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Sarraute, Pour un oui ou pour un non, un inconstant condamné

Sujet d’oral • Explication & entretien

Sarraute, Pour un oui ou pour un non, un inconstant condamné

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.

Puis proposez-en une explication linéaire.

document

h. 2 révèle ici qu’il a été condamné pour avoir rompu des liens d’amitié. Les deux amis reviennent aussi, à cette occasion, sur l’expression à l’origine de leur conflit.

h. 2 : On a su qu’il m’est arrivé de rompre pour de bon avec des gens très proches… pour des raisons que personne n’a pu comprendre… J’avais été condamné… sur leur demande… par contumace1… Je n’en savais rien… J’ai appris que j’avais un casier judiciaire2 où j’étais désigné comme « Celui qui rompt pour un oui ou pour un non ». Ça m’a donné à réfléchir…

h. 1 : C’est pour ça qu’avec moi, tu as pris des précautions… rien de voyant. Rien d’ouvert…

h. 2 : On peut me comprendre… « Rompt pour un oui ou pour un non… » Tu te rends compte ?

h. 1 : Maintenant ça me revient : ça doit se savoir… Je l’avais déjà entendu dire. On m’avait dit de toi : « Vous savez, c’est quelqu’un dont il faut se méfier. Il paraît très amical, affectueux… et puis, paf ! pour un oui ou pour un non… on ne le revoit plus. » J’étais indigné, j’ai essayé de te défendre… Et voilà que même avec moi… si on me l’avait prédit… vraiment, c’est le cas de le dire : pour un oui ou pour un non… Parce que j’ai dit : « C’est bien, ça »… oh pardon, je ne l’ai pas prononcé comme il fallait : « C’est biiiien… ça… »

h. 2 : Oui. De cette façon… tout à fait ainsi… avec cet accent mis sur le « bien »… avec cet étirement… Oui, je t’entends, je te revois… « C’est biiien… ça… » Et je n’ai rien dit… et je ne pourrai jamais rien dire…

h. 1 : Mais si, dis-le… entre nous, voyons… dis-le… je pourrai peut-être comprendre… ça ne peut que nous faire du bien…

h. 2 : Parce que tu ne comprends pas ?

h. 1 : Non, je te le répète… je l’ai sûrement dit en toute innocence. Du reste, je veux être pendu si je m’en souviens… J’ai dit ça quand ? À propos de quoi ?

h. 2 : Tu avais profité d’une imprudence… je peux dire que j’ai été te chercher…

h. 1 : Mais qu’est-ce que tu racontes ?

h. 2 : Oui. J’y suis allé. Comme ça. Les mains nues. Sans défense. J’ai eu la riche idée d’aller me vanter… j’ai voulu me valoriser… j’ai été… auprès de toi !…. me targuer3 de je ne sais quel petit succès… j’ai essayé de grimper chez toi… j’ai voulu me hisser là-haut dans ces régions que tu habites… et tu m’as soulevé par la peau du cou, tu m’as tenu dans ta main, tu m’as tourné et retourné… et tu m’as laissé retomber, en disant : « C’est biiien… ça… »

Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non (1981),

© Éditions Gallimard.

1. Par contumace : sans comparaître devant le tribunal.

2. Casier judiciaire : relevé de toutes les condamnations prononcées contre un individu.

3. Me targuer : me vanter.

2. question de grammaire.

Analysez la subordonnée conjonctive circonstancielle : « Parce que tu ne comprends pas ? » (l. 25)

 

conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Faites sentir une différence de ton entre les deux personnages : ­sarcasme et ironie chez h. 1, mais pas chez h. 2.

Travaillez avec soin la lecture de « C’est bien… ça » : l’intonation de cette phrase est au cœur du conflit.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Au début de la pièce, h. 2 a avoué à h. 1 la raison pour laquelle il a souhaité rompre leur amitié : la manière dont il a prononcé les mots « C’est bien… ça » lui a déplu, ce qui explique son éloignement. La raison paraît bien dérisoire.

