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Rimbaud, Cahiers de Douai, « Le Buffet »

Sujet d’oral • Explication & entretien

Rimbaud, Cahiers de Douai, « Le Buffet »

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.

Document

Dans ce sonnet, le buffet devient le lieu vivant de la mémoire.

Le Buffet

C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,

Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;

Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre

Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

 

Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,

De linges odorants et jaunes, de chiffons

De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,

De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ;

 

– C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches

De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches

Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

 

– Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,

Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis

Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, « Le Buffet » (1870).

2. question de grammaire.
Relevez et analysez une proposition subordonnée conjonctive dans le dernier tercet.

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Soyez très attentif aux enjambements : faites les pauses nécessaires.

Faites bien entendre les pléonasmes (« vieilles vieilleries », « conter des contes »).

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Il s’agit d’un des douze sonnets des Cahiers de Douai.

Vous pouvez montrer comment, dans ce poème, un simple buffet devient un lieu de mémoire.

2. La question de grammaire

Analysez la proposition subordonnée conjonctive (v. 14) : « Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires. »

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] « Le Buffet » est l’un des douze sonnets des Cahiers de Douai, il aurait été écrit en 1870 lors d’un séjour du poète chez les tantes de son professeur. [Situer le texte] Un buffet est un meuble où l’on range la vaisselle et divers objets. Dans son sonnet à rimes croisées, Rimbaud en fait un témoin du passé. [En dégager l’enjeu] Passant de l’aspect extérieur du buffet aux objets qu’il recèle, le poème oscille entre description objective et évocations proches du fantastique.

Explication au fil du texte

Description du buffet tel qu’on le voit (v. 1 à 8)

Vue extérieure (v. 1 à 4)

Le buffet est introduit dès le premier vers par le présentatif « c’est ». Le nom est encadré de deux adjectifs : « large », « sculpté ». S’ajoute la matière noble, « le chêne », précisée par l’adjectif de couleur « sombre ». L’incise commençant le vers 2, « Très vieux », confirme la première impression : c’est un meuble ancien.

L’adjectif « vieux », en début de vers, est repris en écho à la fin du vers par son féminin « vieilles ». En associant la bonté des « vieilles gens » à l’aspect du chêne patiné par le temps, Rimbaud attribue un caractère moral au buffet et le personnifie. La répartition des intensifs « très » et « si » parfait l’équilibre de la comparaison.

Le buffet « ouvert » file l’image de la bonté, et le verbe d’action « verse » poursuit la personnification. Le lien se crée entre les vers 2 et 3 grâce à la rime interne « air » / « ouvert » et à la répétition des mêmes sonorités [ɛr], « ouvert » et « verse » du vers 3. Les vers 2 et 4 font rimer « vieilles gens » et « parfums engageants », liant à nouveau bonté et vieillesse. Les parfums invitent à explorer le contenu du buffet à la recherche de ce « flot de vin vieux ». Mais si la comparaison montre la générosité du buffet, les mots à la rime « sombre » / « ombre », aux sonorités fermées, nuancent « cet air si bon ».

Vue intérieure (v. 5 à 8)

Deux syllabes, « Tout plein », à la connotation un peu enfantine, lancent l’exploration du buffet. Le présentatif « c’est » du premier vers est répété à la troisième syllabe du vers 5 et le « fouillis » est mimé par la répétition des mêmes sons, /i/ mouillé ([j]) (« fouillis »), amplifié par le pléonasme « vieilles vieilleries ».

L’énumération (vers 6 à 8) est rythmée par l’anaphore « de ». Le caractère disparate des objets accumulés est mis en évidence par l’opposition « linges » / « chiffons » et par l’alliance inattendue des adjectifs « odorants et jaunes » : ce qui est jauni par le temps aurait dû perdre son odeur.

Le contre-rejet « chiffons/de femmes ou d’enfants » crée un effet incongru, comme si femmes et enfants faisaient partie des objets trouvés dans le buffet. « dentelles flétries » et « grand-mère » évoquent le temps passé. Le motif peint sur les « fichus », le griffon, apporte une dimension fantastique : le griffon est un chien, mais aussi un animal mythologique, mi-aigle mi-lion.

mots clés

Rejet : placement, en début de vers, d’un mot qui appartient syntaxiquement au vers précédent.

Contre-rejet : le début d’une phrase est placé en fin de vers et la phrase se prolonge dans le vers suivant.

