Ponge, La rage de l’expression
ORAL
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Sujet d’oral • Explication & entretien
Ponge, La rage de l’expression, « La guêpe »
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.
document
Hyménoptère1 au vol félin, souple, – d’ailleurs d’apparence tigrée –, dont le corps est beaucoup plus lourd que celui du moustique et les ailes pourtant relativement plus petites mais vibrantes et sans doute très démultipliées, la guêpe vibre à chaque instant des vibrations nécessaires à la mouche dans une position ultracritique (pour se défaire du miel ou du papier tue-mouches, par exemple).
Elle semble vivre dans un état de crise continue qui la rend dangereuse. Une sorte de frénésie ou de forcènerie2 – qui la rend aussi brillante, bourdonnante, musicale qu’une corde fort tendue, fort vibrante et dès lors brûlante ou piquante, ce qui rend son contact dangereux.
Elle pompe avec ferveur et coups de reins. Dans la prune violette ou kaki, c’est riche à voir : vraiment un petit appareil extirpeur particulièrement perfectionné, au point. Aussi n’est-ce pas le point formateur du rayon d’or qui mûrit, mais le point formateur du rayon (d’or et d’ombre) qui emporte le résultat du mûrissement.
Miellée, soleilleuse ; transporteuse de miel, de sucre, de sirop ; hypocrite et hydromélique. La guêpe sur le bord de l’assiette ou de la tasse mal rincée (ou du pot de confiture) : une attirance irrésistible. Quelle ténacité dans le désir ! Comme elles sont faites l’une pour l’autre ! Une véritable aimantation au sucre.
Francis Ponge, La rage de l’expression, « La guêpe », 1952, © Éditions Gallimard.
1. Hyménoptère : insecte qui possède quatre ailes membraneuses.
2. Forcènerie : folie furieuse.
2. question de grammaire.
« Miellée, soleilleuse ; transporteuse de miel, de sucre, de sirop ; hypocrite et hydromélique. » (l. 17-18). Étudiez la construction de la phrase et l’accord des adjectifs.
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Adoptez un ton quasiment scientifique, celui d’un poète entomologiste, décrivant avec une grande précision l’insecte observé.
Le texte exprime aussi une certaine forme d’admiration : tenez-en compte, notamment dans les phrases exclamatives de la fin de l’extrait.
Attention, certaines phrases sont longues : appuyez-vous sur les virgules et tirets, mais aussi sur les conjonctions de coordination et mots subordonnants pour marquer des pauses aux bons endroits.
Situer le texte, en dégager l’enjeu
Intéressez-vous aux caractéristiques de la guêpe sur lesquelles Ponge insiste. Quelles sont les qualités essentielles de cet insecte ?
Quel regard le poète pose-t-il sur la guêpe ? Montrez d’où provient sa fascination.
Prenez garde au rythme des phrases et à leur construction, qui peuvent produire des effets de style et faire varier les sensations ressenties par le lecteur.
2. La question de grammaire
À quel type de phrase avons-nous affaire ? Que doit-on rechercher pour comprendre comment fonctionne l’accord de ces adjectifs ?
Quelles sont les différentes façons dont cet accord est marqué à l’écrit ? Expliquez aussi d’où vient l’absence de marque d’accord visible pour certains adjectifs.
1. L’explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Au xixe puis au xxe siècle, la poésie est profondément renouvelée dans ses thèmes et ses formes. Francis Ponge se demande notamment en 1952, dans La rage de l’expression, comment mettre son regard à la fois scientifique et artistique au profit d’une écriture poétique, en tentant une poésie plus impersonnelle, prenant le parti des « choses ». [Situer le texte] Dans l’une des sections du recueil, le poète exerce son obsession de l’exactitude sur la guêpe, en essayant d’analyser et de décrire cet insecte dans ses moindres détails. [En dégager l’enjeu] Comment cette description se traduit-elle par une représentation dynamique de l’insecte, à mi-chemin entre la science et la poésie ?
