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Rimbaud, grand aventurier du rêve ?

Amérique du Nord, mai 2024

Dissertation

Rimbaud, grand aventurier du rêve ?

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Ce sujet permet de s’interroger sur la figure du jeune poète en fugueur, épris de liberté et de rêves d’ailleurs.

 

 On a dit de Rimbaud qu’il était un des « grands aventuriers du rêve ». Cette affirmation éclaire-t-elle votre lecture des Cahiers de Douai ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur le recueil d’Arthur Rimbaud au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé à cette œuvre et sur votre culture personnelle.

 

Les clés du sujet

Analyser le sujet

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Formuler la problématique

Comment Rimbaud lie-t-il aventure et rêve dans les Cahiers de Douai ?

Construire le plan

1. Le rêve et l’aventure amoureuse

Relevez les poèmes qui évoquent des relations amoureuses.

Demandez-vous si ces amours sont réalisés ou restent de l’ordre du rêve.

2. L’aventure et le rêve de liberté

Intéressez-vous à la relation entre nature et liberté.

Comparez « Sensation » et « Ma Bohême ». Que remarquez-vous ?

3. Un autre monde

Contre quel travers du monde Rimbaud s’insurge-t-il ?

Demandez-vous en quoi la poésie peut créer son propre monde.

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Quel adolescent n’a pas rêvé d’aventures extraordinaires ? Pour autant, dire du jeune Rimbaud, poète et fugueur, qu’il est « un des grands aventuriers du rêve » dépasse ce simple constat. [Explication du sujet] Être un aventurier du rêve signifie que les territoires inconnus qu’on explore sont ceux du rêve, ce rêve qui peut se comprendre au sens propre (image créée pendant le sommeil), ou figuré (idéal à atteindre). [Problématique] Comment Rimbaud lie-t-il aventure et rêve dans les Cahiers de Douai ? [Annonce du plan] S’agit-il d’aventures amoureuses plus ou moins rêvées ? [I] Du rêve de liberté propre à tout esprit d’aventure ? [II] Ou du rêve d’un autre monde, celui de la poésie ? [III]

I. Le rêve et l’aventure amoureuse

1. L’aventure amoureuse rêvée

Sur les vingt-deux poèmes du recueil, six sont consacrés à des aventures amoureuses. Excepté « Première soirée », les tentatives de séduction restent bien souvent à l’état de rêves. C’est principalement au conditionnel que « Les Reparties de Nina » évoquent une promenade amoureuse.

Le plaisir réside dans la conquête plus que dans la réalisation du désir, ce qu’exprime bien le premier vers de « Roman » : « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans ». Situation initiale et situation finale sont identiques, seul existe le plaisir d’un moment parfait où nature et amour, en harmonie, provoquent une ivresse des sens qui se suffit à elle-même.

C’est cette même « fièvre » que l’on retrouve dans les trois derniers quatrains de « À la musique » : le jeu de séduction passe par le regard qui, des « mèches folles » à la « bottine », reconstruit un corps. Rien ne se passe si ce n’est la montée du désir.

2. Dérision et autodérision

« Les Reparties de Nina », « Roman », « Première soirée » sont des poèmes empreints de légèreté. Si le corps peut y être évoqué de manière « fort déshabillée », on n’y trouve jamais la lourdeur du sentiment ou du lyrisme romantique.

Au contraire, Rimbaud se moque souvent de la figure du poète amoureux. Ainsi des « Reparties de Nina », construit comme une poésie amoureuse, qui nous surprend par sa chute : la réponse laconique, voire triviale, de Nina, « Et mon bureau ? », détruit toute l’idéalisation et le charme de l’évocation.

Rien de lyrique non plus dans les deux sonnets qui semblent faire une suite : « Au Cabaret-Vert » et « La Maline ». La scène se passe à l’auberge où le jeune fugueur trouve chaleur et réconfort. Il devient l’objet de tentatives de séduction de la part des servantes, aussi appétissantes que les mets qu’elles servent. Les images, mi-enfantines mi-érotiques, renvoient à une figure maternelle plus qu’à un grand amour.

[Transition] Si la poésie amoureuse de Rimbaud peut relever du rêve, elle ne suffit pas à combler le goût de l’aventure du jeune poète.

II. L’aventure et le rêve de liberté

1. L’aventure, c’est la liberté rêvée

Dans « Sensation », le futur, contrairement au conditionnel des « Reparties de Nina » ou au futur de « Rêvé pour l’hiver », est affirmatif. Les répétitions de « j’irai » et sa reprise dans « sentirai » (« Sensation ») sonnent comme une profession de foi.

« Rêveur » placé à l’attaque du troisième vers appartient en même temps au second vers (un rejet) – c’est parce que le poète va dans les sentiers qu’il est rêveur — et au troisième vers – c’est parce qu’il est rêveur qu’il peut éprouver les sensations qui le mettent en relation avec la nature. L’accord avec la nature se manifeste par les synesthésies (la couleur bleue du ciel, la chaleur de l’été, le picotement des herbes, la fraîcheur et le vent) qui mettent tous les sens en éveil.

