France métropolitaine 2022 • Contraction – Essai
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France métropolitaine, juin 2022 • Contraction – Essai
Peinture des Hommes et souci du vrai
Intérêt du sujet • Ce sujet permet de comprendre la spécificité du portrait littéraire et d’en saisir les enjeux.
1. Contraction • Vous résumerez ce texte en 202 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 182 mots et au plus 222 mots.
Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.
2. Essai • Peindre les Hommes, est-ce toujours avoir « le souci d’être vrai » ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur le chapitre « De l’Homme » des Caractères de La Bruyère, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du xvie siècle au xviiie siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.
document
Essayons de définir ce qui distingue le portrait littéraire du portrait tout court. Le portrait non littéraire le plus simple, c’est le portrait photographique. Le photographe amateur dispose d’un instrument commode, prêt, dans certaines conditions faciles à réunir, à remplir sa tâche essentielle qui est d’isoler un moment du temps, de fixer un instant qu’on se flatte ainsi d’arracher à la durée, au flux incessant des choses. Il satisfait le très vieux rêve de lutter contre la menace permanente de la désagrégation1. Le photographe amateur n’est cependant pas hostile au temps. Il serait plutôt complice de la durée, car il pense que certaines minutes sont si privilégiées, certains instants si parfaits qu’il convient de fixer leur valeur éphémère sans les dénaturer, sans leur faire perdre leur précieuse qualité temporelle. Le photographe amateur est en outre un être sensible. Un sentiment d’affection, d’amour ou d’amitié, le pousse. Il éprouve, en photographiant, le désir de fixer dans un certain décor, dans une certaine toilette, dans une certaine minute, la femme ou l’enfant aimé.
Le portrait plastique, peinture, pastel, dessin, gravure, sculpture même, implique souvent aussi un sentiment analogue. Il existe des peintres, des artistes amoureux, respectueux ou admirateurs de leur modèle. La passion, la ferveur conduisent fréquemment le pinceau du peintre ou le ciseau du sculpteur. Mais il y a loin de l’appareil photographique à la main frémissante de l’artiste, libre de satisfaire aux mouvements du cœur, d’user à son gré du raccourci, de la stylisation pour mettre en valeur les traits contemplés avec amour. Le portrait plastique est très différent de la photographie sous le rapport du temps. Il ne vise pas à fixer l’éphémère, son but est au contraire d’éliminer l’accidentel et le passager, de laver le visage humain des marques de l’instant. Le portraitiste s’efforce de dégager la valeur intemporelle d’une âme ou d’une apparence humaine, de les soustraire aux variations de la durée. Le portrait plastique est le résultat d’un travail de synthèse, une somme des instants qui modelèrent un visage, le raccourci d’une vie traversée par les succès et les échecs, par les douleurs et par les joies. Certains portraits nous donnent plus que le résumé d’une vie et d’un être, ils nous livrent en même temps l’image d’une époque et d’une civilisation.
On n’a pas toujours besoin d’une matérialisation de l’image. Chacun de nous porte en soi l’image d’êtres qui furent capables un jour d’éveiller notre intérêt ou notre passion. Ce portrait imaginaire, aussi réel que les autres, est fait parfois de la synthèse de plusieurs moments, mais le plus souvent le modèle reste fixé une fois pour toutes dans notre mémoire à l’âge et sous l’apparence qui déclenchèrent l’émotion.
Le portrait littéraire, de toute évidence, est très proche du portrait imaginaire, sous le rapport de la passion, du moins. L’amour ou la haine guide la plume du mémorialiste. Comme le portrait imaginaire et comme le portrait plastique, le portrait littéraire obéit au souci d’opérer une synthèse des moments heureux, le résumé d’une époque ou d’une civilisation dans sa fleur2. D’où le recours aux mêmes procédés de stylisation et de déformation pour aboutir au même résultat, à la confection d’une image soustraite à l’action pernicieuse3 du temps. L’essentiel, c’est d’exécuter pour soi et pour les autres un portrait éternel, éternel et non pas instantané, mais d’une éternité qui porte quand même sa date, celle de la perfection de l’âge et de la vie.
Comme le portrait imaginaire encore, le portrait littéraire peut naître sous l’impulsion de la haine. L’écrivain éprouve le désir de laisser au jugement de la postérité l’image d’un être exécrable4. En dessinant le portrait d’un ennemi, l’écrivain assouvit sa haine ; il l’entretient chaque fois qu’il relit son écrit ou qu’il le fait lire à d’autres. Stylisation et déformation l’aideront à composer la caricature odieuse ou grotesque.