Explication au fil du texte
Un insecte vibrant et menaçant (l. 1-11)
Dès le début de l’extrait, le poète fait preuve de précision scientifique, en signalant sa classification (ordre taxinomique) : celle des « hyménoptères ».
Cependant, cette entrée en matière très érudite est immédiatement tempérée par la métaphore « vol félin », filée par l’« apparence tigrée », qui témoigne de l’art littéraire de l’auteur. La guêpe semble partager des caractéristiques avec le chat : Ponge s’amuse à brouiller la classification du vivant.
Poursuivant son souci de précision scientifique, le poète se transforme en un véritable entomologiste. Les caractéristiques physiques de l’insecte sont détaillées, mais surtout comparées à d’autres : ainsi du corps « plus lourd que celui du moustique » ou des ailes « relativement plus petites ».
La description tend alors à se focaliser sur les ailes de la guêpe et leur vibration, dans une phrase qui s’allonge comme pour y faire entrer toutes les informations nécessaires à la bonne compréhension de la chose étudiée. Le polyptote « vibrantes […] vibre […] vibrations » rythme la description et met en valeur cette qualité essentielle de l’animal, comme si c’était elle, avant tout, qui la définissait en tant qu’être vivant.
Or, le poète souligne la permanence de la vibration chez l’animal. Ce qui, chez « la mouche » (nouvelle comparaison), n’est que ponctuel (« dans une position ultracritique ») est chez la guêpe un état constant.
Dans le deuxième paragraphe, Ponge poursuit cette étude de caractère de la guêpe, étroitement liée à sa constitution physique. L’état de « crise continue » dans lequel elle se trouve, comme face à un danger mortel, « la rend dangereuse ».
La guêpe s’éloigne ainsi des autres insectes par un trait singulier : celui d’être constamment agressive et à l’affût. Les termes hyperboliques « forcènerie » et « frénésie », qui personnifient l’animal, démontrent son intensité et sa violence.
info
Ponge utilise des termes rares ou archaïques : « forcènerie », « extirpeur », « soleilleuse »… La richesse du vocabulaire est un élément constitutif de son art.
La poésie vient à ce moment souligner le danger représenté par la guêpe, mais aussi l’étrange fascination qu’elle peut exercer sur le poète comme sur le lecteur. La comparaison imagée « aussi brillante, bourdonnante, musicale qu’une corde fort tendue, fort vibrante et dès lors brûlante ou piquante », rythmée par la musicalité de l’homéotéleute (répétition d’une syllabe finale) en « -ante », mélange les sensations visuelles et auditives produites par l’insecte, où la beauté se mêle à la menace.
Le poème en prose prend une dimension didactique. La dangerosité de la guêpe est développée dans le paragraphe entier : répétition de l’adjectif « dangereux », lexique de la nocivité (« brûlante », « piquante », « frénésie », « forcènerie »). Le paragraphe se clôt sur un avertissement de bon aloi : « ce qui rend son contact dangereux ».
Le spectacle de l’attraction au sucre (l. 12-21)
Dans la seconde partie de l’extrait, Ponge décrit la guêpe en action, en train de se nourrir d’un fruit. L’expression « avec ferveur et coups de reins » évoque une certaine sensualité : le lien entre l’insecte et sa nourriture semble relever d’un rapport charnel.
Fasciné, le poète mesure sa chance d’observer un tel spectacle : « c’est riche à voir ». Les adverbes « vraiment » et « particulièrement » insistent sur le caractère magnétique de cet acte, qui met en jeu un organe anatomique impressionnant (périphrase « un petit appareil extirpeur »).
Comme à son habitude dans le recueil, le poète met à profit la répétition et ses variations, et corrige sa propre expression poétique. Ainsi, le « rayon d’or » (métaphore qui sublime la pulpe de la prune), devient un rayon « d’or et d’ombre » (écho aux couleurs – jaune et noir – de l’insecte) emportant « le résultat du mûrissement » : on croirait voir le sucre s’écouler lentement du fruit vers la guêpe.
