Annale corrigée Commentaire littéraire Ancien programme

Stendhal, Le Rouge et le Noir

Corpus Corpus 1
Le roman évasion

Le roman évasion • Commentaire

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Le roman

6

Polynésie française • Juin 2015

Le personnage de roman • 14 points

Les clés du sujet

Trouver les idées directrices

Faites la « définition » du texte pour trouver les axes (idées directrices).

Extrait de roman (genre) qui raconte (type de texte) un incident dans une famille (thème), qui décrit (type de texte) un jeune homme – le héros – et son entourage (thème), un peu pathétique (registre), contrasté (adjectif), pour présenter et faire comprendre le héros, pour susciter des attentes chez le lecteur (buts).

Pistes de recherche

Première piste : un milieu familial hostile, un père autoritaire et brutal

  • Caractérisez le milieu dans lequel évoluent le père et la famille. Que montre-t-il du père ?
  • Soulignez les mots qui caractérisent le père et son entourage. Quels types de détails sont donnés : physiques, attitude et mouvements, sentiments à l'égard de son fils ?
  • Dans un portrait, les paroles aussi sont révélatrices : analysez la façon de parler du père (intonation, vocabulaire, modalité des phrases…).
  • Un personnage se révèle également par ce qu'en pensent les autres personnages : que traduisent de son père les pensées de Julien à la fin du texte ?

Deuxième piste : un héros différent au sein de sa famille

  • Cherchez ce qui oppose Julien à son entourage. Que révèlent de lui : son physique ? son attitude ? ses activités ? ses goûts ? son livre favori ? ses réactions lors de l'incident avec son père ?
  • En quoi s'oppose-t-il sur ces points à sa famille ?
  • Quels éléments traduisent le regard de l'auteur sur son personnage ?
  • Quels sont les sentiments que suscite Julien chez le lecteur ?

>Pour réussir le commentaire : voir guide méthodologique.

>Le roman : voir mémento des notions.

Corrigé

Les titres en couleur et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Amorce] Le premier contact du lecteur avec le héros est un moment clé du roman. Ainsi, dans Le Rouge et le Noir, ce n'est qu'au chapitre 4 que Stendhal met en scène directement le jeune Julien Sorel dont le lecteur connaît tout juste l'identité (il est le fils d'un artisan et se destine au séminaire). [Problématique] Quelle image du jeune héros Stendhal donne-t-il à travers cette première apparition dans le roman ? [Annonce des axes] L'auteur, avant de le décrire explicitement, le place dans son contexte familial dominé par un père autoritaire et brutal, qui brusque son fils en train de lire à l'écart au lieu de surveiller sa « machine » [I]. Ainsi, en contraste avec sa famille et son père, se dessine le portrait d'un jeune homme différent, qui présente les traits d'un héros romantique [II].

I. Une anecdote qui met en place un milieu familial et un père autoritaire et brutal

1. Mélange de récit et de description pour éclairer le personnage du père

  • Au début, par un bref passage en focalisation interne, le lecteur suit les mouvements du père (« en approchant, se dirigea ») et voit la scène à travers le regard de ce père (« en approchant… il vit que… il l'aperçut ») ; puis Stendhal adopte le point de vue omniscient pour dessiner l'image du père.
  • L'alternance description-récit (1er paragraphe : action ; 2e paragraphe : discours ; 3e paragraphe : action) assure la mise en place vive et efficace, au cœur du récit, d'une atmosphère et d'un portrait.

2. Un univers sous le signe du travail

Le personnage du père est à l'image du cadre dans lequel il évolue.

  • Les lieux : à mi-chemin entre l'univers rural et industriel (« usine, hangar »), une scierie mécanisée, le travail du bois.
  • Les outils (« haches, scie, mécanisme, machine ») et le bruit envahissant de la scie.
  • Les ouvriers (les frères de Julien) qui accomplissent un travail physique (« copeaux énormes ») et brutal (« géants armés de haches »), entièrement absorbés par leur tâche (« tout occupés à suivre la marque noire »), semblent aussi des machines (la phrase des lignes 4-6 avec une anacoluthe [rupture de construction], est déstructurée). Leur tâche les coupe du reste du monde.

3. Une famille déshumanisée

  • Les frères se définissent par leur travail ; ils sont désignés comme « ses fils aînés », Stendhal ne précise ni leur nombre, ni leur nom, ne leur donne pas la parole : ils sont déshumanisés.
  • Il semble que dans la famille on communique mal : trois mentions de ce détail : « n'entendirent pas », « empêcha d'entendre » (deux fois).
  • Chacun est absorbé dans sa tâche, et les gesticulations et vociférations du père restent sans effet (imparfaits « équarrissaient », « lisaient » et passé simple « appela »).

