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Rimbaud, Cahiers de Douai, « Ma Bohême »

Sujet d’oral • Explication & entretien

Rimbaud, Cahiers de Douai, « Ma Bohême »

20 minutes

20 points

 1. Lisez le poème à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.

document

Poète précoce et attiré par la vie de bohème, le jeune Rimbaud multiplie les fugues adolescentes loin de sa famille et de sa ville natale.

Ma Bohême

(Fantaisie)

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;

Mon paletot aussi devenait idéal ;

J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;

Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

 

Mon unique culotte avait un large trou.

– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou1

 

Et je les écoutais, assis au bord des routes,

Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur2 ;

 

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques

De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, « Ma Bohême » (1870).

1. Frou-frou : bruit léger produit par le froissement d’une étoffe.

2. Vin de vigueur : vin fort.

2. question de grammaire.
Étudiez les accords dans le vers 4 : « Que d’amours splendides j’ai rêvées ! »

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Respectez la variation rythmique des vers : Rimbaud déstructure les vers classiques du sonnet et crée des effets d’élan grâce à des rejets (v. 7) ou des enjambements (la dernière phrase du second quatrain se poursuit dans les tercets).

Montrez que le lyrisme du poème se mêle à la dérision : marquez en particulier l’humour du vers 4.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Intéressez-vous au titre et au sous-titre, à l’attente qu’ils suscitent chez le lecteur ; et dites en quoi ils sont confortés par la suite.

Comment le poète exprime-t-il le plaisir de l’errance ? Comment ce vagabondage nourrit-il son inspiration poétique ?

Analysez le regard que Rimbaud pose sur lui-même : cherchez, ­au-delà du lyrisme, des indices porteurs d’une forme de dérision.

2. La question de grammaire

Faites une recherche sur la spécificité du genre du substantif « amour ».

Avec quoi s’accorde le participe passé « rêvées » ? Pourquoi porte-t-il ces marques ?

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Au xixe siècle, l’écriture poétique se renouvelle, notamment sous l’impulsion des romantiques et de Baudelaire. Adolescent révolté et fugueur, grand admirateur de Baudelaire, Rimbaud compose ses premiers poèmes à quinze ans et remet en cause les codes et traditions du genre. Ses Cahiers de Douai portent la trace des multiples fugues auxquelles l’adolescent s’est livré. [Situer le texte] « Ma Bohême », écrit en 1870, fait partie de ces textes. Ce sonnet, sous-titré « Fantaisie », raconte l’errance exaltée du jeune poète. [En dégager l’enjeu] Comment, à travers cet éloge enthousiaste et amusé d’une vie d’errance et de liberté, Rimbaud livre-t-il sa vision du monde et de la ­poésie ?

info +

Œuvre de jeunesse écrite par un adolescent de seize ans, les Cahiers de Douai annoncent déjà formellement et thématiquement les recueils plus aboutis que seront Une saison en enfer (1873) et les Illuminations (1886).

Explication au fil du texte

Le bonheur de l’errance (v. 1-8)

Le titre du poème renvoie à une vie en marge de la société, pauvre mais insouciante, sans souci du lendemain. Étymologiquement, le terme « Fantaisie », figurant en sous-titre, désigne une œuvre de l’imagination, ce que confirme bien la suite du poème, caractérisé par sa liberté de création ; ce poème s’écartant effectivement des règles traditionnelles du sonnet.

Les nombreuses occurrences du pronom « je » sont l’indice lyrique d’un ancrage autobiographique. L’imparfait domine pour exprimer des actions passées, étirées dans le temps.

Le poème s’ouvre sur un verbe de mouvement : « Je m’en allais », le vers 3 reprenant en écho cette errance sans but précis : « J’allais sous le ciel ». Le poète se livre au pur plaisir du vagabondage.

