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La technique
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La technique
Simondon, Du mode d'existence des objets techniques
Explication de texte
Intérêt du sujet • Dans Les Temps modernes, Charlot se fait littéralement « manger » par une machine. Faut-il craindre que les machines automatisent toute notre vie et nous ôtent tout pouvoir de penser et de nous rebeller ?
Expliquez le texte suivant :
Or, en fait, l'automatisme est un assez bas degré de perfection technique. Pour rendre une machine automatique, il faut sacrifier bien des possibilités de fonctionnement, bien des usages possibles. L'automatisme, et son utilisation sous forme d'organisation industrielle que l'on nomme automation, possède une signification économique ou sociale plus qu'une signification technique. Le véritable perfectionnement des machines, celui dont on peut dire qu'il élève le degré de technicité, correspond non pas à un accroissement de l'automatisme, mais au contraire au fait que le fonctionnement d'une machine recèle une certaine marge d'indétermination. C'est cette marge qui permet à la machine d'être sensible à une information extérieure. C'est par cette sensibilité des machines à de l'information qu'un ensemble technique peut se réaliser, bien plus que par une augmentation de l'automatisme. Une machine purement automatique, complètement fermée sur elle-même, dans un fonctionnement prédéterminé, ne pourrait donner que des résultats sommaires. La machine qui est douée d'une haute technicité est une machine ouverte, et l'ensemble des machines ouvertes suppose l'homme comme organisateur permanent, comme interprète vivant des machines les unes par rapport aux autres. Loin d'être le surveillant d'une troupe d'esclaves, l'homme est l'organisateur permanent d'une société des objets techniques qui ont besoin de lui comme les musiciens ont besoin du chef d'orchestre.
Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, © Aubier, Flammarion, 1958.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Les clés du sujet
Repérer le thème et la thèse
Quel est le critère du perfectionnement des machines ?
Pour Simondon, une machine perfectionnée possède une marge d'indétermination, ce qui lui permet d'être sensible aux informations extérieures. Ce n'est donc pas l'automation qui caractérise une technique évoluée, mais bien plutôt sa plasticité.
Dégager la problématique
Repérer les étapes de l'argumentation
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Il est courant de se représenter l'automatisme comme l'expression d'un haut degré de perfection technique. [Problématique] N'est-ce pas là, en réalité, tomber dans le piège des idolâtres de la machine, qui pensent la perfection de la technique sous la forme d'une machine de toutes les machines, c'est-à-dire d'une interconnexion de toutes les machines entre elles ? Ne faut-il pas, bien au contraire, soutenir que le critère du perfectionnement des machines serait l'indétermination ? [Annonce du plan] Dans un premier moment du texte, Simondon expose sa thèse centrale : c'est l'indétermination, et non l'automatisme, qui est le signe du perfectionnement technique. Il expose, dans un deuxième temps, pourquoi il choisit ce critère. Dans un troisième et dernier temps, il explique quelle place l'homme peut occuper dans cet ensemble de machines ouvertes : celle d'un organisateur.
1. L'indétermination des machines : le critère du perfectionnement
A. L'automatisme limite les usages possibles de la machine
L'expression « or, en fait » signifie que le présent texte s'articule avec un autre, qui le précède et dont l'auteur montrera ici le caractère erroné.
Très souvent, on croit que l'automatisme incarne le sommet du développement technique, or c'est le contraire qui est vrai : « L'automatisme est un assez bas degré de perfection technique. » Un automate fonctionne de lui-même, sans nécessiter d'interventions extérieures, mais il est aussi dénué de toute volonté et de toute réflexion sur lui-même. Il ne fait que répéter les mouvements et les actions pour lesquels il a été programmé. C'est pourquoi il incarne bien un « degré de développement technique » : il est d'une efficacité plus grande qu'un simple outil, mais ce degré demeure faible (« assez bas »).
définition
Le terme automatisme, du grec automatos (« qui se meut soi-même »), désigne le hasard, le fortuit et le spontané.
L'automatisation nécessite un sacrifice, c'est-à-dire un renoncement à « bien des possibilités de fonctionnement ». En effet, l'automatisme est dénué de souplesse. Rivé à la répétition, il est incapable de s'adapter à des situations qui dépassent sa programmation. Par essence, l'automatisme est aveugle aux situations changeantes et aux nouveautés dans le réel.
B. Le véritable sens de l'automation
C'est la raison pour laquelle l'automation, c'est-à-dire la forme industrielle d'utilisation de l'automatisme, « possède une signification économique ou sociale plus qu'une signification technique ». L'automation s'accompagne d'une augmentation de l'efficacité de la production et, corrélativement, de la rentabilité, tout en modifiant les rapports sociaux, puisque la nature et la répartition du travail se trouvent bouleversées. Comparativement à cela, sa signification technique est de faible importance.
