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Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation

Explication de texte

Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Attendre avec impatience une fête de famille et se réjouir soudain de ne pas pouvoir s'y rendre : cette joie inavouable est le signe de la satisfaction d'un désir dont on n'était pas conscient jusqu'à présent. Est-ce à dire que notre conscience ne saisit qu'une partie de nos volontés ?

 

Expliquez le texte suivant :

Souvent nous ne savons pas ce que nous souhaitons ou ce que nous craignons. Nous pouvons caresser un souhait pendant des années entières, sans nous l'avouer, sans même en prendre clairement conscience ; c'est que l'intellect n'en doit rien savoir, c'est qu'une révélation nous semble dangereuse pour notre amour-propre, pour la bonne opinion que nous tenons à avoir de nous-mêmes ; mais quand ce souhait vient à se réaliser, notre propre joie nous apprend, non sans nous causer une certaine confusion, que nous appelions cet événement de tous nos vœux ; tel est le cas de la mort d'un proche parent dont nous héritons.

Et quant à ce que nous craignons, nous ne le savons souvent pas, parce que nous n'avons pas le courage d'en prendre clairement conscience. Souvent même nous nous trompons entièrement sur le motif véritable de notre action ou de notre abstention, jusqu'à ce qu'un hasard nous dévoile le mystère. Nous apprenons alors que nous nous étions mépris sur le motif véritable, que nous n'osions pas nous l'avouer, parce qu'il ne répondait nullement à la bonne opinion que nous avons de nous-mêmes. Ainsi, nous nous abstenons d'une certaine action, pour des raisons purement morales à notre avis ; mais après coup nous apprenons que la peur seule nous retenait, puisque, une fois tout danger disparu, nous commettons cette action.

Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, 1818.

 

Les clés du sujet

Repérer le thème et la thèse

Schopenhauer examine dans ce texte le rapport entre la conscience et la volonté.

Il démontre que notre volonté n'est pas au service d'une conscience toute-puissante qui lui donnerait des ordres : souvent, nous éprouvons des désirs et des craintes qui échappent à notre conscience ou ne lui parviennent qu'après coup.

Dégager la problématique

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Repérer les étapes de l'argumentation

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : 1. Nous ne savons pas ce que nous désirons (l. 1 à l. 9); Schopenhauer met en évidence la présence en nous de désirs inconscients et se demande pour quelles raisons ils n'accèdent pas à la conscience. Il développe une explication appuyée sur un exemple : ce qui nous empêche de reconnaître en nous ces désirs contraires à la morale, c'est notre amour-propre.; Ligne 2 : 2. Nous ne savons pas ce que nous craignons (l. 10 à l. 20); De la même façon, certaines peurs inconscientes nous poussent à agir ou nous en empêchent sans que nous le sachions.Notre amour-propre nous aveugle. Il apparaît ainsi que notre volonté n'est pas au service de notre conscience.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Question abordée] Notre volonté est-elle au service de notre conscience ? A priori, on pourrait se représenter notre volonté comme la simple exécutante d'une conscience clairvoyante qui lui prescrit ce qu'il lui faut fuir ou poursuivre. [Thèse] C'est précisément cette subordination de la volonté à la conscience que récuse Schopenhauer dans ce texte. Il y a en nous, dit-il, des désirs inconscients et des peurs qui nous poussent à agir sans que nous le sachions : nous ne sommes donc pas identifiables à notre conscience. [Annonce du plan] Pour démontrer cela, Schopenhauer met d'abord en évidence la présence en nous de désirs inconscients et se demande pour quelles raisons ils n'accèdent pas à la conscience. Dans un second temps, il souligne l'existence en nous de peurs inconscientes qui nous retiennent d'agir sans que nous soyons capables de les reconnaître. Il apparaît alors que loin d'être au service de notre conscience, notre volonté peut la mystifier en lui cachant nos motifs d'action.

1. Nous ne savons pas ce que nous désirons

A. Le désir et la peur sont deux actes de notre volonté

Dans un premier temps, Schopenhauer énonce une observation qui sera le point de départ de sa démonstration : « Souvent, dit-il, nous ne savons pas ce que nous souhaitons ou ce que nous craignons ». Cette observation peut sembler étonnante : que serait un désir que nous n'éprouverions pas comme tel ? Que serait une peur dont nous n'aurions pas conscience ?

Le désir comme la peur sont des actes de notre volonté. Le désir nous porte vers certains objets, la peur nous pousse à en fuir d'autres, mais il nous semble bien en avoir conscience. Nous avons ainsi tendance à croire que quand nous désirons, nous avons conscience de ce désir, et que cette conscience va mettre en branle notre volonté dans le but de le satisfaire.

à noter

Schopenhauer se réfère à Augustin qui, dans La Cité de Dieu, définit le désir et la joie comme « la volonté en accord avec ce que nous voulons », et la crainte et la tristesse comme « la volonté en désaccord avec ce que nous ne voulons pas ».

B. Notre amour-propre nous empêche de prendre conscience de certains désirs

Schopenhauer entreprend d'éclairer la première partie de cette observation : il nous est possible, dit-il, de vouloir une chose sans le savoir, c'est-à-dire sans que notre « intellect » – notre pouvoir de connaître – accède à ce désir.

à noter

Ce processus inconscient par lequel des désirs sont empêchés d'accéder à la conscience sera conceptualisé par Freud sous le nom de « refoulement ».