4. Un père autoritaire et brutal

  • Sa force physique le rapproche de ses fils aînés : « sauta lestement, le retint de la main gauche » (une seule main pour son freluquet de fils !).
  • Il est le seul à s'exprimer, mais sa parole est brutale (« la voix de stentor, terrible voix de son père ») et son ton violent (apostrophes déplaisantes : « paresseux » ; impératifs), son langage vulgaire (« animal »).
  • Ses actions sont brutales : champ lexical de la brutalité (« coup violent, second coup violent, force du coup, frappa, chassant rudement, poussa »).
  • Son rejet de la lecture est lui aussi violent et sans égard (« maudits livres »).

[Transition] Cette insistance sur le père et ses fils met en relief, par un effet de repoussoir, le personnage de Julien qui détonne dans un tel milieu.

II. Julien, un héros en décalage avec son milieu

1. Un physique de jeune romantique

  • Dans cet univers de la force brute, Julien, d'apparence faible, avec sa « taille mince », a les traits d'un jeune romantique qui contraste avec son costaud de père (insistance sur sa différence : « si différente de celle de ses aînés » ; sur sa fragilité : « les leviers qui l'eussent brisé »).
  • Sa fragilité se marque aussi face à son père qui le retient d'une main. Plus jeune, comme dans l'univers des contes où le héros est plus petit, il est frêle et délicat, ce qui lui donne une certaine féminité (qui apparaîtra aussi lors de sa rencontre avec Mme de Rênal) qui s'oppose à la virilité des ouvriers.
  • La différence de nature du travail qui lui est assigné est mise en relief par l'expression « peu propre aux travaux de force » et « cinq ou six pieds plus haut ».
  • Sa position dans l'espace est une métaphore de sa situation dans la famille : position de hauteur, qui annonce sa supériorité intellectuelle, et position précaire (« à cinq ou six pieds de haut, à cheval sur une des pièces de la toiture »).

2. Une attitude décalée

  • Julien est « ailleurs », spatialement et intellectuellement, en marge de ce que l'on attend de lui, ailleurs que là où il devrait être : « […] il chercha vainement Julien à la place qu'il devait occuper, à côté de la scie. […] Au lieu de surveiller attentivement tout le mécanisme, Julien lisait. »
  • On note une absence totale d'intérêt pour le travail qui lui est confié.
  • Pourtant le « poste officiel » confié à Julien le réduit à une tâche passive, bien différente de celles dévolues à ses frères (« surveiller attentivement tout le mécanisme »). Face à un père en mouvement et agile (« sauta lestement »), Julien est statique.

3. Sa sensibilité, ses goûts

Les différences se manifestent aussi dans sa sensibilité et ses goûts.

  • Un être sensible face à un père insensible : lexique de l'affectivité (« larmes aux yeux, adorait, tristement, affectionnait »). Julien a peur de la réaction de son père (peur des coups). La « douleur de la perte » est supérieure à la « douleur physique », pourtant soulignée par les adjectifs « étourdi », « tout sanglant ». Il fait preuve d'une forme d'héroïsme passif.
  • La relation à la lecture sépare radicalement le père et le fils. Julien a une passion absolue pour la lecture : « Julien lisait » (imparfait de durée et d'habitude), « attention » qu'il donne « à son livre qu'il adorait » (connotation religieuse), « qu'il affectionnait le plus » (ce qui suppose qu'il en lit d'autres). Cette passion s'oppose à l'attitude haineuse du père à son encontre (« était antipathique, lui était odieuse, maudits livres, perdre ton temps »). Le père n'a aucun respect pour le livre et considère la lecture comme une perte de temps.

La parataxe (ou asyndète) consiste à juxtaposer des phrases ou des mots sans lien logique, là où l'on en attendrait un.

  • Un être cultivé, un père analphabète : l'explication de cette haine est donnée par la parataxe à valeur causale « il ne savait pas lire lui-même » : la haine du père semble s'ancrer dans cette ignorance qui le rend inférieur à son fils.

4. Un jeune homme marginal par rapport à son époque

  • Enfin, le livre lu, le Mémorial de Sainte-Hélène, souligne aussi la marginalité du héros par rapport à sontemps : l'admiration pour l'Empire était en effet proscrite pendant la Restauration. Julien apparaît donc bien comme un héros romantique, « né trop tard, dans un monde trop vieux ».
  • Ce détail a une valeur prospective par rapport au héros : il annonce la passion de Julien pour Napoléon, son envie d'héroïsme.

Conclusion

Conseil

Si vous connaissez l'œuvre dont est extrait le texte à commenter, utilisez cette connaissance, faites-y des allusions, soit pour l'amorce en introduction, soit pour l'ouverture en conclusion, soit par des références éclairantes dans le cours du commentaire.

Ce premier portrait du héros le présente d'emblée comme un être à part, étranger à sa famille, à son milieu et à son temps : ses aspirations semblent l'appeler à un destin autre que celui auquel le prédestine sa naissance. Par cette anecdote – somme toute apparemment insignifiante –, Stendhal dévoile la personnalité profonde de Julien et suscite chez le lecteur des attentes que la suite du roman viendra confirmer.

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