Dans cette scène, h. 2 révèle qu’il a été condamné pour avoir rompu des liens d’amitié sans raison ; il y évoque aussi le face-à-face originel où fut prononcée l’expression source de discorde avec h. 1.

2. La question de grammaire

Identifiez d’abord le type de circonstancielle grâce à la locution subordonnante. Puis étudiez la forme interrogative de la phrase.

1. l’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] h. 1 est très étonné lorsque son ami h. 2 lui révèle qu’il a « rompu » leur amitié en raison d’une phrase qu’il aurait prononcée d’une manière condescendante (« C’est bien, ça »). [Présenter le texte] Cet extrait se situe au moment où h. 1, circonspect, demande à h. 2 de plus amples explications. [En dégager l’enjeu] En quoi cet extrait est-il un instant de révélation sur le caractère de h. 2, ainsi que sur la cause de son désir de rupture ?

I. L’évocation par h. 2 de sa condamnation pour ruptures d’amitié (l. 1-18)

1. L’inconstance châtiée

Le texte débute par le sentiment de h. 2 d’être en proie à une condamnation sociale, marquée par le passif (« J’avais été condamné… ») et l’emploi du champ lexical de la justice (« condamné » ; « par contumace »…). h. 2 se place lui-même dans la peau d’un coupable : « J’ai appris que j’avais un casier judiciaire. »

En raison de ses ruptures amicales en apparence inexplicables (« pour des raisons que personne n’a pu comprendre »), h. 2 est accusé d’inconstance. Il se sait mis à l’écart du monde, condamné et affublé de la périphrase péjorative : « Celui qui rompt pour un oui ou pour un non ».

La réaction ironique de h. 1 souligne que le conflit entre eux est déjà bel et bien ancré : « C’est pour ça qu’avec moi, tu as pris des précautions… ». h. 2, déjà méprisé par la société, est de surcroît accablé par son ami. Sa défense paraît alors bien vaine : « On peut me comprendre… […] Tu te rends compte ? ».

2. Une rumeur prophétique

Le portrait que h. 2 brosse de lui-même, loin de susciter la pitié de h. 1, réveille des souvenirs enfouis, comme en témoigne l’adverbe temporel : « Maintenant ça me revient ». L’irruption du discours direct dans le dialogue rappelle l’avertissement prophétique donné auparavant à h. 1 par la société : « c’est quelqu’un dont il faut se méfier. […] pour un oui ou pour un non… on ne le revoit plus. »

Cette révélation est à l’époque tragique pour h. 1 (« J’étais indigné, j’ai essayé de te défendre ») qui tente alors de plaider en faveur de h. 2, mais en vain. La modalisation « Et voilà que même avec moi… » exprime tout le dépit d’un homme trahi.

L’incrédulité de h. 1 est mise en valeur par l’écriture (les points de suspension omniprésents ; l’interjection « paf ! ») et le système hypothétique elliptique : « si on me l’avait prédit… ». Il réaffirme avec force le caractère apparemment dérisoire de la décision de rupture amicale : « vraiment, c’est le cas de le dire : pour un oui ou pour un non… »

mot clé

Le titre de la pièce est désormais élucidé : « Pour un oui ou pour un non » fait référence au caractère lunatique de h. 2, capable de rompre une amitié sincère pour quelques mots interprétés de manière condescendante.

II. La reconstitution de la scène à l’origine du différend (l. 19-38)

1. Le poids des mots

h. 1 rappelle l’expression qui a déclenché la discorde, qu’il répète à deux reprises, pour bien faire saisir les nuances d’intonation, la réitération des « i » marquant son ironie : « "C’est bien, ça"… oh pardon, je ne l’ai pas prononcé comme il fallait : "C’est biiiien… ça…" ».

À rebours des sarcasmes de h. 1, h. 2 aborde la question avec gravité et souligne les différences de tonalité : « De cette façon… […] avec cet accent mis sur le "bien"… avec cet étirement… ».

pour aller + loin

L’extrait constitue une gageure pour les comédiens qui doivent faire sentir d’infimes nuances dans la prononciation et l’intonation d’une phrase en apparence banale. Votre lecture doit refléter ces changements de sens !

