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Rimbaud, Cahiers de Douai, « Roman »

Sujet d’oral • Explication & entretien

Rimbaud, Cahiers de Douai, « Roman »

20 minutes

20 points

 1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.

document

Rimbaud n’a que dix-sept ans lorsque, non sans une distance amusée, il cherche à retranscrire ses émois adolescents, quand vient l’été…

Roman

I

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.

– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade1,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

– On va sous les tilleuls verts de la promenade2

 

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits, – la ville n’est pas loin, –

A des parfums de vigne et des parfums de bière…

 

II

– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon

D’azur sombre3, encadré d’une petite branche,

Piqué4 d’une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

 

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser5.

La sève est du champagne et vous monte à la tête…

On divague6 ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête…

 

III

Le cœur fou Robinsonne7 à travers les romans,

– Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…

 

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…

– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines8

 

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.

Vous êtes amoureux – Vos sonnets La font rire.

Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.

– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !

 

– Ce soir-là,… – vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade…

– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

 

Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, « Roman » (1870).

1. Assez des bocks de bière et de la limonade. • 2. Promenade : espace bordé d’arbres, où l’on se promène à pied. • 3. D’azur sombre : de ciel sombre. • 4. Piqué : tacheté. • 5. Griser : rendre un peu ivre. • 6. On divague : on laisse errer ses pensées, on déraisonne. • 7. Le cœur fou Robinsonne : le cœur s’échappe et vagabonde. • 8. Cavatines : airs d’opéra, à sujet sentimental.

 2. question de grammaire. Vous étudierez la construction de la proposition subordonnée du vers 6 : « L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ».

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Le poème joue subtilement sur deux tonalités : le lyrisme exalté, presque naïf ; et le regard amusé, distancié de celui qui juge avec recul ses égarements adolescents.

Faites sentir l’enthousiasme et adoptez un ton tendrement moqueur pour pointer les comportements légers et ridicules de la jeunesse.

Prenez garde à la ponctuation : exclamations, tirets, points de suspension créent un rythme tantôt sautillant, tantôt suggestif et rêveur.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Les Cahiers de Douai s’inspirent des joies et des déceptions adolescentes de Rimbaud. Le titre pointe l’aspiration à une vie plus romanesque, qui se traduit par une furieuse envie d’amour.

Montrez que Rimbaud évoque avec exaltation et ironie une aventure amoureuse hors des sentiers battus, au charme certain, mais risible.

2. La question de grammaire

Repérez le nombre de propositions : comment sont-elles articulées ?

Repérez une conjonction : qu’exprime-t-elle ?

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Poète précoce, Rimbaud exprime dans les Cahiers de Douai ses révoltes adolescentes, mais aussi ses émois de jeune homme, notamment dans « Ma Bohême », « Première Soirée » et « Roman ». [Situer le texte] Sur le ton d’une confidence autobiographique, ce poème dépeint une expérience de jeunesse qui prend aussi une valeur universelle. [En dégager l’enjeu] Rimbaud retranscrit ainsi, avec une distance tendrement ironique, ses premiers émois amoureux. [Problématique] Comment ce poème, sous des allures lyriques et romanesques, dresse-t-il un portrait humoristique des amours adolescentes de Rimbaud ?

Explication au fil du texte

Une escapade à l’écart du cadre urbain (v. 1-8)

Le titre renvoie explicitement au « roman », c’est-à-dire à une œuvre imaginée, qui accorde souvent une large place aux histoires d’amour, parfois idéalisées. Ce poème se présente donc paradoxalement comme un roman, découpé en quatre chapitres, et raconte les aventures d’une brève histoire d’amour.

conseil

Pensez, dans vos études de texte, à commenter le titre de l’œuvre et celui du poème.

Le poème s’ouvre sur un jugement ironique édicté au présent de vérité générale, épinglant l’adolescent que chacun a pu être : « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans ». Au « je » lyrique des romantiques, Rimbaud préfère le pronom indéfini « on », mettant ainsi d’emblée le romantisme à distance.

Le poète crée un cadre propice aux émois : un soir de printemps, il s’échappe de la ville, explore la nature environnante, romantique, avec une délectation exprimée par la répétition de l’adjectif « bon » : « Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! » (v. 5).

La nature invite à s’abandonner à une forme d’étourdissement proche du sommeil (v. 6) ; tout en éveillant les sens, pour mieux goûter à la douceur de vivre : la vue (« tilleuls verts », v. 4), mais aussi l’ouïe (le « vent chargé de bruits »), l’odorat et le goût (« les parfums de vignes et […] de bière »). L’adolescent se laisse aller à la sensualité.

Une sensualité inédite (v. 9-16)

Le poète aperçoit soudainement à travers un arbre (« encadré d’une petite branche »), une étoile « petite et toute blanche » (v. 12) dans l’« azur sombre ». Un « tout petit chiffon » attire son attention, « chiffon » qui pourrait bien renvoyer au vêtement porté par une demoiselle qui envahit peu à peu l’espace. Mais Rimbaud donne d’emblée ironiquement un caractère dérisoire à cet éveil sensuel par la répétition de l’adjectif « petit » (v. 9, 10, 12, 16).

La ponctuation, très expressive, disloque les vers et souligne l’exaltation du poète, non sans humour : « Nuit de juin ! Dix-sept ans ! » (v. 13). Les points de suspension (v. 12, 14,16) témoignent également de la difficulté d’exprimer des émotions aussi intenses.

Un glissement s’opère du « on » au « vous » (v. 14) pour englober le lecteur dans une expérience commune, tout en conservant une distance analytique et ironique.