C. L'indétermination est le critère du perfectionnement technique
Simondon énonce alors une thèse contre-intuitive : c'est la « marge d'indétermination » dans son fonctionnement qui signe le perfectionnement d'une machine, c'est-à-dire l'absence de liens nécessaires entre les conditions qui s'offrent à la machine et à ses actions. Comment faut-il comprendre concrètement cette « marge d'indétermination » ?
définition
Le terme indétermination ne désigne pas ici un caractère hésitant, un manque de décision ou de volonté. Une marge d'indétermination signifie dans le cas présent que la machine porte en elle une capacité d'autorégulation.
2. L'indétermination des machines : une sensibilité aux informations extérieures
A. La plasticité inhérente à la machine
La marge d'indétermination ne désigne pas une liberté au sens d'un libre arbitre offrant la possibilité d'effectuer des choix absolument indéterminés, mais un jeu, c'est-à-dire une forme de plasticité inhérente à la machine qui la rend « sensible », donc apte à réagir « à une information extérieure » et, par suite, capable de communiquer avec d'autres machines, sans que cela renvoie à une quelconque conscience machinale.
à noter
Simondon explique plus loin que l'information « est la variabilité des formes, l'apport d'une variation par rapport à une forme ». À « mi-chemin entre le hasard pur et la régularité absolue », elle fonctionne comme un jeu dans des limites déterminées.
Une telle machine est conçue pour adapter son fonctionnement aux données changeantes du réel. C'est ainsi que le développement technique d'un véhicule, par exemple, ne se reconnaît pas simplement à son déplacement automatique, mais à sa capacité à enregistrer l'éventuelle présence d'obstacles grâce à des capteurs et à engendrer une modification de sa trajectoire.
B. Les limites des machines purement automatiques
Il faut comprendre alors qu'« une machine purement automatique », c'est-à-dire qui fonctionnerait de manière indépendante, serait « complètement fermée sur elle-même, dans un fonctionnement prédéterminé ». Une telle machine serait insensible à toute information extérieure. Elle produirait peut-être d'excellents résultats, mais ceux-ci demeureraient « sommaires », c'est-à-dire rudimentaires et invariables. Elle ne pourrait que réitérer et engendrer des réponses et des fonctionnements généraux à des cas particuliers voire singuliers. Le résultat produit par une telle machine serait souvent inadéquat.
[Transition] Quel peut être alors le rôle de l'homme face à un ensemble de machines ouvertes ?
3. Le rôle de l'homme
A. L'homme comme organisateur
Il apparaît ainsi que le critère de la haute technicité d'une machine est son ouverture, c'est-à-dire son potentiel à prendre en compte les données réelles dans leur singularité.
Loin d'éloigner l'homme de leur processus de fonctionnement, les « machines ouvertes » supposent la présence et l'action humaines. La crainte d'un monde de machines susceptibles de remplacer totalement l'homme et de le détrôner est infondée. Les machines sont inventées par l'homme et seul celui-ci peut être l'« organisateur permanent », c'est-à-dire l'« interprète vivant des machines les unes par rapport aux autres ». L'homme est justement celui qui va déterminer les marges d'indétermination des machines pour produire les résultats souhaités. Il a donc bien une tâche créative et inventive qui lui est propre.
B. L'homme comme chef d'orchestre
Ainsi, ce n'est pas le rôle de « surveillant d'une troupe d'esclaves » qui échoit à l'homme. Cette métaphore souligne que les machines ouvertes ne sont pas assimilables à des êtres rivés à des tâches répétitives, dont l'homme ne serait que le gardien passif.
Éviter les pièges
Soyez très attentif à l'usage d'images et de métaphores. Vous allez devoir en proposer une interprétation. Gardez bien à l'esprit que vous avez affaire à une argumentation rationnelle.
L'homme a pour tâche d'organiser une « société des objets techniques », c'est-à-dire à la fois une société humaine qui comprend des objets techniques et l'ensemble constitué par ces objets techniques qui sont en interaction.
C'est ainsi que l'homme est appelé à se rapporter à cet ensemble de machines comme un chef d'orchestre. Il s'agit d'éviter la cacophonie et de produire à partir de simples bruits un ensemble de sons qui composeront une symphonie. C'est l'harmonie des machines que l'homme doit réaliser et, dans ce rôle, il est irremplaçable : les objets techniques « ont besoin de lui ». La perspective d'un homme qui se trouverait englouti par des machines intelligentes n'est qu'un scénario d'un mauvais roman de science-fiction…
Conclusion
L'auteur explique dans quelle mesure, loin de l'automatisme, c'est l'indétermination qui est le critère du perfectionnement technique des machines. Dans ce contexte, l'homme a pour tâche d'organiser l'ensemble de ces machines ouvertes. Il faut souligner que l'homme, loin d'être voué à devenir esclave des machines, en demeure le maître suprême. Il apparaît donc que la technophobie trouve davantage sa source dans une ignorance de la technique, qu'on assimile à quelque chose de démoniaque, que dans la technique elle-même. Si tel est le cas, ne faut-il pas avec Simondon prôner la réhabilitation de la culture technique ?