La religion
La culture
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Pondichéry • Avril 2013
explication de texte • Série ES
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Ceux qui veillent (comme ils disent) à donner de bons principes aux enfants (bien peu sont démunis d'un lot de principes pour enfants auxquels ils accordent foi), distillent1 dans l'entendement jusque-là sans prévention2 ni préjugés ces doctrines qu'ils voudraient voir mémorisées et appliquées (n'importe quel caractère se marque sur du papier blanc) : elles sont enseignées aussitôt que l'enfant commence à percevoir et, quand il grandit, on les renforce par la répétition publique ou par l'accord tacite3 du voisinage ; ou au moins par l'accord de ceux dont l'enfant estime la sagesse, la connaissance et la piété et qui n'acceptent que l'on mentionne ces principes autrement que comme la base et le fondement sur lesquels bâtir leur religion et leurs mœurs : ainsi, ces doctrines acquièrent-elles la réputation de vérités innées, indubitables et évidentes par elles-mêmes.
On peut ajouter que, lorsque des gens éduqués ainsi grandissent et reviennent sur ce qu'ils pensent, ils n'y peuvent rien trouver de plus ancien que ces opinions qu'on leur a enseignées avant que la mémoire ait commencé à tenir le registre de leurs actes ou des dates d'apparition des nouveautés ; ils n'ont dès lors aucun scrupule à conclure que ces propositions dont la connaissance n'a aucune origine perceptible en eux ont été certainement imprimées sur leur esprit par Dieu ou la Nature et non enseignées par qui que ce soit. Ils conservent ces propositions et s'y soumettent avec vénération, comme beaucoup se soumettent à leurs parents non pas parce que c'est naturel (dans les pays où ils ne sont pas formés ainsi, les enfants n'agissent pas ainsi) mais parce qu'ils pensent que c'est naturel ; ils ont en effet toujours été éduqués ainsi et n'ont pas le moindre souvenir des débuts de ce respect.
Locke, Essai sur l'entendement humain, 1689.
1 Introduisent petit à petit.
2 Défiance.
3 Sous-entendu, non formulé.
Dégager la problématique du texte
- Comme l'indique le titre de l'œuvre, ce texte s'inscrit dans une démarche épistémologique : que puis-je savoir ? D'où viennent mes connaissances ? De l'entendement ou de l'expérience ? Avons-nous déjà des connaissances avant toute expérience ? Est-il légitime de considérer certaines doctrines comme des « vérités innées » ? Et si non, d'où vient cette impression que nous savons naturellement certaines choses ?
- C'est pour répondre à ces questions et en souligner tous les enjeux que Locke va dans ce texte développer une argumentation en faveur d'un empirisme qui réfute tout innéisme (qui affirme qu'on a des idées innées). Il va en particulier dénoncer un prétendu savoir, illusion issue de la théologie.
Structure du texte et procédés d'argumentation
- Locke analyse dans un premier temps comment se constitue le processus d'apprentissage. Pour cela il étudie l'éducation des jeunes enfants et comment ils en viennent à formuler des idées.
- On comprend mieux pourquoi des adultes ont l'impression d'avoir des idées naturelles ou innées. Locke insiste dans cette seconde partie sur ces illusions transmises notamment par la théologie.
Éviter les erreurs
- Ce texte est long mais il n'est pas difficile. On doit l'expliquer intégralement en soulignant les enjeux qui sont bien sûr épistémologiques mais aussi et surtout moraux, théologiques et pédagogiques.
- Ce texte s'inscrit dans le cadre d'une théorie empiriste dont les principes ont dû être étudiés dans les chapitres sur la raison et le réel.
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Comment se forment les idées que nous avons à l'esprit ? Il semble que deux hypothèses permettent de répondre : soit elles viennent toutes de l'expérience, elles sont acquises, soit nous naissons avec elles, elles sont innées. Pour défendre la première hypothèse contre la seconde Locke s'intéresse au processus d'apprentissage des enfants.
Plus précisément dans ce texte extrait de son Essai sur l'entendement humain, Locke analyse les doctrines qui sont si bien ancrées en l'homme que celui-ci les prend pour des vérités déposées par Dieu ou par la Nature. Mais avons-nous seulement accès au moment où ces idées se forment en notre esprit ?
Afin de lutter contre une croyance qui fait de nos préjugés des vérités innées, Locke commence dans une première partie par étudier le travail des éducateurs. Ils n'instruisent les enfants que par expériences répétées.
Des idées ainsi inculquées sont alors si ancrées qu'elles passent pour des vérités innées. C'est cette illusion qu'entend dénoncer Locke dans la seconde partie, en particulier parce qu'elle est à la base de tout endoctrinement.