Le caractère le plus spécifique enfin du portrait littéraire est le souci de la vérité. Les amoureux, les polémistes, même guidés par l’amour et la haine, ont le respect de la vérité ; un mémorialiste ou un historien qui se pique d’impartialité5 a le souci d’être vrai, même si la passion le pousse à déformer inconsciemment les caractères et les faits. Un portrait exécuté dans cette intention visera nécessairement à exprimer l’essence des modèles dans leur apparence physique et leur personnalité morale. L’instrument le plus propre est alors l’intelligence, qui permet de pénétrer par la psychologie l’être éternel parfois dissimulé sous l’apparence et de le restituer aux regards d’autrui.
D’après Henri Amer, « Littérature et portrait, Retz, Saint-Simon, Chateaubriand, Proust », revue Études françaises, mai 1967.
1. Désagrégation : décomposition, destruction.
2. Dans sa fleur : à son plus haut degré de développement.
3. Pernicieuse : ici destructrice.
4. Exécrable : détestable, odieux.
5. Se pique d’impartialité : affirme, revendique son objectivité.
Les clés du sujet
Observer le texte à contracter
Chercher des idées pour l’essai
1. La peinture des Hommes repose souvent sur une recherche de vérité
Donnez des exemples des Caractères de La Bruyère ou d’autres œuvres du xviie siècle qui tendent, par la description de types humains, à l’universalité.
Montrez, à l’aide d’exemples passés et/ou contemporains, comment la peinture des Hommes éclaire le fonctionnement d’une époque.
Expliquez le lien entre ce « souci d’être vrai » et le désir d’instruire.
2. Mais cette peinture peut avoir d’autres motivations
Nuancez en expliquant que l’écrivain qui peint les Hommes exprime avant tout sa sensibilité, un regard particulier sur le monde.
Trouvez des exemples où l’évocation des comportements vise à faire rire ou à susciter l’indignation.
Réfléchissez à l’idée que la peinture des Hommes peut aussi obéir à des intentions moins louables (recherche du succès, voyeurisme…). Vous pouvez donner des exemples contemporains non-littéraires.
1. Contraction
Le portrait littéraire est singulier. Distinguons-le d’abord du portrait photographique, qui permet, au moyen d’une technique accessible à tous, d’isoler et de fixer un instant privilégié. En représentant des êtres aimés dans un espace et à un moment particulier de leur existence, le photographe exprime sa sensibilité [50].
Les arts plastiques, quant à eux, permettent à des artistes enthousiastes de concevoir de leurs mains des portraits, dont la priorité n’est pas l’exactitude, mais l’embellissement, quitte à user de simplifications. Le rapport au temps est aussi différent : leur objectif est d’atteindre l’intemporel en proposant [100] un condensé de tous les instants d’une existence.
Un portrait peut rester une simple image mentale : c’est le portrait imaginaire – synthétique ou instantané – que nous composons et mémorisons après la rencontre marquante d’un être.
à noter
Observez bien les indices énonciatifs du texte (pronoms personnels, modes et temps verbaux) et veillez à les restituer dans votre contraction.
C’est également la sensibilité qui guide l’écrivain dans la création d’un [150] portrait littéraire, lequel condense et stylise les instants emblématiques d’une vie. Ce portrait, à l’instar du portrait plastique et imaginaire, vise un caractère intemporel, tout en reflétant l’époque.
Cependant, ce qui le caractérise avant tout, c’est la recherche de vérité. L’écrivain entend dévoiler, au-delà [200] des apparences, la nature profonde, physique et morale, de l’être portraituré. Ce travail requiert une grande intelligence psychologique.
219 mots
2. Essai
Les titres des parties ne doivent pas figurer dans votre copie.
Introduction
La peinture des Hommes est au cœur de la production littéraire du xviie siècle, que cela soit dans Les Caractères de La Bruyère, les Fables de La Fontaine ou les comédies de Molière. Toutefois, comme le suggère le titre de l’ouvrage d’Henri Amer, « Littérature et portrait, Retz, Saint-Simon, Chateaubriand, Proust », cette thématique n’est pas l’apanage des moralistes classiques. Mais cette peinture des Hommes, si présente dans la littérature, obéit-elle toujours « au souci d’être vrai » ? Nous défendrons d’abord la thèse d’Henri Amer à travers différents exemples, pour envisager ensuite d’autres motivations pouvant animer les « peintres » de la nature humaine.
I. La peinture des Hommes repose souvent sur une recherche de vérité
L’expression « peindre les Hommes », figurant dans le sujet, est à prendre au sens figuré : elle renvoie aux nombreux portraits humains que la littérature offre au cours des siècles, et notamment aux Caractères de La Bruyère dont la première publication date de 1688. Ce recueil, corrigé et enrichi par l’auteur tout au long de sa vie, présente une vaste collection de réflexions, maximes et portraits inspirés des Caractères du grec Théophraste (ive siècle av. J.-C.). Le livre XI affiche l’ambition anthropologique de l’auteur de décrire la nature humaine dans toute sa vérité.