Description du buffet tel qu’on l’imagine (v. 9 à 14)

Les objets de la mémoire

Le premier tercet reprend le présentatif « c’est ». L’adverbe « là » fait référence au buffet comme à un lieu déjà connu ; mais le tiret initial instaure une rupture. Le conditionnel hypothétique remplace le présent descriptif des quatrains. Les objets énumérés sont intentionnellement liés au souvenir : médaillons, mèches, portraits, fleurs séchées. Le buffet est le dépositaire de la mémoire.

L’enjambement qui lie les trois vers entre eux crée un effet musical presque chanté : les parfums sont liés aux fruits qui évoquent la fraîcheur et la vie. Le passé et le présent se mêlent, créant un parfum nouveau.

Les histoires du vieux temps

Dans le dernier tercet, le poète apostrophe le buffet. L’emploi de « tu » suppose une relation de familiarité. Dans le premier vers, l’indéfini « un » ne permettait pas d’identifier le meuble. Il est à présent individualisé (« buffet du vieux temps ») ; le buffet connaît les histoires, il en a été un témoin muet.

Au vers 13, le verbe « vouloir » employé au conditionnel exprime un désir impossible à réaliser : si le buffet crée des synesthésies de parfums et de couleurs, il n’a pas la parole. Le pléonasme « conter des contes » révèle la polysémie du mot « conte » : conte pour enfants, histoires mirobolantes, mensonges…

mot clé

Synesthésies : association de plusieurs impressions sensorielles pour créer ou suggérer une image. Ainsi, dans le poème « Voyelles », Rimbaud associe les voyelles à des couleurs.

Le vers 13 se termine sur une assonance en [y] : « tu bruis ». La diérèse de « bru-is », qui rend difficile la prononciation du mot en fin de vers, mime l’incapacité du buffet à parler. Le dernier vers du tercet est solennel : les trois syllabes de l’adverbe « lentement » obligent à une diction lente. La circonstancielle de temps ouvre sur l’inconnu des histoires sues par le buffet ; les secrets sont indicibles. La rime « histoires » / « noires » laisse planer une sorte d’inquiétude : sur quelles sombres histoires s’ouvrent les portes du buffet ?

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Ce sonnet, sous des apparences anodines et un peu naïves, rend hommage au vieux temps et à ses histoires, et donne vie à des images parfois étranges ou inquiétantes.

[Mettre le texte en perspective] On peut faire un rapprochement avec le poème « Spleen » de Baudelaire, qui commence par l’évocation d’un « gros meuble à tiroirs » qui « Cache moins de secrets que [son] triste cerveau ». Chez Baudelaire comme chez Rimbaud, on remarque la présence de synesthésies et le rôle évocateur et sensuel du parfum.

2. La question de grammaire

« et [tu bruis

[Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.] ] »

La subordonnée circonstancielle est introduite par la conjonction de subordination « quand » et s’organise autour du verbe au présent « s’ouvrent ». Elle s’insère dans une phrase complexe composée de trois propositions indépendantes coordonnées et dépend de la troisième indépendante « et tu bruis ».

Cette circonstancielle exprime la simultanéité des actions de la principale et de la subordonnée. On peut remplacer « quand » par « au moment où ».

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation de La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France de Blaise Cendrars. Vous avez étudié Cahiers de Douai dans le cadre du parcours « Émancipations créatrices ». Quel rapprochement pouvez-vous faire entre Blaise ­Cendrars et Arthur Rimbaud ?

Ce sont deux fugueurs. Cendrars part à l’aventure dans ce train transsibérien à l’âge de 16 ans. Son voyage nourrit le poème, de même que Rimbaud écrit plusieurs poèmes qui prennent pour thème la fugue et le vagabondage.

2 Quelle première remarque pouvez-vous faire quant aux dates auxquelles écrivent les deux poètes ?

Les deux poètes fuguent à l’âge de 16 ans. Les poèmes des Cahiers de Douai sont écrits lorsque Rimbaud a 16 ans, alors que Cendrars écrit en 1913, bien longtemps après son long voyage de 1905. Il se penche sur son passé et n’est plus au cœur de l’événement, comme l’était Rimbaud.

3 Sur le plan de la poésie, voyez-vous des différences entre Rimbaud et Cendrars ?

Oui, dans son poème Cendrars se libère totalement des règles de la versification (c’est pour cela qu’il introduit le mot « prose » dans son titre), alors que Rimbaud, même s’il prend quelques libertés, emprunte la forme fixe du sonnet.

 

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