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Proust, Un amour de Swann

Corpus Corpus 1
Personnages admirables

Personnages admirables • Commentaire

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Roman

30

Amérique du Sud • Décembre 2014

Séries ES, S • 16 points

Les clés du sujet

Trouver les idées directrices

Faites la « définition » du texte pour trouver les axes (idées directrices).

Extrait de roman (genre) qui décrit (type de texte) un salon bourgeois et sa « patronne » (thème), satirique, ironique (registres) critique, caricatural, (adjectifs), pour montrer le côté factice et ridicule de milieu et éclairer le personnage de Mme Verdurin (buts).

Pistes de recherche

Première piste : Un regard critique sur un salon bourgeois ridicule

  • Analysez le décor décrit : quelle impression crée-t-il ? Quelle est l'utilité de sa description ?
  • Quelle image des habitués de ce salon Proust donne-t-il ? Analysez leurs (pré)occupations, la teneur de leurs propos suggérée. Que disent-elles de ce milieu ?
  • Quels détails révèlent le regard critique du narrateur ?

Deuxième piste : Gros plan sur Mme Verdurin, une caricature

  • Montrez que son portrait est marqué par l'exagération.
  • Pourquoi Proust s'attarde-t-il sur la description de son rire ? Quel effet produit-il ?
  • Quels sont les travers de Mme Verdurin soulignés par le narrateur ? En quoi est-elle représentative de son milieu ?

>Pour réussir le commentaire : voir guide méthodologique.

>Le roman : voir mémento des notions.

Corrigé

Les titres en couleur ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Amorce] Pour créer l'illusion de la réalité, le romancier reconstitue un monde formant une toile de fond sur laquelle se déploie le destin du héros. Ainsi la description des divers milieux où il évolue et celle, aussi, des personnages qui gravitent autour de lui revêtent une importance capitale dans le roman. [Présentation du texte] Au seuil du xxe siècle, Proust ouvre la dernière partie de Du côté de chez Swann (premier volet de À la recherche du temps perdu) sur la description du salon de Mme Verdurin, riche bourgeoise qui domine un « petit monde » d'habitués qu'elle réunit régulièrement. [Annonce des axes] Il jette un regard critique sur ce milieu qu'il se plaît à ridiculiser [I] ; le portrait caricatural qu'il fait de Mme Verdurin - figure emblématique complète la satire de la bourgeoisie de l'époque [II].

I. Un regard critique sur un salon bourgeois ridicule

La mondanité est l'enjeu essentiel de la société que Proust décrit : ainsi le salon bourgeois de Mme Verdurin cherche à rivaliser avec celui, aristocratique, des Guermantes, et l'exercice consiste à y jouer une comédie des apparences où les vanités humaines se donnent libre cours. Dans cet extrait, le narrateur dénonce cette comédie.

1. Le temple du mauvais goût et un rituel très strict

  • Pour camper l'atmosphère du salon, Proust décrit d'abord le décor qui entoure Mme Verdurin. Les éléments « disparate[s] » mentionnés donnent l'impression d'un bric-à-brac de meubles et des bibelots désassortis. Leur énumération indique qu'ils encombrent le salon : « un haut siège suédois en sapin ciré » qui ressemble à un « escabeau », de « beaux meubles anciens », « une collection de chauffe-pieds, de coussins, de pendules »…
  • Les « cadeaux » des « donateurs » ont presque valeur de métonymies : ils concrétisent leur mauvais goût et annoncent quels « fidèles » fréquentent le salon. La mention parmi les donateurs d'un « violoniste » indique, par exemple, que Mme Verdurin aime côtoyer les artistes.
  • Le salon bourgeois obéit à des règles strictes, il fonctionne comme un lieu fermé, un « camp » retranché avec son « poste » de surveillance nécessaire contre les « ennuyeux » qui sont « rejetés ». Un « habitué » devenu « ennuyeux » prend le statut d'« ancien habitué » et quitte le camp des familiers. Le mot « fidèles » opère la distinction entre les membres reconnus et les exclus.