Seule manque l’ouïe : « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien ». Et c’est parce qu’il est ce « Rêveur » qu’il peut laisser son esprit vagabonder et s’ouvrir. C’est à cette condition que, loin des paroles des hommes, en toute liberté, le poète pourra avoir accès à l’infini mystère de la nature, de l’amour et de la poésie.

2. L’aventure et la liberté, enfin

« Sensation » a été écrit en mars 1870, « Ma Bohême » est daté d’octobre 1870 : la fugue a eu lieu. Les sonorités en [ɛ] sont les mêmes que dans « Sensation », mais cette fois c’est le passé (l’imparfait) qui domine.

info

Les tsiganes (ou gitans) sont appelés bohémiens, parce qu’on les croyait originaires de Bohême. Les Bohémiens, dès le xvie siècle, sont les symboles de la liberté et de l’errance.

« Ma Bohême » exprime le bonheur de la fugue et de l’aventure, et c’est en « Petit-Poucet rêveur » et en poète qu’il la vit. Le rêve n’est plus un avenir imaginé, mais une condition (être rêveur) pour que l’aventure ait lieu.

La nature magnifiée l’accueille en son sein : la Grande-Ourse remplace le Cabaret-Vert et ce n’est plus le « frou frou » des vêtements féminins qu’il entend, mais celui des étoiles. Le poète vit dans un monde à sa mesure, dans lequel il invente sa propre poésie et que sa poésie transforme.

[Transition] Ce désir de liberté trouve en partie sa source dans le rejet des valeurs qui règlent la vie du monde qui l’entoure.

III. Un autre monde

1. Le refus du monde qui l’entoure

Rimbaud s’insurge contre l’injustice. Dans « Les Effarés », à la manière de Hugo dans Melancholia, il dénonce la misère des enfants. Le long réquisitoire du Forgeron (« Le Forgeron ») montre la misère du peuple et son asservissement, mais aussi sa révolte et son désir d’émancipation.

Rimbaud se révolte contre le monde étriqué de la bourgeoisie. Si le jeune fugueur fuit l’autorité de sa mère, il exècre aussi la médiocrité de la bourgeoisie. Il en fait une caricature féroce dans « À la musique » : la laideur physique renvoie à la laideur des sentiments attachés à l’argent et à des préoccupations mesquines.

Mais ce qui le choque le plus, c’est la mort des idéaux : mourir pour quoi ? Les « Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize » sont morts pour la liberté, pour « briser le joug qui pèse/sur l’âme et sur le front de toute humanité ». Les guerres menées par Napoléon III ne font que servir l’ambition personnelle de l’Empereur, ridiculisé par Rimbaud dans plusieurs de ses poèmes.

2. Le chemin de la création poétique

Le rêve de liberté absolue se heurte parfois à la réalité : c’est la mort d’Ophélie au « grand front rêveur ». « Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! » s’exclame le poète. Le « cœur » d’Ophélie, comme celui du poète, « écoutait le chant de la Nature » et « l’Infini terrible effara [son] œil bleu ».

Dans « Ma Bohême » se lisent aussi la difficulté et le danger : « les poches crevées », le « large trou » de la culotte, le « paletot » devenu « idéal », les « souliers blessés », tout évoque la difficulté du chemin de l’aventure et les sacrifices qu’il faut accomplir pour être le serviteur (le « féal ») de la poésie.

à noter

Lettre de Rimbaud à Izambard : « Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens, les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. »

La poésie crée un monde, crée le monde, et ouvre sur des visions propres à chaque poète. Dans le monde créé par les vers de Rimbaud, les visions peuvent prêter à sourire : les « ombres fantastiques » riment avec « élastiques ». Mais elles peuvent aussi ouvrir sur des mondes plus étranges, ainsi des « tigres lascifs » et des « panthères rousses » de « Soleil et Chair », poème dans lequel Rimbaud appelle à un renouveau de l’homme et à un monde vibrant « comme une immense lyre ». Tout doit devenir poésie.

Conclusion

[Synthèse] Si la poésie amoureuse de Rimbaud peut relever à la fois du rêve et de l’aventure, elle ne suffit pas à faire de lui un « aventurier du rêve », car l’aventure, pour Rimbaud, est liée à un idéal de liberté. Cet idéal de liberté prend sa source dans le refus du monde étriqué qui caractérise le Second Empire, et trouve sa résolution dans la création poétique d’un autre monde, celui de la création d’images et de visions. Celui de la Poésie.

[Ouverture] C’est en cela que les Cahiers de Douai annoncent les poèmes en prose d’Illuminations (1886), après lesquels Rimbaud n’écrira plus et choisira la vie d’aventurier.

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