Le bonheur
Le bonheur
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Explication de texte
Saint Augustin, Les Confessions
Intérêt du sujet • Si l'on demande à deux hommes s'ils veulent être soldats, que l'un répond oui et l'autre non, sommes-nous amenés à en conclure que leur bonheur n'est pas le même ? « À chacun son bonheur », dit le proverbe : pourtant, n'avons-nous pas tous la même idée de ce qu'est le bonheur ?
Expliquez le texte suivant :
Tous sans exception, nous voulons être heureux ! Et cela, si nous ne le connaissions pas d'une connaissance déterminée, nous ne le voudrions pas d'une volonté si déterminée.
Mais qu'est ceci ? Que l'on demande à deux hommes s'ils veulent être soldats, et il peut se faire que l'un réponde oui, l'autre non ; mais qu'on leur demande s'ils veulent être heureux, et tous les deux aussitôt sans la moindre hésitation disent qu'ils le souhaitent, et même, le seul but que poursuive le premier en voulant être soldat, le seul but que poursuive le second en ne le voulant pas, c'est d'être heureux. Serait-ce donc que l'on prend sa joie, l'un ici, l'autre là ? Oui, tous les hommes s'accordent pour déclarer qu'ils veulent être heureux, comme s'ils s'accorderaient pour déclarer, si on le leur demandait, qu'ils veulent se réjouir, et c'est la joie elle-même qu'ils appellent vie heureuse. Et même si l'un passe ici, l'autre là pour l'atteindre, il n'y a pourtant qu'un seul but où tous s'efforcent de parvenir : la joie. Et puisque c'est une chose dont personne ne peut se dire sans expérience, on retrouve donc la vie heureuse dans la mémoire, et on la reconnaît dès qu'on entend le mot.
Saint Augustin, Les Confessions, 354-430.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Les clés du sujet
Repérer le thème et la thèse
Augustin aborde ici la question du bonheur. De toute évidence, les mêmes choses ne nous rendent pas tous heureux : mais alors, chacun d'entre nous a-t-il une conception du bonheur qui lui est propre ?
Il démontre que nous avons tous la même idée du bonheur, même si nous n'y accédons pas tous par les mêmes moyens.
Dégager la problématique
Repérer les étapes de l'argumentation
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Le secret de fabrication
L'introduction doit formuler la question abordée par l'auteur, expliquer en quoi cette question pose problème, formuler la thèse de l'auteur, et annoncer les principales étapes de la démonstration, sans entrer dans le détail du texte.
[Question abordée] Il semble que nous voulions tous être heureux. Mais, quand nous le voulons, que voulons-nous ? [Problématique] On aurait tendance à définir le bonheur par son contenu : être heureux, ce serait avoir du temps pour soi, de l'amour, une famille, de l'argent, etc. Cette définition n'en est pourtant pas une. Il s'agit seulement d'une description des moyens d'accès au bonheur, qui sont nécessairement subjectifs. Mais est-il possible de vouloir, et de façon si universelle, une chose dont nous n'avons pas d'idée commune ? [Thèse] Augustin démontre ici qu'au-delà de la diversité de nos goûts, de nos idées et de nos vies, nous avons tous la même idée claire de ce qu'est le bonheur. [Annonce du plan] Dans un premier temps, il établit que l'on ne peut viser que ce que l'on connaît. Mais que sait-on de l'idée du bonheur, dès lors que les mêmes choses ne nous rendent pas heureux ? En réalité, conclut-il, le bonheur fait l'objet d'une connaissance qui repose sur l'expérience et le souvenir de la joie.
1. Nous recherchons tous le bonheur
A. Le bonheur est l'objet d'une quête universelle
Dans un premier temps, Augustin énonce un présupposé : nous voulons tous être heureux, « sans exception », précise-t-il. Autrement dit, le bonheur est l'objet d'une quête universelle. Cette première affirmation semble relever de l'évidence, dans la mesure où il serait difficile de soutenir que l'on veut, au contraire, être malheureux. Le malheur, de fait, apparaît comme l'échec d'une quête du bonheur : il ne semble pas pouvoir être choisi, ni voulu. Ainsi, le bonheur serait l'objet d'une volonté universelle, et non d'une volonté particulière, c'est-à-dire d'une volonté qui ne serait propre qu'à certains.
à noter
Est universel ce qui est valable partout et toujours, est particulier ce qui n'est valable que dans certains cas. La distinction universel/général/particulier/singulier est un repère de votre programme.
B. On ne veut que ce qu'on connaît
Dans cette mesure, on est en droit de penser qu'il existe une connaissance universelle du bonheur. Si nous tendons universellement vers un objet, en effet, on peut supposer que nous savons ce qu'est cet objet.
C'est ce que souligne Augustin en établissant une symétrie entre la nature de notre volonté (elle est « déterminée », c'est-à-dire que son but est précis et qu'elle met donc tout en œuvre pour le rejoindre), et la nature de cette connaissance (elle aussi est « déterminée », c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de la connaissance vague d'un objet). Il semble donc que nous ayons tous la même idée du bonheur, et qu'il puisse être un concept, un objet que nous pouvons saisir par l'entendement dont nous disposons tous.