2. Du côté des Verdurin : une comédie des apparences

  • Tenir salon repose sur un dosage périlleux et savant d'éléments. Les familiers acceptent à l'évidence le principe du sacrifice puisque l'existence du salon semble dépendre davantage des gens qu'il exclut que de ceux qu'il reçoit. Le salon Verdurin est caractérisé par le désir d'intégration de chacun des « habitués ».
  • En effet toute la « conversation » repose sur la critique des « ennuyeux » désormais « rejet[és] » ; la gaîté elle-même puise son origine dans la « camaraderie » issue de la « médisance » et de l'« assentiment ». Le rythme ternaire qui rapproche les trois termes propose une définition en gradation des relations entre les divers membres : le premier terme « camaraderie » fait écho à « familiers », « fidèles » ou « habitués », et décrit la communauté des préoccupations ; le second, « médisance », illustre les sujets de « conversation » qui obéissent à des codes, comme le montrent l'expression « mimique conventionnelle » et l'automatisme des réactions « au moindre mot » ; le troisième enfin, « assentiment » suppose la complicité des participants dans ce jeu artificiel.
  • On a ainsi l'impression d'assister à un spectacle de marionnettes : Mme Verdurin, depuis un « poste élevé », secondée par son mari un peu en retrait, semble tirer les fils de ses poupées, tout en jouant parmi elles le rôle principal.

3. La dénonciation d'un microcosme dérisoire et mesquin

Les choix d'écriture ne font qu'amplifier cette vision et mettent l'accent sur le jugement du narrateur.

  • Tout est factice chez ces snobs qui cherchent à protéger leur petit univers clos. La qualification des personnages souligne leur absence d'individualité : le pluriel et la répétition font des « fidèles » une collectivité indéfinie. Leur parole est aussi creuse que leur être : l'emploi des guillemets autour du mot « fumisteries » marque à la fois la banalité, le vide et la familiarité des propos ; la tournure « lâchait un mot », qui évoque une parole incongrue ou choquante, renforce la désapprobation.
  • La description dénonce donc ce microcosme dérisoire où règnent lieux communs et esprit d'imitation et dont la principale raison d'être est de faire bloc contre les intrus quand bien même ils seraient d'anciens membres du groupe.
  • Tout n'est ici que simulacre de la solidarité humaine ; à travers la peinture des familiers du salon, le narrateur met à nu la frivolité et la bassesse d'un lieu où la médisance en particulier devient une arme légitime.

II. Madame Verdurin : une caricature

La charge dans le portrait de Mme Verdurin est très appuyée : son comportement fait d'elle l'histrion du groupe. À la façon dont Proust la traite, on peut parler de caricature, ce que prouvent aussi bien les procédés d'exagération, l'analyse de son rire suicidaire et l'animalisation de son personnage.

1. Un portrait marqué par l'exagération

  • Le gros plan sur le visage de la « Patronne » vise à accentuer les défauts du portrait : la remarque sur « l'accident… arrivé à sa mâchoire » en fait une gueule cassée, suivant l'expression de l'argot militaire ; la physionomie est encore enlaidie par « une taie » voilant le regard ; cette tache opaque signale le début de la dégénérescence physique, mais conduit aussi à l'autre interprétation figurée de l'expression « avoir une taie sur l'œil » qui signifie « être aveuglé par les préjugés » ; ainsi la caricature atteint son but en inscrivant les caractéristiques morales dans les traits physiques.
  • Son comportement l'assimile à une personne en état d'ébriété, « étourdie », « ivre » de « vin chaud » : le portrait atteint un sommet avec l'emploi de l'oxymore « sanglotait d'amabilité », où le rire est assimilé à un sanglot, à la fois hoquet nerveux et flot de politesse calculée.

