Centres étrangers 2023 • Dissertation
Sprint final
42
phiT_2306_06_02C
Centres étrangers • Juin 2023
Peut-on s’accorder sur ce qui est juste ?
dissertation
Intérêt du sujet • Bien souvent, les partisans comme les adversaires d’une loi se réclament d’une même exigence de justice. Mais comment est-ce possible ? La justice d’une loi est-elle subjective et sujette à interprétation ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Peut-on s’accorder sur
S’accorder sur une chose peut signifier être d’accord, ne pas avoir de divergences.
Mais s’accorder peut également vouloir dire résoudre un conflit, soit en trouvant un compromis, soit en mettant fin à une discordance.
Il s’agit donc de savoir s’il est possible de définir le juste, ou s’il peut faire l’objet d’un compromis.
Ce qui est juste
Ce qui est juste relève de la justice, l’institution garante de l’application des lois juridiques.
En un deuxième sens, il s’agit d’une norme morale et politique qui définit ce qui doit être (un acte ou une loi doivent être justes). Ce qui est juste peut alors être conforme au principe d’égalité (à chacun la même chose) ou au principe d’équité (à chacun ce qui lui revient).
Cette norme du juste peut être considérée comme issue de la nature, inscrite dans l’essence de l’homme, selon le droit naturel, ou bien purement conventionnelle selon le droit positif.
Dégager la problématique
Construire un plan
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Reformulation du sujet] Il s’agit de savoir s’il nous est possible d’être d’accord ou de nous mettre d’accord sur ce que seraient des actes ou des lois justes, ou sur un critère de détermination du juste. Quand je dis : « c’est injuste », j’ai conscience d’exprimer un jugement personnel qui s’impose pourtant à moi avec la force de l’évidence. Mais l’injustice et la justice ne sont-elles que des sentiments ? [Définition des termes du sujet] S’accorder peut signifier à la fois être d’accord sur une chose, ou résoudre un conflit soit par un compromis, soit par la résolution d’une discordance. Ce qui est juste désigne ce qui est conforme à la justice, l’institution garante de l’application des lois juridiques, ou à une norme morale et politique qui définit ce qui doit être. [Problématique] Il s’agit donc de savoir s’il existe des critères permettant d’établir cette justice, c’est-à-dire si ce qui est juste peut l’être en soi, ou bien si au contraire une loi ou un acte ne peuvent jamais être justes que pour moi. [Annonce du plan] Nous verrons dans un premier temps qu’il n’y a pas d’unanimité sur ce qui est juste, avant de poser la nécessité d’un accord, puis d’envisager des critères possibles de justice.
1. Il n’y a pas d’unanimité possible sur ce qui est juste
Le secret de fabrication
Vous devez définir tous les termes du sujet. Ce plan repose sur la polysémie de la formule « s’accorder sur » : selon qu’il s’agit d’un accord unanime, d’un compromis ou d’un effort pour parvenir à un accord, la réponse varie.
A. Chacun est la mesure du juste
Dans un premier temps, on pourrait penser qu’il n’y a pas d’accord possible sur ce qui est juste. De fait, dire : « c’est juste », c’est porter un jugement, évaluer une chose depuis sa propre subjectivité ou depuis sa propre culture. « Plaisante justice que celle qu’une rivière borne », dit Pascal dans les Pensées : autrement dit, il semble qu’il n’existe aucun principe absolu de justice, dès lors que les lois juridiques diffèrent selon les pays. Tout au plus, cet accord peut-il désigner un consensus propre à un certain groupe.
B. La justice est l’objet d’un conflit
Mais si les lois juridiques sont des règles relatives, leur justice est donc elle-même matière à caution. Il faut en effet distinguer ce qui est légal, c’est-à-dire conforme à la loi juridique, de ce qui est légitime, entendu comme conforme à cette norme morale qu’est la justice. C’est précisément un conflit entre ces deux représentations du juste que met en scène Sophocle dans Antigone, à travers l’opposition entre Créon, figure de la légalité, et Antigone, qui entend lui résister légitimement au nom des « lois non écrites et immuables » qui, dit-elle, prévalent sur les particularités des lois juridiques. Ce qui est juste, dit Antigone, c’est la loi morale universelle, commune à tous les hommes, qui leur prescrit en l’espèce de respecter les morts.
à noter
Dans Antigone, le roi de Thèbes, Créon, promulgue une loi interdisant de donner une sépulture à Polynice, frère d’Antigone, qui a trahi sa patrie. Antigone enterre son frère, désobéissant ainsi à la loi au nom, dit-elle, de la « Justice ».