Les deux hommes peinent à dire leurs vérités. h. 2 regrette de n’avoir pas osé parler, et de ne jamais pouvoir le faire à l’avenir, comme le montre le temps des verbes : « Et je n’ai rien dit… et je ne pourrai jamais rien dire… ».

2. Un souvenir douloureux

La conversation semble alors prendre une tournure moins acerbe lorsque h. 1 évoque leur complicité (« entre nous, voyons… ») et pousse h. 2 à expliciter son grief par les deux injonctions : « Mais si, dis-le… […] dis-le… ». La tension porte autant sur les mots eux-mêmes que sur les circonstances dans lesquelles ils ont été prononcés : « Parce que tu ne comprends pas ?/Non, je te le répète… ».

h. 1 multipliant les questionnements (« J’ai dit ça quand ? »…), les deux hommes parviennent à remonter progressivement jusqu’au souvenir précis, responsable de leur éloignement.

C’est ainsi que h. 2 évoque sa volonté d’accéder au monde de h. 1, plus élevé que le sien, auquel il a espéré appartenir un instant : « je peux dire que j’ai été te chercher… […] Oui. J’y suis allé. »

La longue réplique finale de h. 2 révèle enfin la vérité et dépeint de manière imagée l’humiliation profonde qu’il a ressentie en se retrouvant comme un chaton impuissant dans les mains de h. 1 : « et tu m’as soulevé par la peau du cou, tu m’as tenu dans ta main, tu m’as tourné et retourné… ». Chez Sarraute, les failles du langage rendent ainsi les personnages vulnérables et aisément manipulables ; laissant ici h. 2 éprouver durement la condescendance de h. 1 : « tu m’as laissé retomber, en disant : "C’est biiien… ça…" ».

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] La cause de la rupture est donc enfin révélée dans cet extrait qui constitue le premier contentieux séparant les deux amis. [Mettre le texte en perspective] L’évocation de ce souvenir douloureux peut être rapproché du temps évoqué plus loin dans la pièce, où les deux hommes faisaient de l’alpinisme dans la barre des Écrins, épisode au cours duquel h. 1 s’était senti, à son tour, humilié par h. 2.

2. la question de grammaire

« Parce que tu ne comprends pas ? »

C’est une proposition subordonnée conjonctive utilisée en fonction de complé­ment circonstanciel de cause ; elle est introduite par la conjonction de subordination « Parce que ».

Dans la phrase, la proposition principale n’apparaît pas : elle est elliptique.

La proposition subordonnée permet de réagir de manière polémique, sous la forme d’une interrogation directe et fermée, à l’affirmation de h. 1 : « je pourrai peut-être comprendre… ».

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation de Juste la fin du monde (1990) de J.-L. Lagarce. Quelle est la place de la dispute dans cette œuvre ?

Plusieurs disputes ont lieu dans la pièce, mais la plus importante est celle qui oppose Louis à son frère Antoine, qui ne lui pardonne pas de les avoir « abandonnés », sa famille et lui, des années auparavant.

2 Comment le langage est-il à la source de l’incompréhension dans la pièce de Lagarce ?

Les personnages se parlent sans réussir à trouver les mots justes pour exprimer ce qu’ils ressentent. Multipliant les autocorrections, les rectifications, les précisions vaines, ils tournent autour de ce qu’ils veulent dire plutôt qu’ils ne l’expriment véritablement.

3 La dispute mène-t-elle, comme dans Pour un oui ou pour un non, à la rupture irrévocable ?

Oui, car à la fin de la pièce, alors qu’Antoine lui enjoint de partir, Louis s’en va seul, sans avoir pu annoncer ce qu’il voulait dire à sa famille. L’épilogue montre Louis face à ses regrets, marchant irrémédiablement vers sa mort prochaine.

 

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