Même si les contemporains de La Bruyère pouvaient sans doute reconnaître les individus visés par les portraits, ceux-ci cherchent d’abord à peindre des types humains universels. Ainsi, le portrait d’Argyre (83) qui « rit des choses plaisantes ou sérieuses pour faire voir de belles dents » représente le type même de la coquette, qui peut traverser les siècles et nous rappeler aujourd’hui la célèbre personnalité Nabilla ! De même, Gnathon (121) – qui « ne vit que pour soi » et qui est fort impoli lors des repas en faisant de la table « un râtelier » – fait penser à toutes les personnes égoïstes et sans éducation que nous pouvons rencontrer dans notre entourage.
des points en +
L’humaniste Montaigne adopte, lui, le projet de « se peindre » lui-même dans ses Essais (1580), mais déclare œuvrer ainsi à la peinture de tous les hommes : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » (Essais, III, 2)
Usant fréquemment de termes génériques et du présent de vérité générale, La Bruyère tente ainsi, tout au long de ce livre, de cerner au plus près l’être humain à travers les différents âges de la vie : l’enfance, la maturité, la vieillesse.
Cette peinture des hommes permet d’éclairer l’époque. La Bruyère, à travers ses portraits, dessine ainsi en creux la figure idéale de l’honnête homme du xviie siècle, qui refuse les excès et recherche l’harmonie. Dans la remarque 78 par exemple, la violence de la calomnie est décrite comme « une chose monstrueuse », engendrant une vive colère chez les victimes qui se sentent injustement méprisées et humiliées.
À l’époque classique, le « souci d’être vrai » procède souvent du désir d’instruire. Dans sa préface aux Caractères, La Bruyère affirme qu’« on ne doit parler, on ne doit écrire que pour l’instruction ». De même, les Fables de La Fontaine, où les travers humains sont plaisamment attribués à des animaux, entendent conjuguer le divertissement et la réflexion : ainsi, la cigale dépensière et inconséquente, et l’économe fourmi (« La Cigale et la Fourmi », livre I) nous invitent à méditer sur notre manière de vivre.
II. Mais cette peinture peut avoir d’autres motivations
L’écrivain qui peint les Hommes n’a toutefois pas vocation à se substituer à un scientifique : il décrit les hommes et la société à travers le prisme de sa sensibilité, un philtre embellissant ou déformant selon le cas, comme le mentionne Henri Amer dans son texte.
conseil
N’hésitez pas à faire référence au texte de la contraction pour soutenir votre propos ou exprimer votre désaccord avec la thèse défendue.
Le romancier naturaliste Émile Zola affiche ainsi, dans ses romans, sa volonté de rendre compte de la réalité par une observation précise des hommes et des mécanismes sociaux, mais il le fait aussi en exprimant une vision particulière du monde. Le personnage de Nana, dans le roman éponyme publié en 1880, n’est pas seulement le portrait d’une prostituée. Il incarne aussi la théorie de l’hérédité défendue par Zola et sa vision pessimiste de la société. À la fin du roman, l’auteur décrit le cadavre en décomposition de Nana par une brève phrase qui révèle la dimension allégorique du personnage : « Vénus se décomposait. »
D’autres auteurs veulent avant tout faire réagir leurs lecteurs. La peinture exacte des Hommes passe alors au second plan, au profit de procédés de persuasion destinés à amuser, choquer ou indigner. Dans Tartuffe (1669), Molière met en œuvre un comique de caractère qui dévoile toute l’hypocrisie du personnage : ce dernier feint en effet le zèle religieux en s’indignant devant le décolleté trop prononcé de la domestique, mais n’hésite pas à séduire sans scrupule la femme de son hôte.
Pour finir, quittant le domaine de la littérature, on peut évoquer les émissions de téléréalité contemporaines. En suivant au quotidien des personnes anonymes ou des célébrités, plongées dans un cadre et des situations imposées par les producteurs des émissions, celles-ci ambitionnent en effet d’offrir une sorte de miroir grossissant de la société et des relations humaines. Mais l’objectif initial de ces émissions semble être dépassé au profit d’objectifs plus contestables : ces spectacles choisissent leurs participants pour faire de l’audimat et n’hésitent pas à accentuer et à exhiber les pires travers sans aucune visée morale.
Conclusion
Les auteurs classiques ou les romanciers réalistes du xixe siècle, qui tous entreprennent de peindre les Hommes, sont d’abord animés par le « souci d’être vrai ». Mais leurs œuvres sont d’autant plus convaincantes qu’elles conjuguent cet objectif avec l’affirmation d’un regard artistique. Les dérives contemporaines de la téléréalité, qui prétend elle aussi « être vraie », ne doivent pas occulter l’intérêt qu’offrent les « portraits littéraires » qui permettent au lecteur de mieux se connaître et de s’interroger sur ses valeurs.