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Prévost, Manon Lescaut, "J'avais marqué le temps..."

Sujet d’oral • Explication & entretien

Abbé Prévost, Manon Lescaut, le coup de foudre

20 minutes

20 points

1. Lisez ce texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.

DOCUMENT

Alors que Des Grieux attend son départ d’Amiens fixé au lendemain, en compagnie de son ami Tiberge, il voit arriver le coche d’Arras duquel descend Manon. Les deux jeunes gens se rencontrent pour la première fois.

J’avais marqué1 le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche2 d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport3. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument4 qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein5 comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.

Abbé Prévost, Manon Lescaut, édition de 1753.

1. Marqué : reporté.

2. Coche : diligence.

3. Transport : mouvement passionnel.

4. Ingénument : avec naïveté, innocence.

5. Dessein : projet.

2. question de grammaire.
Repérez et analysez la proposition subordonnée conjonctive circonstancielle dans la phrase soulignée en page précédente.

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

C’est un Des Grieux encore vibrant de l’émotion de la rencontre qui s’exprime ici : faites entendre son éblouissement.

Insistez particulièrement sur les expressions qui annoncent les malheurs futurs : Des Grieux, qui a mûri depuis, déplore les suites funestes de cette rencontre.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Alors qu’il s’apprête à mener une carrière religieuse, Des Grieux rencontre Manon, dont il s’éprend au premier regard, et voit sa vie basculer.

Comment, quatre ans plus tard, raconte-t-il au marquis de Renoncour cette rencontre décisive ?

2. La question de grammaire

Délimitez la proposition principale ; le reste de la phrase correspond à une subordonnée conjonctive circonstancielle qui inclut deux subordonnées relatives.

Quelle est la nuance circonstancielle exprimée par cette subordonnée conjonctive ?

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Le chevalier des Grieux, de retour d’Amérique, endeuillé, se confie au marquis de Renoncour, qui voit dans son parcours « un exemple terrible de la force des passions ». [Situer le texte] Le héros revient sur un événement survenu quatre ans plus tôt : la rencontre avec Manon qui l’arrache à la voie religieuse dans laquelle il s’apprêtait à s’engager.

[En dégager l’enjeu] Comment Des Grieux raconte-t-il cette rencontre décisive ? [Annoncer le plan] Nous analyserons d’abord comment sont rapportées les circonstances d’une rencontre qui déclenche l’amour immédiat du chevalier ; nous examinerons ensuite comment ses premiers échanges avec Manon dessinent le portrait d’une jeune femme ambiguë et annoncent une fin tragique.

Explication au fil du texte

Une rencontre romanesque (l. 1-17)

Une rencontre impromptue

Fortuite, la rencontre entre les deux personnages est présentée d’emblée comme un événement funeste. Exclamation, interjection et conditionnel se combinent dans une prolepse intrigante qui pointe les conséquences décisives de la rencontre : « Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais porté […] » (l. 1-2).

à noter

Le roman abonde en prolepses (ou anticipations narratives) qui laissent entrevoir les péripéties à venir et suscitent la curiosité du lecteur.

La rencontre apparaît comme un coup du sort, un de ces aléas qui fait basculer bien involontairement une vie. Insistantes, les indications temporelles soulignent combien cette rencontre aurait pu ne jamais advenir : « j’avais marqué le temps », « un jour plus tôt » (l. 1-2).

Des Grieux insiste délibérément sur la pureté de sa vie antérieure et sur ses intentions à l’époque des faits : il rappelle son « innocence » (l. 3) et mentionne, dans une négation restrictive, sa simple « curiosité » (l. 7). Étudiant modèle de dix-sept ans, il s’apprêtait à embrasser une carrière religieuse.

La rencontre est racontée de manière elliptique et théâtrale. Manon se détache du groupe de femmes, qui laissent rapidement le champ libre aux deux jeunes gens : « Il en sortit quelques femmes […] il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour » (l. 7-8).

Le coup de foudre

Le coup de foudre est exprimé par une subordonnée consécutive, associée à la métaphore traditionnelle du feu qui consume : « si charmante que […] je me trouvai enflammé tout d’un coup […]. » Le terme « transport » confirme l’intensité des sentiments en jeu. Le passé simple « je me trouvai », employé avec la locution adverbiale « tout d’un coup », indique aussi la soudaineté de la passion.