Envahi par une sensualité nouvelle, l’adolescent convoque le lexique de l’ivresse et l’image de la « sève » (v. 14) qui « monte à la tête » comme les bulles du champagne. L’envie d’embrasser se fait pressante : « on se sent aux lèvres un baiser » (v. 15). Le « baiser » est comparé à une « petite bête » (v. 16), suggérant une envie presque animale d’être amoureux.

Une rencontre amoureuse qui met en émoi (v. 17-24) 

Le désir d’amour perce à travers un néologisme associé à une métonymie : « Le cœur fou Robinsonne… ». Rimbaud ironise sur ses aspirations romanesques convenues et naïves, comme l’indique la rime « romans » / « charmants » (v. 17 et 19).

info

Rimbaud crée ici un verbe à partir du nom propre Robinson, héros solitaire du roman d’aventures éponyme Robinson Crusoé (1719) de Daniel Defoe.

Le rêve prend corps dans la réalité lorsqu’apparaît une jeune fille, sous la lumière théâtrale d’un « pâle réverbère » – c’est presque une petite scène de comédie qui survient ! Son père, obstacle démesuré et menaçant, l’accompagne, ridicule : la métonymie du « faux-col » le réduit à un détail vestimentaire. Dans le contexte d’effervescence sensuelle et d’imagination galopante évoqué dans les vers précédents, la demoiselle qui se joue de son père arrive à point nommé ! Son apparition, vivace, est martelée par le jeu des allitérations en [t] du vers 22.

La jeune fille a l’air d’une fausse ingénue ; la mention de ses « petits airs charmants » (v. 19) accentue l’aspect négligeable de cette rencontre. Rimbaud se moque de l’adolescent « immensément naïf » (v. 21) en amour. Les points de suspension (v. 23) laissent la phrase en suspens, tout en suggérant un signe d’amour qui déclenche comiquement chez le jeune homme en émoi, comme un soliste d’opéra, l’envie de chanter des airs brefs et tendres, des « cavatines » (v. 24).

Une amourette bien éphémère (v. 25-32)

L’anaphore « Vous êtes amoureux » (v. 25 et 26) traduit l’ivresse et l’obsession amoureuses. Pourtant, le cœur est « loué » – terme ironique qui donne le sentiment d’une aventure à durée déterminée dont la brièveté (trois mois à peine) contraste avec la solennité romantique de la majuscule attribuée à l’élue : « Vos sonnets La font rire » (v. 26). L’amoureux devient infréquentable par ses camarades ; sa vie se résume à « l’adorée ». Mais le vers 28 se clôt sur des points de suspension ambivalents : que contient la lettre ? une rupture ? ­Mystère…

à noter

Rimbaud multiplie les points de suspension dans l’intégralité du poème : ils sont propices à l’imaginaire et créent un mouvement instable, une sorte de sautillement léger.

Le « roman » évoqué dans le titre tourne court : dans le dernier quatrain, l’adolescent se retrouve à nouveau au café quitté au départ, dans un effet de boucle dont l’ironie est renforcée par les points de suspension du v. 29. La rupture est consommée, tout recommence ; la fin de l’été signe le retour de l’attirance pour les cafés bruyants.

Rimbaud se joue des codes lyriques traditionnels : « les cafés tapageurs aux lustres éclatants » deviennent par hypallage de simples « cafés éclatants » ; le vers 4 est repris, mais avec une syntaxe décalée (« on a des tilleuls verts »). Résonne alors une dernière fois la ritournelle « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans », qui semble dire l’insouciance, voire l’inconstance assumée des jeunes en quête d’émotions intenses, mais éphémères.

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Ainsi Rimbaud évoque-t-il ce moment unique de l’adolescence où toutes les émotions semblent à la fois intenses et sans lendemain ; il pose un regard à la fois tendre et ironiquement incisif sur les émois d’une jeunesse qui cherche à faire de sa vie un « roman ». Le jeune poète transgresse déjà avec une ironie virtuose les codes de la poésie romantique traditionnelle. [Mettre le texte en perspective] Ce poème laisse deviner la suite de l’aventure littéraire de Rimbaud et la révolution que ce dernier opérera dans l’écriture poétique, notamment avec Une saison en enfer (1873) et Illuminations (1886).

2. La question de grammaire

« [L’air est parfois si doux], [qu’on ferme la paupière] ».

Le vers 6 repose sur deux propositions, dans un rapport de subordination. « L’air est parfois si doux » forme la proposition principale ; « qu’on ferme la paupière » constitue la proposition subordonnée.

Le lien entre les deux propositions est assuré par la conjonction de subordination corrélative « si… que ». La subordonnée remplit donc une fonction de complément circonstanciel de conséquence. Cette structure exprime ici à quel point l’adolescent se laisse envahir par de douces sensations.

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation d’Alcools (1913), de Guillaume Apollinaire. L’auteur écrit que « les poètes modernes sont […] des créateurs, des inventeurs, des prophètes ». Qu’en pensez-vous ?

Apollinaire est un poète étroitement lié aux révolutions esthétiques du début du siècle. Il cherche à renouveler le lyrisme et l’écriture poétique. Ainsi, il supprime toute ponctuation, mélange des mètres hétérogènes, cultive parfois un certain hermétisme.

2 Quels thèmes nouveaux Apollinaire privilégie-t-il dans sa poésie ?

Apollinaire conserve les grands thèmes de la poésie lyrique, mais s’inspire des éléments de la modernité : la ville et le quotidien prosaïque sont abordés dans « Zone », faisant ainsi écho aux innovations technologiques.

 

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