Poètes en prison
Corrigé
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La poésie
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Sujet inédit
Écriture poétique et quête du sens • 14 points
Écriture d'invention
Comprendre le sujet
Analysez précisément la consigne pour en dégager les contraintes.
- Sujet : « la découverte de (la rencontre avec) la poésie ».
- Genre : « journal intime ». Respectez-en les caractéristiques formelles, en partie précisées par l'expression « situées à des dates différentes ».
- Type (ou forme) de discours : « découverte », « rendent compte de » et « expérience bouleversante » impliquent que le texte sera narratif, descriptif et argumentatif. La thèse est : « La poésie a une grande force émotionnelle et peut changer le lecteur ».
- Situation d'énonciation : qui ? « un détenu » ; à qui ? à lui-même.
- Niveau de langue : imagé, ni trop soutenu ni trop familier.
- « Définition » du texte à produire, à partir de la consigne.
Extrait de journal intime (genre) d'un détenu (situation d'énonciation / auteur) qui rend compte (type de texte) de son émerveillement devant la poésie (thème) avec des accents lyriques, pathétiques (registre), pour montrer les bienfaits de la poésie (but).
Chercher des idées
- Vous devez choisir :
- les circonstances de cette rencontre avec la poésie ;
- le registre : « bouleversante » autorise le lyrisme (rendre sensible l'émerveillement du détenu) : la situation de détenu peut créer un ton pathétique. La personnalité du détenu doit aussi apparaître.
- Pour donner de la substance à votre texte :
- vous devez réfléchir aux différents bienfaits de la poésie. Par exemple : 1. La poésie fait « voyager » (puissance d'évasion). 2. Elle transfigure le réel. 3. Les poètes sont des « compagnons » pour le prisonnier. 4. Elle adoucit les mœurs. 5. Elle a une force argumentative (poésie engagée) ;
- le texte doit comporter des exemples de poèmes qui ont marqué le détenu et des citations précises dont il émaillera son journal.
> Pour réussir l'écriture d'invention : voir guide méthodologique.
> La poésie : voir lexique des notions.
Les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
La Santé, le 1er mai 2005
La radio, ce matin : « Le Printemps des poètes 2005 bat son plein ». Ici, il n'y a pas de printemps.
Sur les murs du couloir B : « Atelier poésie, ouvert à tous ». Que peut ici la poésie ? Ils ne savent pas quoi inventer… D'ailleurs, je n'ai pas étudié… je n'irai pas…
La Santé, le 15 mai 2005
La vieille affiche jaunie dans le couloir B m'a hanté toute la nuit. Pendant deux semaines, je n'ai pas osé… Aujourd'hui, j'ai frappé à la porte de l'atelier avec un étrange sentiment de malaise au cœur. La honte peut-être…
« Des poètes prisonniers, je peux vous en citer au moins dix-neuf… ça vous étonne, hein ? » Ces mots résonnent dans ma tête ce soir et je passe la soirée à me répéter en boucle ces noms mystérieux : Musset, Verlaine, Apollinaire, Sarrazin… mes illustres compagnons d'infortune, mes grands frères de chaînes. Voilà de quoi me réconforter : je prendrais ma place dans une lignée ? Ce sont mes frères. Ce n'étaient donc pas tous des anges, eux non plus ? Alors, pas de honte à avoir. J'y retournerai, à l'atelier.
La Santé, le 16 mai 2005
Mais j'ai aussi voyagé aujourd'hui : « à la Grande Ourse » avec Rimbaud. Comme son Bateau ivre, j'ai eu un instant l'impression d'avoir largué les amarres et « fixé des vertiges »… Lui, il se sentait en prison dans la vie, moi, c'est ici. La poésie me crée des mondes encore plus beaux que celui de « dehors ». Si je n'étais pas en prison, jamais je ne connaîtrais ces mondes mystérieux.