Mais pour quelles raisons certains désirs échapperaient-ils à notre conscience ? Il propose alors une explication : si ces désirs nous échappent, c'est parce que notre conscience morale, ce juge intérieur qui blâme ou approuve nos conduites, nous empêche de les reconnaître en nous. Ces désirs apparaissent en effet contraires à « notre amour-propre », à « la bonne opinion que nous tenons à avoir de nous-mêmes », et c'est pour cette raison que nous refusons d'en prendre conscience. Notre intellect peut leur « refuser » l'accès à la conscience parce que nous nous jugerions immoraux.

C. Nous ne prenons conscience de ces désirs que par notre joie de les voir satisfaits

Mais comment prouver l'existence en nous de ces désirs honteux inconsciemment refoulés ? S'ils ne nous sont pas conscients, si nous ne savons rien d'eux, existent-ils seulement ? Schopenhauer explique alors que nous éprouvons l'existence de tels désirs au moment où ceux-ci se réalisent : « notre propre joie nous apprend, non sans nous causer une certaine confusion, que nous appelions cet événement de tous nos vœux ». La preuve de l'existence de ces désirs serait ainsi le sentiment incontestable, la « joie », qui correspond à la satisfaction d'un de ces désirs.

Par cette joie qui surprend notre intellect, nous réalisons a posteriori que nous désirions ce qui est advenu. Arthur Schopenhauer s'appuie sur un exemple : s'il nous semble choquant de désirer la mort d'un proche parent pour hériter de lui, il apparaît à la mort de ce proche que ce désir de mort était présent en nous. Comment expliquer, sans cela, la joie que nous éprouvons en recevant l'héritage ? Ainsi, c'est a posteriori, et par surprise, par ce signe de satisfaction qu'est la joie, que nous prenons conscience de certains désirs inavouables : nous faisons alors l'expérience troublante de l'indépendance de notre volonté à l'égard de notre conscience.

[Transition] Cette volonté qui nous pousse inconsciemment vers certains objets nous fait également reculer devant d'autres : de la même façon que nous ignorons certains désirs qui nous travaillent, nous ignorons, dit Schopenhauer, que certaines craintes peuvent parfois être les vrais motifs de nos actions.

2. Nous ne savons pas ce que nous craignons

A. Nous croyons connaître les motifs de nos actions

Schopenhauer examine alors un autre acte de notre volonté, à savoir la crainte, par laquelle nous manifestons un désaccord avec une chose que nous refusons : « Souvent… nous ne savons pas ce que nous craignons ». L'affirmation, là encore, peut surprendre : comment pourrions-nous craindre une chose sans le savoir ? Comment prouver l'existence en nous de ces peurs dont nous-mêmes ne savons rien, et comment établir qu'elles sont le motif inconscient de certaines de nos actions ?

En réalité, de la même façon que notre désir inconscient ne pouvait nous apparaître qu'a posteriori, seul un « hasard », dit Schopenhauer, peut nous dévoiler le « mystère » de ces peurs inconscientes, en nous montrant que nous nous trompions sur « le motif véritable de notre action ». Notre lâcheté, dit-il, nous poussait à inventer d'autres motifs à notre action, afin de masquer cette peur. Mais pour quelles raisons ne voulons-nous pas prendre conscience de certaines peurs ?

Le conseil de méthode

Vous devez veiller, dans votre commentaire de texte, à restituer la dynamique du raisonnement de l'auteur : son propos n'est pas une succession d'idées, mais une démonstration, dans laquelle les idées découlent les unes des autres. Vous pouvez donc formuler les questions qui se posent et le poussent à développer son argumentation.

B. L'amour-propre nous empêche de reconnaître que ce motif était la peur

Là encore, ce serait notre amour-propre qui interdirait à certaines peurs d'affleurer à notre conscience parce qu'elles seraient jugées contraires à « la bonne opinion que nous avons de nous-mêmes ». Schopenhauer s'appuie alors sur un exemple qui éclaire ce « hasard » à l'occasion duquel il nous arrive de prendre conscience de nos peurs honteuses : « Ainsi, dit-il, nous nous abstenons d'une certaine action, pour des raisons purement morales à notre avis ; mais après coup nous apprenons que la peur seule nous retenait, puisque, une fois tout danger disparu, nous commettons cette action ». L'exemple n'est pas sans rappeler le discours de Glaucon qui, dans La République de Platon, explique que l'homme juste pense ne pas commettre l'injustice par vertu, jusqu'au moment où, ayant la possibilité de nuire aux autres sans être vu – il trouve par hasard un anneau qui le rend invisible –, il commet l'injustice, faisant alors apparaître que ce n'était pas la morale, mais la peur qui l'empêchait d'agir.

Comme la joie faisait apparaître a posteriori un désir inconscient, un hasard peut ainsi faire affleurer a posteriori à notre conscience une peur inavouable.

Conclusion

En définitive, Schopenhauer récuse dans ce texte la primauté de notre intellect sur notre volonté. Si notre volonté est capable de mystifier notre conscience en lui cachant les motifs de nos actions, alors c'est notre intellect qui lui est subordonné. Par conséquent, ce que nous sommes vraiment, notre essence, ce n'est pas tant notre conscience ou notre intellect que cette volonté dont il dira ailleurs qu'elle est, dans son rapport à la conscience, comme « l'aveugle vigoureux qui porte sur ses épaules le paralytique qui voit clair ».

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