Abbé Prévost, Manon Lescaut
ORAL
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Sujet d’oral • Explication & entretien
Abbé Prévost, Manon Lescaut, l’arrivée en Louisiane
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.
Document
Des Grieux, jeune noble, quitte tout pour la belle Manon. Les amants mènent une vie dissolue et enchaînent les vols et les arrestations. Des Grieux est libéré grâce à ses appuis, mais Manon est déportée en Louisiane. Le chevalier suit Manon dans sa déportation et arrive avec elle à La Nouvelle-Orléans où ils découvrent le logement qui leur a été attribué.
Nous trouvâmes une misérable cabane, composée de planches et de boue, qui consistait en deux ou trois chambres de plain-pied, avec un grenier au-dessus. [Le Gouverneur] y avait fait mettre cinq ou six chaises et quelques commodités nécessaires à la vie. Manon parut effrayée à la vue d’une si triste demeure. C’était pour moi qu’elle s’affligeait, beaucoup plus que pour elle-même. Elle s’assit, lorsque nous fûmes seuls, et elle se mit à pleurer amèrement. J’entrepris d’abord de la consoler, mais lorsqu’elle m’eut fait entendre que c’était moi seul qu’elle plaignait, et qu’elle ne considérait, dans nos malheurs communs, que ce que j’avais à souffrir1, j’affectai de2 montrer assez de courage, et même assez de joie pour lui en inspirer. De quoi me plaindrai-je ? lui dis-je. Je possède tout ce que je désire. Vous m’aimez, n’est-ce pas ? Quel autre bonheur me suis-je jamais proposé ? Laissons au Ciel le soin de notre fortune3. Je ne la trouve pas si désespérée. Le Gouverneur est un homme civil4 ; il nous a marqué de la considération ; il ne permettra pas que nous manquions du nécessaire. Pour ce qui regarde la pauvreté de notre cabane et la grossièreté de nos meubles, vous avez pu remarquer qu’il y a peu de personnes ici qui paraissent mieux logées et mieux meublées que nous. Et puis tu es une chimiste admirable, ajoutai-je en l’embrassant, tu transformes tout en or.
Vous serez donc la plus riche personne de l’univers, me répondit-elle, car, s’il n’y eut jamais d’amour tel que le vôtre, il est impossible aussi d’être aimé plus tendrement que vous l’êtes. Je me rends justice, continua-t-elle. Je sens bien que je n’ai jamais mérité ce prodigieux attachement que vous avez pour moi. Je vous ai causé des chagrins, que vous n’avez pu me pardonner sans une bonté extrême. J’ai été légère et volage5, et même en vous aimant éperdument, comme j’ai toujours fait, je n’étais qu’une ingrate. Mais vous ne sauriez croire combien je suis changée. Mes larmes, que vous avez vues couler si souvent depuis notre départ de France, n’ont pas eu une seule fois mes malheurs pour objet. J’ai cessé de les sentir aussitôt que vous avez commencé à les partager. Je n’ai pleuré que de tendresse et de compassion pour vous. Je ne me console point d’avoir pu vous chagriner un moment dans ma vie. Je ne cesse point de me reprocher mes inconstances et de m’attendrir, en admirant de quoi l’amour vous a rendu capable pour une malheureuse qui n’en était pas digne, et qui ne payerait pas bien de tout son sang, ajouta-t-elle avec une abondance de larmes, la moitié des peines qu’elle vous a causées.
Abbé Prévost, Manon Lescaut, édition de 1753.
1. Souffrir : subir, supporter. 2. J’affectai de : je m’efforçai de. 3. Fortune : destinée. 4. Civil : poli, qui sait vivre selon les bonnes manières en usage. 5. Volage : inconstante, infidèle.
2. question de grammaire.
Analysez l’expression de la négation dans la phrase : « Je vous ai causé des chagrins, que vous n’avez pu me pardonner sans une bonté extrême. » (l. 26-27)
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
L’extrait abonde en paroles rapportées au discours direct, tâchez d’en rendre l’aspect vivant et d’épouser les émotions des personnages.
Faites tout particulièrement ressentir le repentir de Manon.
Situer le texte, en dégager l’enjeu
Les deux amants partent en Amérique. Montrez que ce changement de cadre correspond à un changement moral de Manon.
