerez une réflexion organisée en vous appuyant sur vos lectures et vos connaissances personnelles.

 

Les clés du sujet

Analyser les documents

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Traiter le sujet d'imagination

Recherche d'idées

Choisis un lieu dans lequel tu t'es senti dépaysé. Il ne s'agit pas forcément d'un pays étranger : ce peut être un autre quartier, une nouvelle école…

Conseils de rédaction

Prends le temps de décrire le lieu, de le faire exister. Tu peux aussi parler de la faune, des personnes qui y vivent, de leurs coutumes, de leurs habitudes.

Décris les sentiments que tu as ressentis : dépaysement, malaise, angoisse, peur, mais aussi peut-être curiosité, excitation… Utilise pour les exprimer le lexique des sentiments.

Traiter le sujet de réflexion

Recherche d'idées

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : Piste 1; Commence par définir ce que peut être l'inconnu : un autre quartier, une nouvelle école, un pays que l'on ne connaît pas, des paysages où l'on perd ses repères : déserts, profondeurs sous‑marines, autres planètes, immensité de l'espace…; Ligne 2 : Piste 2; Recherche des exemples tirés de tes lectures et/ou de tes connaissances, dans lesquels des hommes – explorateurs, marins, cosmonautes, aventuriers – ont eu à affronter l'inconnu : événements réels (l'expédition de Christophe Colomb, les premiers pas de l'homme sur la Lune…) ou fictifs (les aventures du jeune Jim Hawkins dans L'Île au trésor de Robert Stevenson).;

Conseils de rédaction

Pense à faire un plan avec plusieurs parties. Par exemple :

partie 1 : définition de l'inconnu ;

partie 2 : l'inconnu provoque généralement un sentiment de peur ;

partie 3 : l'inconnu crée de la curiosité et de l'excitation.

Travail sur le texte littéraire et sur l'image

Les réponses doivent être entièrement rédigées.

Compréhension et compétences d'interprétation

 1. Les termes suivants permettent de comprendre que le récit se déroule en temps de guerre : « équipement », « armes », « coup de feu », « piégée », « chasse », « explose ».

 2. Le narrateur donne de l'Indochine l'image d'un pays étranger, angoissant, inhospitalier et hostile, comme pourrait l'être une autre planète.

 3. a) La présence de l'ennemi est très peu évoquée, car celui-ci se terre, se cache, crée des embuscades et attaque par surprise. Et puis, l'ennemi, c'est aussi cette terre inhospitalière dans laquelle s'engluent les soldats.

b) Il y a cependant des indices de cette présence : « C'est là où ils font pousser leur riz », « cette boue est piégée par ceux que l'on chasse », « des pointes de bambou empalent le pied », « un coup de feu part d'un buisson ».

 4. a) L'auteur compare le soldat à une sorte de pantin dont la vie ne tient qu'à un fil comme s'il était manipulé par un marionnettiste (les officiers, les chefs). Le claquement, celui de l'arme à feu, évoque la rupture d'un fil. Le soldat n'est ensuite plus qu'un corps désarticulé, inerte.

b) Les soldats, en temps de guerre, sont trop souvent considérés par les chefs comme de la chair à canon qu'on envoie à la mort. Ils sont condamnés à obéir aux ordres sans avoir voix au chapitre.

 5. La nature apparaît comme extrêmement inhospitalière, hostile, une ennemie tout autant que les soldats adverses.

 6. Il s'agit d'une personnification. La boue semble devenue vivante et attaquer les soldats. Cela crée un effet angoissant voire fantastique.

info +

Une personnification est une figure de style qui consiste à employer un vocabulaire normalement employé pour des êtres vivants pour parler d'une chose.

 7. L'affiche ne délivre pas du tout la même vision de la guerre coloniale que le texte : si le texte est très critique et présente la guerre d'Indochine comme un enfer pour les soldats, l'image est une affiche de propagande cherchant à recruter des hommes pour les troupes coloniales. Tout est fait pour en donner une vision idyllique : le soldat est présenté comme un héros admiré et respecté. Les couleurs sont éclatantes, du blanc immaculé de l'uniforme au bleu du fleuve et du ciel. On est bien loin de l'univers hostile dépeint dans le texte.

Grammaire et compétences linguistiques

 8. a) Proposition subordonnée relative : « que nous avions entendu ».

Proposition subordonnée circonstancielle : « avant qu'il ne tombe ».

b) Il s'agit d'une subordonnée circonstancielle de temps.

9. a) Il s'agit d'un pronom personnel.

b) Il remplace le groupe nominal « cet homme couché ».

 10. Le sujet grammatical du verbe « devait » est le groupe nominal suivant : « le claquement sec que nous avions entendu avant qu'il ne tombe ».

 11. Les modifications sont en couleur.

La boue de la rizière a collé aux jambes, a aspiré les pieds, elle s'est répandue sur les mains, les bras, on en a trouvé jusque sur le front […].

 12. Les modifications sont en couleur.

Et en plus d'être naturellement toxiques, ces eaux sont piégées par ceux que l'on chasse. Parfois elles explosent.

Dictée

point méthode

1 Attention à l'accord des participes passés :

employé avec le verbe être, le participe passé s'accorde avec le sujet : accroupis (ils), allés (qui utilisés pour des citadins) ;

employé comme adjectif, il s'accorde avec le nom qu'il qualifie : engagés (des soldats).

2 Attention à l'orthographe de tout :

le premier tout est un adverbe (= tout à fait autant) : il est invariable ;

le deuxième tout est un pronom (= tout cela). Il est au singulier.