L’allusion prosaïque aux « poches crevées » (v. 1) témoigne d’une certaine pauvreté. Le vers 2 évoque avec humour un « paletot » devenu « idéal », comme si l’errance transfigurait les objets les plus dérisoires. Le manteau du poète est si usé qu’il n’a pas plus de consistance qu’une idée, devenant presque impalpable.

La mention du « ciel » (v. 3) ouvre les horizons du poète qui apostrophe lyriquement la « Muse », tutoyée, dont il se dit avec humour le « féal », le serviteur dévoué, jouant ainsi avec les clichés romantiques dans le sillage de l’amour courtois. Solitaire, le poète choisit donc la poésie comme seule compagne de route – nous verrons plus tard que la poésie envahit progressivement son univers : « rimes » (v. 7), « rimant » (v. 12), « lyres » (v. 13), « pied » (v. 14).

Le vers 4 constitue une véritable rupture dans le sonnet, marquée par les interjections exclamatives familières qui créent un rythme saccadé : « Oh ! là ! là ! ». Elles font entendre l’enthousiasme naïf du jeune poète, porté par l’allusion aux « amours » exaltantes. Rimbaud suggère ainsi son attrait pour l’imaginaire et le monde immatériel (« idéal », « rêvées »), mais, avec recul, il se moque aussi de ce qu’il a été et tourne en dérision la poésie romantique.

Le deuxième quatrain joue ironiquement du contraste entre les hautes aspirations du poète et le dénuement de la vie de bohème : « Mon unique culotte avait un large trou ». Cette trivialité reflète le refus rimbaldien du matérialisme petit-bourgeois et son désir de liberté, indispensable à la création poétique.

Des tirets modulent le rythme, ouvrant une parenthèse enchantée : au vers 6, le poète se transforme en personnage de conte, « Petit-Poucet rêveur » qui sème, non pas des cailloux, mais « des rimes » – terme qui fait l’objet d’un rejet (v. 7) qui le met en valeur. La liberté apparaît comme nécessaire à la création poétique.

à noter

Rimbaud compose son sonnet en jouant avec les règles de la poésie traditionnelle : dans un alexandrin classique, la césure se trouve après la 6e syllabe (césure dite à l’hémistiche). Ici, le poète ne respecte pas cette césure et varie le rythme.

Le plaisir de la déambulation se lit dans le mot « course » qui rime avec « Grande-Ourse », constellation qui guide le voyageur et qui devient ici une « auberge » (v. 7) pour le poète errant et pauvre, dormant à la belle étoile. Après s’être approprié comiquement les lieux (« Mon auberge », « Mes étoiles »), Rimbaud donne peu à peu à son errance une dimension cosmique.

Une contemplation inspirante (v. 9-14)

Désormais « assis au bord des routes » (v. 9), le poète ne semble manquer de rien, en communion avec une nature sublime, nourricière et inspirante.

La réalité se transfigure poétiquement dans l’errance : ainsi, les étoiles portent un « doux frou-frou » (v. 8) : les sonorités semblent faire bruire la lumière.

Rimbaud retranscrit ses sensations : les « gouttes/De rosée » sont comparées à un « vin de vigueur » (v. 11) sur le front, tel un baptême original lors de vendanges.

à noter

Par la synesthésie (symbiose entre les sens : la vue, l’ouïe, l’odorat…), le poète rend compte de sa connaissance intime du monde.

Ces « bons soirs de septembre » (v. 10), le temps paraît s’arrêter, comme suspendu ; perce la nostalgie du jeune homme pour une époque passée.

L’exaltation poétique se traduit par un rythme élancé : les vers 8 à 14 forment une seule et même phrase, bâtie sur des enjambements dynamiques qui font écho à une forme d’élan intérieur.

Le sonnet s’achève sur l’image d’un poète vagabond démuni, « rimant » au milieu de la nuit. Le poète galvanisé voit sa perception du monde transfigurée. La nature se transforme, devient irréelle et inquiétante, peuplée d’« ombres fantastiques » (v. 12).