L’extrait présente les déclarations d’amour successives de Manon et de Des Grieux. Lyrique et pathétique, ce texte révèle les regrets et une forme de rédemption chez Manon, que vous devrez analyser.
2. La question de grammaire
Étudiez la construction de la négation : quel(s) terme(s) exprime(nt) la négation ? quelle est leur nature ?
Commentez cet emploi de la négation.
1. L’explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Devenus des marginaux par leur vie déréglée faite de vols, de fuites et d’arrestations, Des Grieux et Manon ne semblent plus trouver leur place dans la société rigide de l’époque. [Situer le texte] Une dernière escroquerie entraîne la déportation infamante de Manon en Amérique, où, désespéré, Des Grieux la suit. La Louisiane pourrait cependant leur offrir l’opportunité d’une nouvelle vie. [En dégager l’enjeu] Nous analyserons comment l’amour puissant que se portent les deux amants leur permet de surmonter avec courage la misère matérielle qu’ils découvrent à leur arrivée à La Nouvelle-Orléans.
Explication au fil du texte
Un habitat fruste (l. 1 à 5)
L’extrait s’ouvre sur le dénuement dans lequel les amants sont désormais contraints de vivre. Le couple découvre le logement austère qui leur est attribué à leur arrivée : une « misérable cabane », « une si triste demeure », construite pauvrement, de « planches » et de « boue ». Ils doivent se contenter de « quelques commodités », accordées par le Gouverneur. Pathétique, cette situation suscite la compassion du lecteur.
Ce cadre contraste fortement avec l’aisance, voire le luxe du train de vie du couple en France : Des Grieux, jeune noble, était accoutumé au confort, et Manon recherchait le faste – quitte à en sacrifier sa vertu.
Le participe passé à valeur d’adjectif « effrayée » (l. 5) indique le ressenti de Manon et peut d’abord faire craindre le pire. En France, elle recourait à des solutions moralement douteuses pour satisfaire son penchant pour le plaisir. Le lecteur pourrait donc s’attendre à ce qu’elle agisse comme en France.
Les paroles réconfortantes de Des Grieux (l. 5 à 21)
Plongée dans une situation délicate et inédite, Manon chancelle : « elle s’affligeait » (l. 6), « Elle s’assit » (l. 6), « elle se mit à pleurer amèrement » (l. 7).
Mais en Amérique, Manon apparaît sous un nouveau jour. Quittant son insouciance et sa légèreté habituelles, elle se montre profondément transformée : la répétition du pronom « moi », désignant le narrateur, exprime la sollicitude de Manon pour Des Grieux : « C’était pour moi qu’elle s’affligeait », « c’était moi seul qu’elle plaignait » (l. 5-6 et l. 9). Les paroles de la jeune femme éplorée sont rapportées au discours indirect.
L’alternance des discours direct, indirect et narrativisé contribue au caractère dynamique et émouvant des échanges entre les deux amants.
La « joie » de Des Grieux, affichée dans le but de rassurer Manon, contraste avec le lexique abondant de la peine. Courageux, fidèle et loyal envers Manon, faisant fi de la dureté de la situation, Des Grieux loue avec éloquence son amour qui le hisse au-dessus des contingences matérielles. Des questions rhétoriques érigent ce sentiment en valeur suprême : « Vous m’aimez, n’est-ce pas ? Quel autre bonheur me suis-je jamais proposé ? » (l. 13-14)
Des Grieux relativise leur triste sort, partagé par la majorité de la population de La Nouvelle-Orléans, et tire parti de toute aide possible : « le Gouverneur […] ne permettra pas que nous manquions du nécessaire » (l. 15-17). Le discours se clôt sur une métaphore courtoise, à la gloire de Manon : « tu es une chimiste admirable, […], tu transformes tout en or. » (l. 20-21). Des Grieux fait une allusion à l’alchimie qui visait à transformer la matière en or.
à noter
Ici, le Gouverneur apparaît comme un adjuvant. Dans la suite du récit, quand il apprend la vérité sur le couple qui vit sans être marié, il tente de séparer Manon de Des Grieux en la donnant à son neveu, provoquant ainsi la mort de Manon.
