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Rire et philosophie

Sujet d'écrit • Dissertation

Rire et philosophie

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Le sujet propose une réflexion sur l'idéal humaniste de la Renaissance et sur les liens entre rire et philosophie.

 

Dans La Renaissance et le rire (1995), Daniel Ménager écrit : « Le rire dans ce qu'il a d'excessif est nécessaire à l'idéal philosophique ». Dans quelle mesure ce propos s'applique-t-il à Gargantua ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur le roman de Rabelais, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle.

 

Les clés du sujet

Analyser le sujet

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Formuler la problématique

Le comique outrancier dans Gargantua est-il, comme le suggère Daniel Ménager, un moyen indispensable pour accéder à l'idéal philosophique, tel que le conçoit Rabelais ? De quel idéal s'agit-il et de quelle manière le rire, avec ses excès, se met-il à son service ?

Construire le plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. Un rire libérateur ; Montrez que le comique rabelaisien a partie liée avec l'excès.Quelle est la visée des effets de grossissement ? ; Ligne 2 : 2. Un rire réflexif ; Intéressez-vous aux formes de la sagesse issues du comique.En quoi l'humour de Rabelais offre-t-il un accès à l'idéal philosophique ?; Ligne 3 : 3. Un rire humaniste ; Montrez en quoi le rire est le propre de l'homme, d'après Rabelais.De quelle manière le rire conduit-il à penser par soi-même, conformément à l'idéal humaniste ? ;

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] De Rabelais, l'imaginaire collectif a volontiers gardé l'image d'un gourmand, buveur et farceur, à l'instar de ses personnages romanesques. [Explication du sujet] Pourtant, dans La Renaissance et le rire (1995), Daniel Ménager écrit : « Le rire dans ce qu'il a d'excessif est nécessaire à l'idéal philosophique », nous invitant à voir le sage caché derrière le bon vivant.

[Problématique] Comment, dans Gargantua, le rire se met-il au service des valeurs intellectuelles et éthiques de l'auteur ?

[Annonce du plan] Pour le déterminer, nous étudierons d'abord en quoi le rire rabelaisien est effectivement excessif, avec des effets libérateurs, puis comment il conduit le lecteur à penser par lui-même. Enfin, nous montrerons qu'il est une initiation à la pensée humaniste.

I. Un rire démesuré aux effets libérateurs

1. Un comique gigantesque

Dans Gargantua (1542), Rabelais prend pour héros des géants, à qui il fait assimiler des sommes considérables de connaissances, des langues au maniement des armes en passant par l'arithmétique. Le gigantisme reflète l'immense soif de savoir qui caractérise l'humanisme naissant. Il est aussi la source de puissants effets grotesques : au chapitre IV, Gargamelle engloutit « seize muids, deux bussars et six tepins » de tripes, et le narrateur souligne que « trois cent soixante mille quatorze » bœufs ont été abattus pour l'occasion. La précision incluse dans ses dimensions hors norme prête à rire.

des points en +

Veillez à choisir des exemples dans l'ensemble de l'œuvre au programme pour montrer que vous l'avez lue ­intégralement.

La figure de l'hyperbole met en évidence l'écriture parodique chez Rabelais : elle montre du doigt l'imitation et permet au lecteur de mesurer l'écart avec le modèle. Ainsi, lorsque Frère Jean des Entommeures prend la défense de l'abbaye de Seuilly (chapitre XXVII), la scène de guerre reçoit un traitement démesuré : le moine triomphe seul de tous les assaillants picrocholins, traités de « porcs ». La vigueur du combattant évoque celle du héros épique et provoque un décalage burlesque.

2. Des cibles plurielles

Le rire né de l'excès vise moins les individus que les institutions. L'emphase et la rhétorique accumulative ont ainsi à charge de dénoncer la fausse science des doctes : le discours de Janotus de Bragmardo, venu réclamer les cloches à Gargantua dans le chapitre XIX, se déploie dans une langue latine approximative. La satire vise la prétendue éloquence judiciaire et savante.

La religion fait aussi les frais de la raillerie rabelaisienne. La sérieuse Sorbonne et ses maîtres de théologie se trouvent ainsi pris à parti, au gré des aventures du géant : au chapitre I par la voix d'Alcofribas Nasier, au chapitre VII à propos de la mère de Gargantua réputée hérétique, et dans les chapitres XVII à XX avec l'épisode des cloches volées. Largement répandues, les croyances superstitieuses populaires font aussi l'objet d'attaques récurrentes : le culte immodéré des saints, la manie des pèlerinages, les dévotions irraisonnées constituent pour le lecteur autant d'occasions de rire.