Passant sous silence le physique de Manon, Des Grieux résume l’impression que produit sur lui la jeune femme : « Elle me parut si charmante ». Dans un réseau d’antithèses, il oppose nettement ce qu’il devient – « enflammé » par la passion – à ce qu’il était jusqu’alors – « moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes […] dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue » (l. 11-13).

Dans la tradition de l’amour courtois, Des Grieux se présente comme soumis à sa dame, promue « maîtresse de [s]on cœur » (l. 16-17).

mot clé

L’amour courtois désigne une manière d’aimer raffinée, typique de la société de cour du Moyen Âge : le chevalier se dévoue corps et âme à une dame qui l’éprouve.

Une rencontre fatale ? (l. 17-27)

Premier échange avec Manon

L’emploi du discours indirect pour rapporter les paroles de Manon contribue à la rendre plus mystérieuse encore.

à noter

Le discours indirect est une technique narrative très fréquente dans l’ensemble du roman : la voix de Manon est ainsi soumise au point de vue subjectif de Des Grieux.

Des Grieux délivre alors, par touches, des informations complémentaires sur Manon, insistant sur sa jeunesse et sa situation. Elle devait entrer au couvent, destin tracé par sa famille : « elle y était envoyée » (l. 20), « c’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent » (l. 25).

Un portrait ambigu

Transfiguré par l’amour, Des Grieux use de tournures syntaxiques qui montrent combien ce sentiment le domine : « l’amour me rendait déjà si éclairé » (l. 21). Le champ lexical de l’amour (« l’amour », « désirs », « sentiments ») indique que c’est désormais son cœur qui dicte sa ligne de conduite.

L’hyperbole du « coup mortel » (l. 23) suggère combien l’idée d’être contrarié dans ses espoirs amoureux lui est insupportable. S’ensuit donc une déclaration d’amour à Manon, jugée d’emblée peu farouche.

Le portrait moral de Manon se complète. Le narrateur, éprouvé, superpose son regard à celui du jeune homme innocent qu’il était, pour décrire une jeune fille ambivalente, « bien plus expérimentée que [lui] », animée d’un « penchant au plaisir ». Elle apparaît alors comme la responsable de leur destinée tragique, Des Grieux cherchant à s’innocenter.

à noter

Le récit de Des Grieux oscille entre l’apologie de la défunte Manon et le portrait à charge : il ne se juge pas coupable des désordres amoureux des quatre années passées.

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Ainsi, narrée par un Des Grieux mûri, capable de porter un jugement sur son aveuglement passé, la rencontre apparaît comme un événement décisif mais ambigu, placé sous le double signe de l’émerveillement et de la fatalité. [Mettre le texte en perspective] Intrigué, le lecteur assiste dans la suite du récit à la chute de Des Grieux dans « le précipice des passions ».

2. La question de grammaire

[Elle me parut si charmante] [que moi, [qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention], moi, dis-je, [dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue], je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport.]

Cette longue phrase comprend une proposition principale « Elle me parut si charmante » et une proposition subordonnée conjonctive de conséquence (qui inclut elle-même deux propositions subordonnées relatives).

Cette subordonnée circonstancielle est introduite par la conjonction de subordination « que », qui fonctionne en corrélation avec l’adverbe « si » (« si charmante que… »). Elle est organisée autour du verbe « trouvai ».

Cette structure permet d’introduire le résultat de l’apparition charmante de Manon : « je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport ». Elle souligne l’intensité et l’immédiateté de la passion, déclenchée au premier regard.

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation de Tristan et Iseut de Béroul. Dans ce récit, en quoi les personnages éponymes peuvent-ils apparaître comme des personnages en marge ?

Réprouvé par la société, le couple adultère est condamné à vivre sa passion en cachette. Chassés de la cour, où leurs frasques les ont rendus indésirables, les amants vivent des années durant leur amour à l’abri des regards, dans la forêt du Morrois, lieu marginal par excellence.

2 Pourquoi peut-on dire que la liaison qu’entretiennent Tristan et Iseut nourrit le romanesque ?

L’amour passionnel qu’ils se vouent est d’abord lié à l’absorption accidentelle d’un philtre magique ; les amants, incapables de vivre l’un sans l’autre, imaginent alors mille subterfuges pour se retrouver malgré les dangers.

3 Citez un passage qui vous a plu et qui rend le couple attachant.

Les amants vivent cachés de longs mois dans la forêt du Morrois. Un jour, Marc, qui devait se marier avec Iseut, surprend le couple endormi et, malgré sa colère envers Tristan, se trouve ému par la beauté de leur amour.

 

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