Le mea culpa de Manon, transformée par l’amour (l. 22-39)
Ainsi rassurée, Manon renchérit et réaffirme la puissance de leur amour : « s’il n’y eut jamais d’amour tel que le vôtre, il est impossible aussi d’être aimé plus tendrement que vous l’êtes » (l. 23-24). Les superlatifs soulignent la parfaite réciprocité de leur amour.
Devenue lucide et empathique, elle instruit son propre procès. Se présentant comme indigne de l’amour de Des Grieux, elle énumère sans concession ses torts : « Je vous ai causé des chagrins » (l. 26), « J’ai été légère et volage » (l. 27-28), « je n’étais qu’une ingrate » (l. 29). Cet autoportrait à charge contraste avec les mérites de Des Grieux, glorifié pour son « prodigieux attachement » et sa « bonté extrême » (l. 25-26 et 27). Repentie, elle concède son immoralité initiale (« Je ne cesse point de me reprocher mes inconstances », l. 35-36), découvre la honte liée à sa conduite passée et confie toute sa reconnaissance à Des Grieux.
Manon exprime sa révolution intérieure dont elle a pris conscience : « je suis changée » (l. 30). Rompant avec la femme d’autrefois qui ne songeait qu’à sa propre satisfaction, elle se préoccupe à présent uniquement de son amant qui s’est toujours dévoué pour elle : « Je n’ai pleuré que de tendresse et de compassion pour vous » (l. 33-34). Les multiples phrases négatives mettent l’accent sur ses remords quant à son inconduite : « Je ne me console point d’avoir pu vous chagriner », « Je ne cesse point de me reprocher mes inconstances » (l. 34-35 et 35-36).
La fin de son discours achève de grandir conjointement les deux amants : Manon se livre à une véritable ode à l’amour, tout à la gloire du chevalier dont elle loue la noblesse de cœur. En comparaison, elle se décrit sévèrement, par la périphrase : « une malheureuse qui n’en était pas digne » (l. 37). Dans son désir de rédemption, la jeune femme, transfigurée, touche au sublime.
Conclusion
[Faire le bilan de l’explication] Ainsi, la dureté de la déportation en Amérique transforme moralement Manon et la convertit à un amour exclusif pour Des Grieux. Le couple peut y rêver, un temps, d’une vie de passion et de simplicité, loin des pesanteurs et des vices d’une société qui n’a pas accepté leurs choix. [Mettre le texte en perspective] La mort de Manon, qui surviendra alors que le couple souhaitait se marier et se racheter, paraît alors d’autant plus injuste et tragique, propulsant les amants au rang de martyrs, et de mythe littéraire.
2. La question de grammaire
« Je vous ai causé des chagrins, que vous n’avez pu me pardonner sans une bonté extrême. »
On relève dans cette phrase deux mots négatifs :
l’adverbe de négation « n’ », qui établit seul, sans son corrélatif « pas », une négation syntaxique totale (le verbe « pouvoir » permet l’emploi particulier de l’adverbe « ne » seul) ;
la préposition « sans » suivie d’un GN.
Cette tournure négative renforcée par le contraste entre « chagrins » et « bonté extrême » souligne les sacrifices faits par Des Grieux pour Manon.
Des questions pour l’entretien
Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Je vous remercie pour votre présentation du roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. Pourquoi peut-on dire que ce roman fait intervenir des personnages en marge ?
Le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil, en apparence bien intégrés dans la société aristocratique de leur époque, sont en réalité deux libertins sans scrupules qui manipulent à loisir leurs proies naïves.
2 En quoi peut-on parler de romanesque, dans ce roman épistolaire ?
Le récit doit son caractère romanesque aux multiples rebondissements qui se succèdent et aux stratagèmes très travaillés des protagonistes. Les personnages candides de la jeune Cécile Volanges et du chevalier Danceny font office de marionnettes entre les mains de Valmont et de la marquise de Merteuil.
3 Le libertin Valmont vous est-il apparu comme repoussant ?
Séducteur impénitent, n’hésitant pas à déshonorer Cécile, Valmont peut apparaître comme un personnage antipathique. Cependant, son amour sincère pour la présidente de Tourvel, puis son sacrifice pour elle, l’amènent vers une forme de rédemption touchante.