La matière et l'esprit
Corrigé
25
La raison et le réel
phiT_1211_11_03C
Nouvelle-Calédonie • Novembre 2012
Celui qui pourrait regarder à l'intérieur d'un cerveau en pleine activité, suivre le va-et-vient des atomes et interpréter tout ce qu'ils font, celui-là saurait sans doute quelque chose de ce qui se passe dans l'esprit, mais il n'en saurait que peu de chose. Il en connaîtrait tout juste ce qui est exprimable en gestes, attitudes et mouvements du corps, ce que l'état d'âme contient d'action en voie d'accomplissement, ou simplement naissante : le reste lui échapperait. Il serait, vis-à-vis des pensées et des sentiments qui se déroulent à l'intérieur de la conscience, dans la situation du spectateur qui voit distinctement tout ce que les acteurs font sur la scène, mais n'entend pas un mot de ce qu'ils disent. Sans doute, le va-et-vient des acteurs, leurs gestes et leurs attitudes, ont leur raison d'être dans la pièce qu'ils jouent ; et si nous connaissons le texte, nous pouvons prévoir à peu près le geste ; mais la réciproque n'est pas vraie, et la connaissance des gestes ne nous renseigne que fort peu sur la pièce, parce qu'il y a beaucoup plus dans une fine comédie que les mouvements par lesquels on la scande. Ainsi, je crois que si notre science du mécanisme cérébral était parfaite, et parfaite aussi notre psychologie, nous pourrions deviner ce qui se passe dans le cerveau pour un état d'âme déterminé ; mais l'opération inverse serait impossible, parce que nous aurions le choix, pour un même état du cerveau, entre une foule d'états d'âme différents, également appropriés.
Henri Bergson, L'Énergie spirituelle, 1919.
Dégager la problématique du texte
- Nous pouvons, en neurosciences, observer les mouvements du cerveau aussi bien lorsqu'il y a une perception que lorsqu'il y a une action commandée. Pouvons-nous dire pour autant que nous sommes capables de décrire les mouvements de l'esprit ?
- Ce texte questionne la relation entre le cerveau et la pensée, et plus généralement entre le corps et l'âme : s'agit-il d'une même substance ? S'agit-il de deux substances qui agissent en parallèle ? La pensée est-elle logée dans le cerveau comme dans un lieu ou au contraire est-ce qu'elle l'enveloppe ou le déborde ?
Repérer la structure du texte et les procédés d'argumentation
- Pour y répondre Bergson procède en trois parties. Il commence par imaginer l'expérimentation parfaite qui permettrait d'observer tous les mouvements du cerveau : elle ne permettrait pas de saisir l'ensemble des mouvements de l'âme.
- Il explique alors, dans un deuxième moment, ce qu'on pourrait y voir à l'aide d'une comparaison : l'observateur, qui cherche à comprendre l'esprit par l'observation des mouvements du cerveau, serait comme l'observateur d'une pièce de théâtre dont on aurait coupé le son.
- Il conclut alors que les mouvements de l'âme débordent toujours ceux du cerveau.
Éviter les erreurs
Ce texte semble, par la richesse de ses images, facile à comprendre. Or il engage des problèmes métaphysiques très complexes sur la relation entre l'âme et le corps, la pensée et le cerveau. Il implique de se dégager de tout a priori purement matérialiste ou au contraire purement spiritualiste, dans la mesure où Bergson pose une thèse tout à fait originale : il existe un cerveau matériel mais aussi une conscience en interaction avec lui, sans pour autant que l'un se confonde avec l'autre.
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Si l'on peut observer des mouvements dans le cerveau d'un individu chaque fois qu'il perçoit quelque chose ou qu'il commande par exemple à son corps de marcher, peut-on pour autant
La pensée se confond-elle avec celle du cerveau ? Si ce n'est pas le cas, est-elle une activité parallèle à celle du cerveau, en est-elle un épiphénomène, ou bien encore une activité radicalement différente ? Il ne s'agit pas pour Bergson de nier certaines corrélations entre
Pour le comprendre, il établit une
Il conclut alors dans un troisième temps que
1. La vision du neurologue sur le cerveau informe peu sur l'activité de l'esprit
A. On peut repérer certains mouvements matériels du cerveau
Bergson imagine que l'on puisse observer à l'intérieur d'un cerveau les différents mouvements de la matière jusque dans leurs plus petites parties, les
Le cerveau est la partie du corps qui constitue le
B. Mais ils ne se confondent pas avec ceux de l'esprit
On pourrait alors imaginer que, si on peut localiser dans le cerveau ce qui provoque des représentations et nous engage à parler, si on peut localiser et observer ce qui est source et expression de la pensée, alors on pourrait, avec un outillage perfectionné, savoir ce qui se passe dans l'esprit. Or, dit Bergson, cet observateur privilégié n'en saurait finalement que peu de choses.
Pourquoi ? Parce qu'il convient de
2. Le cerveau est comme la scène d'un théâtre dont on n'entend pas le son
A. Observer les mouvements du cerveau, c'est comme regarder une pièce sans le son
Pour y répondre Bergson va utiliser une
De la même manière, les images des cerveaux peuvent parfois coïncider avec, par exemple, un ordre donné par l'âme ou une émotion ressentie lors d'une sensation, mais en aucun cas elles ne donnent accès à l'interprétation que l'on peut en faire. On peut observer que certaines zones du cerveau réagissent lorsque l'individu regarde une œuvre d'art, mais finalement, on n'est pas renseigné sur ce qu'il en pense, s'il la trouve belle ou laide, si elle lui rappelle des souvenirs et lesquels, ou si au contraire, cette œuvre lui donne des idées de projets.
B. Le sens profond de la pièce dépasse les simples gestes comme les mouvements de la conscience échappent aux simples mouvements du cerveau
Bien sûr, il y a
En revanche «
3. Ainsi l'action de l'âme dépasse celle du cerveau
A. Un mécanisme cérébral peut rendre compte d'un état psychique
Monisme
Thèse philosophique selon laquelle tout ce qui existe – l'univers, le cosmos, le monde – est essentiellement un tout unique.
Il ne s'agit pas de nier l'interaction entre le cerveau et la pensée, entre la matière et l'esprit, et en cela la philosophie de Bergson n'est pas un
En effet, si nous avions d'un côté une connaissance parfaite de ce qui se passe matériellement dans un cerveau, c'est-à-dire «
Est-ce que cerveau et esprit agissent de manière parallèle, se faisant écho comme par une « harmonie préétablie » selon l'expression de Leibniz ?
B. Mais la réciproque n'est pas vraie
C'est justement la
Ainsi l'action de l'esprit, si elle se trouve mêlée à celle du cerveau, ne peut pas pour autant lui être totalement superposable.
Conclusion
À la question de savoir quels sont les rapports de la conscience et du cerveau,
Grâce à l'image de la pièce de théâtre, il montre alors qu'il ne s'agit pas d'un simple parallélisme entre esprit et cerveau car si, à un mouvement précis de l'âme peut correspondre un certain mouvement du cerveau, la réciproque n'est pas vraie : un mouvement du cerveau peut évoquer une
Ainsi l'âme déborde toujours sur le corps et, par là même,
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.