Rimbaud s’amuse de la figure traditionnelle du poète lyrique. Ainsi, aux vers 13 et 14, la magie de l’imaginaire remplace les cordes de la lyre – instrument traditionnel et noble du poète, selon le mythe d’Orphée – par les « élastiques » (les lacets) triviaux de ses chaussures. Il met ainsi à distance l’idéal du poète inspiré par des entités abstraites, cantonné au domaine des idées. L’exaltation provoquée par la communion avec la nature compense le dénuement du poète et nourrit sa créativité.

Le sonnet se clôt sur un jeu de mots portant sur le « pied », qui désigne tout à la fois une partie du corps et une unité de versification. Si les pieds semblent ironiquement meurtris par l’errance prolongée, le « pied » près du « cœur » peut renvoyer symboliquement au bonheur de l’inspiration poétique, mais aussi à la souffrance qui peut l’accompagner (les souliers sont « blessés »).

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Ainsi, le sonnet « Ma Bohême » célèbre, à travers le récit d’une fugue, la liberté et le bonheur d’une vie sans souci du lendemain, au contact d’une nature nourricière. Cette errance est aussi une nécessité absolue pour le poète afin de parvenir à voir le monde différemment, et à créer une poésie qui soit « résolument moderne », comme l’écrivait Rimbaud. [Mettre le texte en perspective] La figure du poète fugueur et révolté a traversé l’histoire de la poésie après Rimbaud. On la retrouve par exemple chez Les Clochards célestes (1958) de la Beat Generation, évoqués dans le récit éponyme de Jack Kerouac.

2. La question de grammaire

« que d’amours splendides j’ai rêvées ! »

Le substantif « amours » est masculin lorsqu’il figure au singulier, mais féminin lorsqu’il est employé au pluriel : cela justifie l’accord du participe passé « rêvées » au féminin pluriel.

Le participe passé « rêvées » s’accorde en genre et en nombre avec le complément d’objet direct, « amours splendides », qui lui est antéposé. L’adjectif épicène « splendides » s’accorde au pluriel avec un s.

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation du recueil Poèmes et poésies de John Keats. Y a-t-il un poème qui vous a particulièrement marqué, et pourquoi ?

Dans « La Belle Dame sans mercy », le poète incarne un chevalier « errant et solitaire », rencontrant « la fille d’une fée ». Cette dernière l’endort et, dans son sommeil, des seigneurs, déjà victimes de cette belle dame, lui apparaissent et l’avertissent de son côté maléfique. Ce poème, qui s’inspire des légendes médiévales, est emblématique du romantisme dans lequel s’inscrit Keats.

2 En quoi la poésie de Keats constitue-t-elle une « émancipation ­créatrice » ?

L’expression lyrique permet au poète de s’échapper d’une vie morne. Son poème « Bright Star », destiné à sa bien-aimée, Fanny Brawne, transforme le sentiment amoureux en espoir existentiel : « Et vivre ainsi toujours – ou sinon m’évanouir dans la mort ! »

3 Quelle est la place de la mythologie dans la poésie de Keats ?

Keats convoque des figures mythologiques comme Apollon, le dieu de la poésie. De même, il retrace l’histoire du berger Endymion, amant de Séléné, qui devient une allégorie du désir de s’émanciper par son art – comme avait tenté de le faire Thomas Chatterton, poète maudit à qui le poème est dédié.

4 En quoi la poésie de Keats fait-elle écho à celle de Rimbaud ?

Comme Rimbaud, Keats s’inspire d’abord des grands poètes qui l’ont précédé – notamment de John Milton (Paradis Perdu, 1667) – avant de trouver des formes et un langage plus personnels : odes, romances narratives, sonnets… Son œuvre, d’une grande intensité, est produite, comme celle de Rimbaud, sur une période très courte, de 1816 à 1821.

 

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