La Santé, le 2 juin 2005
Verlaine, et le ciel qui est par-dessus ton toit, ta palme et tes vers l'ont transformée, je me suis évadé par ce coin de ciel « si bleu, si calme » !
La Santé, le 9 juin 2006
Je cherche depuis plusieurs semaines ce que veut me dire Saint-John Perse : « Le banyan de la pluie perd ses assises sur la Ville. » Qu'importe ? Tout ce que je ressens, tout ce que je comprends, n'est ni juste ni faux.
Un poème est une gerbe de sens, une infinité de possibles. En poésie, il n'y a pas d'erreur, pas de faute, pas de délit. Donc pas de condamnation, pas de prison. « C'est une erreur contraire à la nature de la poésie, et qui lui serait même mortelle, que de prétendre qu'à tout poème correspond un sens véritable, unique », dit Valéry. Alors, moi aussi je peux interpréter ? Quelle puissance pour un pauvre prisonnier !
La Santé, le 12 juin 2005
Avec toi, Baudelaire, je contemple un beau paysage vespéral : « Voici venir les temps où vibrant sur sa tige / Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir » (Les Fleurs du mal, « Harmonie du soir »).
Avec tes images, Apollinaire, je me balade sur les bords de la Seine : « Bergère ô tour Eiffel / Le troupeau des ponts bêle » (Alcools).
Je me relis, et je m'aperçois que je t'ai tutoyé, Baudelaire, mais « je dis tu à tous ceux que j'aime »…
La Santé, le 13 juin 2005
Il pleut aujourd'hui. Ennui… J'aurais dit cela il y a quelques mois. Mais aujourd'hui, la pluie a pour moi la voix de Verlaine : « Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville… »
La Santé, le 17 juin 2005
Vous collez des poèmes dans le métro, messieurs de la RATP ? Pourquoi les murs de nos prisons ne sont-ils pas aussi tapissés de poèmes ?
La poésie adoucit les mœurs. Elle nous fait redevenir et sentir hommes, êtres sensibles. Le prisonnier fait peur : Un dur, qui n'a pas de cœur. Pourtant la carapace que chacun, malmené par la vie, s'est forgée, il suffit de la percer. La poésie a percé la mienne. Je ne suis plus le même.
La Santé, le 21 juin 2005
Ah si les murs de la Santé, ma Santé (quel euphémisme !) pouvaient me crier ton nom : « Liberté »… Je voudrais tant que, comme pour le cancre de Prévert, les murs s'écroulent tranquillement et que les vitres redeviennent sable.
La Santé, le 21 juin 2005
Je rêve d'un avocat qui plaiderait pour moi en vers, en musique, et ferait rimer « mitard » avec « traquenard », « barreaux » avec « bourreaux », « parloir » avec « mouroir ».
La poésie est une arme… pacifique. Elle a plus de force que tous les beaux discours. Elle peut changer le monde.Avocats, soyez poètes !
La Santé, le 21 juin 2005
Il y a le temps, mais aussi le silence. Parfois je me prends à parler tout haut : et pour n'être pas fou, je récite des poèmes.
La Santé, le 20 juillet 2005
J'ai relu aujourd'hui mon journal à partir du 1er mai. Et j'ai eu « honte » ! De quoi ? Depuis le jour où j'ai découvert la poésie à l'atelier, je crois au printemps. Je ne suis plus le même, il me semble que je deviens poète.
Et si, aujourd'hui, j'écrivais un poème ? Non ! J'ai peur… Peur de quoi ? d'être ridicule ? Il faut que je me lance…
Mon train s'approche
Il y a le désert
Il y a le rythme de l'engin
Il y a un sommet
Il y a le rythme de l'engin
Il y a tout là-bas un clocher endormi
Il y a le vent qui nourrit les navires
Il y le Progrès Il y a l'Avenir
Il y a encore ce clocher
Il y avait l'amour
Il y a le rythme de l'engin
Il y aura la pluie
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