Les types là-bas ne nous disent rien. Ils sont plus petits que nous, ils sont souvent accroupis, et leur politesse déconseille de regarder en face. Alors nos regards ne se croisent pas. Quand ils parlent c'est avec une langue qui crie et que nous ne comprenons pas. J'ai l'impression de croiser des Martiens ; et de combattre certains d'entre eux que je ne distingue pas des autres. Mais parfois ils nous parlent : des paysans dans un village, ou des citadins qui sont allés tout autant à l'école que nous, ou des soldats engagés avec nous. Quand ils nous parlent en français cela nous soulage de tout ce que nous vivons et commettons chaque jour. […] Nous regardons leurs femmes qui sont belles comme des voilages, comme des palmes, comme quelque chose de souple qui flotte au vent. Nous rêvons qu'il soit possible de vivre là.

Rédaction

Voici un exemple de rédaction sur chacun des deux sujets.

Attention les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur ta copie.

Sujet d'imagination

[Introduction] Pour les vacances d'été, cette année-là, ma famille et moi avions loué une maison traditionnelle au cœur d'une petite ville du sud marocain.

conseil

Tu peux inventer un lieu, mais veille à rester crédible : écarte tout récit de science-fiction.

[Découverte du lieu] À peine sortis de la voiture, nous avions été entourés d'enfants qui nous dévisageaient avec curiosité. Le quartier n'avait rien de touristique. Notre maison se trouvait dans la kasba. Pour y accéder, il avait fallu passer une porte voûtée ménagée dans la muraille de couleur ocre qui ceignait le cœur de la ville. Plusieurs fois par jour, le chant du muezzin retentissait en provenance du minaret de la mosquée voisine.

[Impressions : dépaysement, malaise] Les premiers jours, le sentiment de dépaysement était intense. Les habitants du quartier nous regardaient avec suspicion et nous avions l'impression d'être des intrus. Nous sentions qu'il était difficile de communiquer avec nos voisins que nous croisions fort peu. Les femmes étaient pour la plupart voilées et nous étions mal à l'aise dans nos vêtements d'été. Pour aller à la piscine d'un palais voisin devenu un hôtel, nous devions longer les murailles de la ville : nous sentions alors les regards braqués sur nous, curieux, bienveillants ou hostiles, il était difficile de le savoir. Nous essayions de nous faire discrets.

Peu à peu, les habitants du quartier finirent par nous accepter. L'animosité fit place à des échanges amicaux. L'impression de malaise disparut : nous n'étions plus des intrus.

[Conclusion] Je garde de ces vacances le souvenir ému d'avoir su nous intégrer à cette vie locale si différente de la nôtre.

Sujet de réflexion

conseil

N'oublie pas de présenter la question en introduction.

[Introduction] L'inconnu fait-il nécessairement peur ? Peut-on partir vers l'inconnu sans appréhension ?

[Définition de l'inconnu] Qu'est-ce que l'inconnu ? Ce que l'on ne connaît pas. Ce peut être le quartier voisin, une ville si l'on vit à la campagne, la campagne si l'on est un citadin, un autre pays où les coutumes et la langue sont différentes, un paysage qui semble inhospitalier, une rencontre : toute situation où l'on perd ses repères.

[La peur devant l'inconnu] Je pense que partir vers l'inconnu ne peut se faire sans appréhension, inquiétude, voire angoisse, car c'est se préparer à affronter une situation, des périls peut-être, que l'on ne connaît pas. Cette peur est nécessaire, car elle permet de rester vigilant, d'essayer de prévoir les dangers afin d'être prêt à les surmonter.

L'expédition de Christophe Colomb parti vers l'ouest à la recherche d'une nouvelle route maritime était très risquée, tant à cause des tempêtes, des risques de naufrage que parce qu'il n'existait aucune carte de cette partie du monde. Les membres de l'équipage n'étaient pas sûrs de revenir. Christophe Colomb ignorait d'ailleurs qu'il allait découvrir un « Nouveau Monde » inconnu des Européens, lui qui espérait atteindre les Indes.

L'espace, de même, a longtemps été source d'angoisse. Les récits de science-fiction ont exploité la peur de l'inconnu en mettant en scène des dangers, des périls venus d'autres planètes et qui viendraient menacer l'humanité, comme dans La Guerre des mondes de H. G. Wells. Si l'exploration spatiale et les connaissances scientifiques ont apaisé certaines de ces peurs, l'infinité de l'espace continue de nourrir les angoisses de l'homme.

[La curiosité et l'excitation devant l'inconnu] Cependant, s'il n'y avait que la peur, bien peu auraient pris le risque de partir explorer les mondes inconnus. C'est la curiosité, le désir de découverte, l'exaltation aussi face au danger, qui amènent l'homme à quitter son univers familier pour se faire aventurier. Tous les explorateurs, navigateurs ou encore astronautes ont dû ressentir cette poussée d'adrénaline, ce mélange de peur, de curiosité et d'euphorie au moment de se lancer dans l'inconnu pour ce qui pouvait être un voyage sans retour. Les premiers pas de l'homme sur la lune restent un des événements majeurs de l'histoire de l'humanité, tout comme la découverte de l'Amérique en 1492 par Christophe Colomb.

conseil

En conclusion, fais la synthèse de ton développement. L'inconnu provoque des sentiments ambivalents : peur, mais aussi curiosité et excitation.

[Conclusion] Pour conclure, je dirais que l'inconnu provoque un sentiment ambigu : une certaine appréhension, peur, voire angoisse, face à des dangers réels ou imaginaires ; mais aussi une vive curiosité et le désir de vivre des aventures exaltantes.

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