La guêpe est alors redéfinie par le poète. Son essence ne réside plus seulement dans sa vibration, mais également dans sa symbiose avec le sucre : au sein d’une phrase averbale, elle est décrite comme « Miellée, soleilleuse ; transporteuse de miel, de sucre, de sirop ; hypocrite et hydromélique ». L’insecte et la substance ne font plus qu’un, fusionnent dans un même corps, comme si c’était leur finalité respective.
La description se transforme poétiquement : l’absence de verbes conjugués dans les premières phrases du quatrième paragraphe fait naître des impressions visuelles, des sensations données par petites touches, qui font l’objet de variations successives, comme dans des notes littéraires au brouillon prises sur le vif : « La guêpe sur le bord de l’assiette ou de la tasse mal rincée (ou du pot de confiture) ».
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La prise de notes est l’une des méthodes défendues par Ponge pour atteindre la vérité et l’authenticité de l’objet décrit.
Le poète laisse alors libre cours à son admiration pour l’insecte observé dans les trois dernières phrases du paragraphe. Cet enthousiasme se traduit par des phrases exclamatives qui ponctuent avec délectation la fin de l’extrait : « Quelle ténacité dans le désir ! Comme elles sont faites l’une pour l’autre ! » Le sucre et la guêpe semblent désormais indissociables.
Le poète conclut cet extrait par un retour à la science dans la dernière phrase. Le terme à la fois scientifique et métaphorique « aimantation » explique le comportement de la guêpe, qui ne fait qu’obéir à sa nature même, et explicite le désir instinctif qui la pousse à agir.
Conclusion
[Faire le bilan de l’explication] Ainsi, le début de « La guêpe » est bien une célébration puissante de l’animal choisi, de sa vibration (fondamentale à son existence), jusqu’à son attirance irrépressible pour le sucre du fruit.
[Mettre le texte en perspective] Le texte est une illustration parfaite de l’art poétique défendu par Francis Ponge dans son recueil, dès « Berges de la Loire » : le travail mis en œuvre ici consiste bien avant tout à « rendre compte d’une chose » en revenant « à l’objet lui-même, à ce qu’il a de brut, de différent ».
2. La question de grammaire
« Miellée, soleilleuse ; transporteuse de miel, de sucre, de sirop ; hypocrite et hydromélique. »
La phrase est averbale. Elle ne contient pas non plus le nom avec lequel s’accordent tous les adjectifs qui la composent, c’est-à-dire le mot « guêpe » (féminin singulier), qu’il faut déduire du contexte.
L’accord des adjectifs au féminin singulier peut prendre plusieurs marques : on rajoute un e à miellé pour donner « miellée » ; on transforme le -x en -se pour former le féminin de soleilleux (« soleilleuse ») et de même pour le -r de transporteur (« transporteuse »). En revanche, « hypocrite » et « hydromélique » sont épicènes.
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On appelle « épicènes » les mots (noms, pronoms ou adjectifs) dont la forme ne varie pas selon le genre.
Des questions pour l’entretien
Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Je vous remercie pour votre présentation de La Première Gorgée de bière de Philippe Delerm (1997). Un texte vous a-t-il particulièrement marqué ? Pourquoi ?
Le texte « On pourrait presque manger dehors » est très touchant. Il présente un moment d’attente, suspendu dans le temps, où la possibilité de « manger dehors » s’ouvre, comme une promesse. C’est une réflexion émouvante sur les petits désirs fugaces de la vie.
2 En quoi le projet poétique de Delerm ressemble-t-il à celui de Ponge ?
Grâce à leur regard précis, leur observation minutieuse des détails et leur analyse subtile des sensations, Ponge et Delerm parviennent à révéler la beauté de choses parfois banales, auxquelles on n’aurait pas forcément prêté attention.
3 Si vous deviez à votre tour écrire un texte à la manière de Philippe Delerm, qu’écririez-vous ?
Pourquoi ne pas écrire un texte court sur « La récréation du matin » par exemple, avec ses caractéristiques (la foule dans la cour, les groupes qui se forment, les rires, les amours naissantes…) ; ou bien « Le car scolaire », moment qui s’étire dans le temps et pourtant transitionnel entre deux espaces, où le soleil se lève peu à peu derrière la vitre.