Sous la plume de Rabelais, le rire naît de l'excès et brocarde les tenants prétendus du savoir. Comment peut-il alors simultanément permettre d'exprimer un idéal philosophique ?

II. Un rire qui invite à la réflexion

1. Le rire : expression de la sagesse

Loin des prétentions élitistes, l'idéal philosophique rabelaisien renoue avec certaines formes du bon sens populaire. Rabelais emprunte aux contes l'épisode de la jument monstrueuse (chapitre XVI) ou la mésaventure des pèlerins (chapitre XXXVIII), déjà rapportés dans les Grandes Chroniques, compilation contemporaine de Gargantua.

Conseil

Vous aurez sans doute lu Gargantua dans une version modernisée du texte. Pour les citations empruntées à l'œuvre, vous pouvez donc utiliser cette version.

Pourtant, plus qu'à la sagesse collective du peuple dont il dénonce les préjugés, Rabelais s'en remet à la figure de Socrate pour incarner son idéal philosophique. En effet, le penseur grec dissimule, sous un « détachement incroyable », « son divin savoir ». S'il est « toujours riant, trinquant avec chacun, toujours se moquant », il détient également savoir et sagesse.

2. Le rire : une méthode

Placé sous le signe de la sagesse socratique, le « Prologue » enjoint le lecteur du roman à ne pas se fier à son « enseigne extérieure » mais à dépasser « moqueries et folâtreries » pour découvrir « que les matières ici traitées ne sont pas si folâtres que le titre le prétendait ». Il s'agit d'extraire de la forme comique la « substantifique moelle ».

Le rire dans ce qu'il a d'excessif n'est donc pas une fin en soi mais un moyen d'atteindre un idéal philosophique. Il est un adjuvant dans la quête d'un plus haut sens, un aiguillon dans la venatio sapientae ou chasse de la sagesse. Les effets de surenchère invitent à un décryptage des paroles des personnages et des événements, pour en dégager le sens allégorique.

Le rire outrancier de Gargantua permet à Rabelais d'inviter plaisamment ses lecteurs à penser par eux-mêmes. Quel est cet idéal philosophique auquel le comique exacerbé donne accès ?

III. Un rire à la mesure de l'idéal humaniste

1. « Le propre de l'homme »

Dès « l'Avis aux lecteurs », Rabelais justifie son parti pris en se fondant sur une maxime d'Aristote : mécanisme caractéristique de l'humain, le rire lui apparaît comme une panacée, c'est-à-dire un remède universel aux misères et aléas de l'existence. De ce point de vue, les formes comiques les plus outrancières auraient la vertu de soulager les peines du lecteur et de le mettre en état de penser.

Antidote à la misère de l'homme, le rire apparaît comme la condition de possibilité de l'idéal philosophique. Au reste, la Renaissance offre de nombreux exemples de ce mélange des genres : le lecteur du XVIe siècle ne voyait pas d'antinomie entre les bonnes paroles de Grandgousier, défenseur de la sagesse humaniste, et les plaisanteries grossières des pèlerins (chapitre XLV).

2. Le rire est un humanisme

L'excès qui se manifeste dans le comique signe un refus de toute pesanteur didactique. Il ne s'agit pas d'assigner au lecteur un idéal philosophique mais de l'acheminer vers lui. Fruit d'une alliance entre l'antiphrase et l'hyperbole, l'ironie manifeste la confiance placée par Rabelais dans son lecteur : il le sait capable d'inverser la valeur d'un énoncé, alerté par la surenchère. Ainsi en va-t-il de la conclusion du chapitre XIV : l'éducation reçue chez les sophistes se trouve au final discréditée par une comparaison burlesque avec la cuisson du pain. Cela a pour effet de faire réfléchir le lecteur aux modèles d'instruction.

La fin du roman elle-même laisse ouverte l'interprétation : l'énigme de la prophétie n'est point résolue entre Frère Jean et Gargantua. Le « haut sens » n'est pas donné d'emblée, il est à construire avec humilité et prudence : le lecteur doit se méfier des formules de sagesse émanant du narrateur Alcofribas Nasier.

Conclusion

Gargantua de Rabelais apparaît comme un roman de la démesure : les aventures d'un géant y font naître des effets comiques aussi puissants qu'illimités ; le rire s'en prend de manière privilégiée aux tenants prétendus de la sagesse. La quête de l'idéal philosophique, humaniste en particulier, se trouve alors encouragée et rendue possible par le rire, avec tous ses excès, en ce qu'il libère la pensée, la soustrait à la force du préjugé et conforte l'humanité en l'homme. Chez Rabelais, s'affirme une nouvelle foi en l'homme dont le rire constitue l'épiphanie.

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