[Transition] Mais s'il apparaît alors que nous devons tous savoir ce qu'est le bonheur puisque nous le cherchons tous, comment le définir ?
2. Nous savons tous ce qu'est la joie
A. Le bonheur n'est pas définissable par son contenu
Le conseil de méthode
Même si le terme n'apparaît pas explicitement dans le texte, vous devez être capable de mobiliser dans vos devoirs certains repères du programme, ici la distinction objectif/subjectif. C'est en partie ce travail conceptuel qui vous permet de ne pas décrire le texte, mais de l'expliquer.
À ce moment de l'argumentation, la question est donc la suivante : nous devons être capables de nous accorder sur une définition objective du bonheur, mais laquelle ? Augustin développe alors l'exemple de deux hommes à qui l'on demande s'ils veulent être soldats, puis s'ils veulent être heureux. S'il est évident que tous deux répondront qu'ils veulent le bonheur (c'est ce qu'ils visent, comme nous tous, à travers leurs actions), pourtant, l'un veut être soldat, l'autre non. Autrement dit, ces deux hommes divergent quant au moyen (être ou non soldat) d'obtenir un même bonheur. Être soldat peut donc apparaître comme une condition du bonheur, mais une condition subjective seulement. Car peut-on dire pour autant que ces deux hommes n'ont pas le même bonheur, ou que l'un veut le bonheur, tandis que l'autre le refuse ? Il serait absurde de soutenir que l'un de ces hommes ne veut pas le bonheur : on l'a vu, Augustin tient le bonheur pour l'objet d'une volonté universelle. Mais n'est-il pas moins absurde de penser que ces deux hommes n'ont pas le même bonheur, et, par conséquent, qu'il y aurait différents bonheurs, plusieurs bonheurs, ce qui nous interdirait d'y voir un concept ?
B. L'expérience subjective de la joie
À partir de là apparaît la difficulté de la définition du bonheur : est-il seulement possible de le définir, de dire ce qu'il est pour nous tous, au-delà d'un but qui nous est commun ? En réalité, si nous savons tous ce qu'est le bonheur, c'est que nous l'expérimentons sous la forme de cette joie que les hommes, dit Augustin, « appellent vie heureuse ».
La joie est une satisfaction immédiate, qui dépend étroitement des dispositions et des particularités d'un individu : il s'agit d'une satisfaction subjective. En ce sens, ce qui me rend joyeux, ce qui comble mon désir, n'est pas nécessairement ce qui rend l'autre joyeux, puisqu'il ne dispose pas des mêmes particularités et donc des mêmes désirs que moi. Ainsi, être soldat peut produire une joie, comme ne pas la produire.
[Transition] Pourtant, si la joie est subjective, le bonheur l'est-il aussi ?
3. On connaît le bonheur par l'expérience de la joie
A. Nous avons tous fait un jour l'expérience de la joie
Du lien posé entre le bonheur et la joie découle alors cette conséquence, sur laquelle Augustin clôt son raisonnement : si le bonheur pouvait nous apparaître comme un concept a priori difficilement saisissable, la joie, elle, nous semble plus facile à saisir. La joie, dit Augustin, est « une chose dont personne ne peut se dire sans expérience ».
à noter
Kant, lui, définit le bonheur comme un « idéal, non de la raison, mais de l'imagination », dans la mesure où il correspond à l'idée d'un maximum de satisfaction, présente et future, dont il est impossible de faire l'expérience. Ainsi, le concept de bonheur est un « concept indéterminé ».
En d'autres termes, s'il est possible de dire que nous ne savons pas pleinement ce qu'est le bonheur (nous n'avons jamais été tout à fait heureux, certaines personnes ne le sont jamais, etc.), il est impossible de dire que nous n'avons jamais éprouvé cette forme de satisfaction immédiate, et a priori plus modeste, qu'est la joie.
B. Nous connaissons le bonheur par le souvenir de nos joies
La question de départ peut alors se résoudre : puisque l'expérience du bonheur sous la forme de la joie est universelle (tout le monde a un jour éprouvé une joie), alors nous connaissons tous le bonheur. Ainsi, nous en avons tous une trace en nous, un souvenir, et le « mot » même de bonheur rappelle à nous le souvenir de cette joie. Par conséquent, c'est cette faculté intellectuelle qu'est la mémoire qui nous permet de savoir ce qu'est le bonheur.
Conclusion
En définitive, s'il est impossible de définir le bonheur par ses conditions de possibilités, ou par ses voies d'accès, le bonheur est pourtant l'objet d'une connaissance, dans la mesure où le terme même de bonheur nous renvoie tous au souvenir d'une expérience joyeuse. Loin d'être une réalité subjective, le bonheur s'objective en nous par le souvenir de cette joie à laquelle nous tendons à l'identifier. En somme, nous savons ce qu'est le bonheur parce que nous l'avons tous expérimenté un jour sous la forme de la joie.