2. L'analyse d'un comportement farcesque : le rire suicidaire

  • Les expressions du visage de Mme Verdurin sont extrêmement contrôlées jusqu'à faire de son rire une bouffonnerie. Le texte, constitué de trois phrases, est organisé autour de l'analyse d'un rire à tendance suicidaire : la première phrase explique le choix de la « mimique » par l'accident à la mâchoire ; la seconde, dans une longue période, développe le comportement ; et la troisième conclut sur l'oxymore.
  • Dans cet extrait pose donc le personnage farcesque installé dans son jeu d'imitation, de singerie d'éclat de rire ; tout est faux puisque Mme Verdurin a « renoncé à pouffer effectivement » signifiant qu' « elle riait aux larmes » par une « mimique conventionnelle », devenue « ruse d'une incessante et fictive hilarité ». Cette feinte est traduite par des tournures telles que « elle avait l'air » ou « comme si ».
  • La scène devient franchement grotesque dans la description du visage ravagé par l'effort de maîtriser ce qui est devenu un ricanement. La longue phrase suit alors le mouvement du corps pour chuter sur le mot « évanouissement » : elle joue sur un effet de suspens, donne la raison de l'hilarité (le « mot lâch[é] » par un habitué) ; elle fait ensuite une pause entre tirets pour établir la figure parallèle de M. Verdurin ; enfin, elle décompose les phases (« elle poussait », « fermait », « elle avait l'air »).
  • Par ailleurs la subordonnée comparative (« comme si elle n'eût que… ») dévoile ce que Mme Verdurin cherche à cacher, « plongeant sa figure dans ses mains » : un spectacle indécent. Finalement le rire, dans une expression presque hyperbolique (« accès mortel »), est présenté comme l'ennemi à vaincre (« réprimer », « anéantir ») car s'abandonner à lui conduirait à une petite mort : « l'évanouissement ».

3. Un personnage ridicule, emblématique de la comédie sociale

  • Histrion d'une comédie grossière, Mme Verdurin laisse enfin éclater son ridicule quand le narrateur choisit la figure de l'animalisation pour la croquer, comme l'aurait fait un dessinateur. La métaphore la dépeint sous les traits d'un oiseau de compagnie : elle en a les « yeux », le « cri ». Puis les liens de comparaison « telle » et « pareille à » reprennent et développent l'image : elle « est juchée sur son perchoir » et se nourrit d'un « colifichet ».
  • Ce dernier terme est intéressant puisqu'il désigne aussi bien une bagatelle, un objet de fantaisie sans grande valeur qu'un un ornement d'un goût mesquin ; or les goûts de Mme Verdurin sont totalement marqués par le snobisme, à l'exemple de son « perchoir » « haut siège suédois de sapin ciré ».
  • Dans le cours ample de la phrase qui décrit l'éclat de rire de Mme Verdurin, s'inscrit, nettement détachée par des tirets, une réflexion sur la situation de son mari. Cette ponctuation isole le personnage dans la typographie, tout comme le vocabulaire employé le détache et l'oppose : il est décalé par rapport à sa femme ; dans le duo, il est le second, il ne sait pas tricher, comme le montre l'expression « riant pour de bon » qui s'oppose à la « ruse d'une incessante et fictive hilarité » ; en outre la métaphore de la course (« s'essoufflait vite et avait été distancé et vaincu ») traduit sa difficulté à suivre le jeu des apparences, d'ailleurs à « son plus grand désespoir ».

Le fort contraste entre les deux époux souligne que Mme Verdurin est le personnage parfaitement emblématique de la comédie sociale ici visée.

Conclusion

[Synthèse] La description de l'univers factice et pédant du salon Verdurin révèle chez Proust un sens de l'observation des mœurs et des caractères, mais aussi des qualités de peintre satirique et de caricaturiste critique. En cela, il est l'héritier de La Bruyère, et Mme Verdurin pourrait prendre place aux côtés d'un Arrias qui a « tout lu, tout vu ». [Élargissement] C'est par ce type de description et de portrait que le roman dépasse son rôle de simple divertissement et prend place parmi les genres littéraires qui font réfléchir le lecteur sur « La question de l'homme ».

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