[Transition] Mais comment démontrer l’existence de cette justice plus haute que celle des hommes dont parle Antigone ? Le juste peut-il vraiment être évalué selon une norme universelle ?
2. Nous avons besoin de nous accorder sur ce qui est juste
Le secret de fabrication
Dans cette partie, « peut-on s’accorder sur » signifie : peut-on établir un compromis.
A. Ce qui est juste, c’est ce qui nous est utile
Le droit dont se réclame Antigone, observe Aristote dans la Rhétorique, est en réalité un « droit naturel » : nous aurions tous en nous un « sentiment naturel et commun » de justice, susceptible de nous fournir des principes d’action.
Mais comment s’accorder sur le fait que de tels principes existent en nous, de façon innée ? Dans l’Essai sur l’entendement humain, Locke montre que si toute communauté humaine obéit à des principes de justice comme le principe d’égalité (à chacun la même chose) ou d’équité (à chacun selon son besoin, son mérite…), ce n’est pas parce que la justice est une valeur morale innée et donc universelle, mais parce que les règles de justice sont utiles à la conservation de toute communauté.
B. Ce qui est juste, c’est ce qui est conforme à nos intérêts
Ainsi, si nous pouvons nous mettre d’accord, à l’intérieur d’un groupe, sur ce qui est juste, ce n’est pas parce que nous pouvons nous référer à cette norme morale universelle que serait la justice, mais seulement parce que nous avons besoin de le faire. Nous devons donc élaborer nous-même les règles qui nous permettront de distinguer le juste de l’injuste.
Dans Humain, trop humain, Nietzsche souligne ainsi le caractère illusoire d’un acte juste que l’on définirait comme un acte désintéressé, fait en vertu d’un sens inné de la justice. En réalité, ce qui est juste a fait l’objet d’une « négociation », d’une « entente » entre les parties et résulte donc d’un calcul d’intérêt, d’un souci d’équilibre.
[Transition] Mais si nous avons besoin de déterminer ce qui est juste et injuste, comment faire pour nous accorder sur des critères de justice ? Ne peut-on du moins trouver une méthode pour cela ?
3. Nous pouvons nous accorder sur des critères de justice
Le secret de fabrication
Dans cette partie, « peut-on s’accorder sur… » signifie : est-il possible de faire un effort pour tomber d’accord.
A. Nous avons une même aspiration à la justice
Si nous pouvons nous mettre d’accord sur la justice d’une loi ou d’un acte, c’est peut-être parce qu’il existe en nous une aspiration naturelle à la justice, qui nous est commune. C’est ce que démontre Rousseau, en identifiant notre désir naturel de justice à cette tendance essentielle en nous qu’il appelle la pitié.
C’est en vertu de ce sentiment naturel que nous sommes enclins à vouloir épargner les plus faibles. Cette tendance est le fondement à la fois de notre aptitude morale et de notre aspiration à la justice sociale. Mais comment faire pour établir des critères communs selon lesquels nous pourrions tous juger qu’une loi, un acte ou une organisation sociale sont justes ?
B. Il y a des critères objectifs de justice
Dans la Théorie de la justice, Rawls imagine une théorie dite du « voile d’ignorance » : pour savoir si une loi est juste, nous devons nous imaginer ignorants des conditions biologiques et sociales de notre vie. Cela nous permettrait d’atteindre une forme de neutralité grâce à laquelle nous serions capables de vouloir des règles équitables.
l’auteur
John Rawls (1921-2002).
Rawls tient la justice pour le fondement de toute réflexion politique, tout comme la vérité est au fondement de toute démarche consistant à connaître.
Cette théorie fait apparaître deux principes fondamentaux de justice : une règle est juste si elle nous permet d’obtenir un système de liberté compatible avec celui des autres, et si les inégalités économiques se produisent dans un contexte d’égalité des chances. Pour Rawls, une société juste établit en particulier un consensus entre les plus favorisés et les plus défavorisés.
Conclusion
En définitive, si la diversité des lois juridiques fait apparaître une relativité des règles de justice, il semble pourtant, qu’au-delà de la référence à une norme morale incertaine, nous puissions reconnaître en nous une aspiration commune à la justice. Il est donc nécessaire de nous mettre d’accord sur des règles de justice à portée générale, en définissant les critères du juste. S’il est possible d’établir un consensus sur ces critères, il reste à faire l’effort d’évaluer correctement chaque acte et chaque organisation sociale.