1. Thèse : critique de l'innéisme : toute connaissance vient de l'expérience
A. Les éducateurs insufflent leurs « bons » principes dans l'esprit des enfants comme sur du papier blanc
Locke commence par souligner la soi-disant bienveillance de ceux qui inculquent de « bons principes » aux enfants. Il s'agit des éducateurs mais, aux vues des réserves émises à leur encontre, on peut penser aux nourrices pleines de superstitions ou aux vieilles personnes qui font autorité en raison de leur grand âge mais qui ne présentent pas nécessairement les compétences de la pédagogie la plus adaptée. Il s'agit de personnes porteuses de quantité de principes auxquels elles « accordent foi », autrement dit d'opinions qui par définition ne sont pas, jusqu'à preuve du contraire, des vérités. Ces principes qui peuvent concerner aussi bien le domaine théorique (du savoir) que le domaine pratique (de l'action) constituent la matière qu'ils entendent transmettre aux enfants, puisqu'il s'agit d'exercer sur eux leur autorité.
Or cette transmission peut se faire presque malgré eux par la simple fréquentation des enfants. En effet, d'une part ceux-ci sont vierges de tous préjugés (que leur esprit soit comme une page de papier blanc sur lequel va être écrit ce qu'ils vont apprendre semble constituer ici le présupposé). Et d'autre part, l'enfant ne connaissant personne d'autres que ceux qui ont en charge son éducation, il n'a aucune distance et donc aucune défiance vis-à-vis de leurs propos.
B. L'enseignement commence avec l'expérience et est renforcé par sa répétition
Comment se fait cette transmission ? Elle se fait par l'expérience, c'est-à-dire par l'appréhension qu'a un sujet de la réalité à l'aide de ses sens, au moment où l'enfant « commence à percevoir ». Considéré d'abord comme une tabula rasa, son esprit n'a encore aucune idée. Ce n'est qu'avec la rencontre de ce réel perçu que l'enfant forme ses premières idées, idées qui seront ensuite renforcées, confortées par la répétition des expériences. En ce sens on rejoint la définition donnée par Claude Bernard de l'expérience comme « instruction acquise par l'usage de la vie ». Le simple fait de répéter ou de se comporter comme sa nourrice constitue pour l'enfant un apprentissage. En ce sens, Aristote dans la Poétique voit dans l'imitation un critère de distinction entre l'homme et l'animal car ses vertus pédagogiques font de l'homme un être de savoir, un être de culture. Ainsi c'est en imitant celui qui parle, marche, fabrique, que l'on apprend à parler, à marcher, à fabriquer…
Il semble en découler que les principes auxquels l'enfant s'attachera sont ceux de ses formateurs, qu'ils soient intellectuellement exigeants, ou simplement de l'ordre de la superstition. Les valeurs, la morale ou toute manifestation d'une élaboration culturelle comme la religion, se constitueront sur la base des principes acquis dès l'enfance, sortes de fondement à tout l'édifice des acquis humains. La naïveté due à l'ignorance des enfants est ce qui permet de persuader (de faire croire par l'intrusion de sentiments et non pas de convaincre par argumentation rationnelle) que telle ou telle opinion, ou telle ou telle croyance sont des vérités.
C. Les doctrines enseignées sont alors si ancrées qu'on les prend pour des vérités innées
Ceux qui ont introduit les premières idées dans l'esprit des enfants, autrement dit qui leur ont appris à penser, étant les mêmes que ceux qui enseignent ensuite des doctrines plus élaborées, il semble tout naturel ou évident aux enfants devenus grands que ces doctrines soient de l'ordre des vérités innées, évidence confortée par la réputation partagée et propagée de ces doctrines.
Ainsi la connaissance semble avant tout empirique car le savoir vient s'inscrire dans l'esprit de l'enfant comme des lettres sur une page blanche grâce à l'expérience. Dès lors une question se pose : si les expériences dépendent des « éducateurs » (nourrices, famille, entourage…), ne risque-t-on pas d'inscrire dans l'esprit des gens des principes qui finalement seraient seulement ceux de ces éducateurs sans être pour autant légitimes ?
[Transition] Ces doctrines auxquelles croient les enfants puis les adultes n'ont-elles pas que l'apparence de la vérité du seul fait de leur caractère d'évidence, car le sentiment d'évidence n'est-il pas qu'un phénomène psychologique, subjectif ?
2. Enjeux : croire en l'innéisme est la base d'un endoctrinement aliénant
A. Un adulte ne peut se ressouvenir de son esprit d'avant son instruction
Si un enfant n'est pas capable de faire la différence entre une croyance et une vérité, on peut espérer que l'adulte plus « expérimenté » saura le faire. Or précisément Locke montre les dangers de l'endoctrinement de l'enfant qui est si fort que l'adulte ne peut s'en départir.
En effet, l'adulte n'est pas capable de remettre en question les principes sur lesquelles s'appuient toutes ses croyances, car il est incapable de revenir par le souvenir au moment où les premières idées se sont formées. Le moment sans idée qui précède le moment où se forme une première idée, le moment vide de la tabula rasa, ne peut faire l'objet d'une remémorisation puisqu'il n'y a rien.
B. Dès lors il croit que les premiers principes connus viennent de Dieu ou de la Nature
Dès lors, rien ne vient contredire l'idée que ces principes, dont les hommes ne se souviennent pas les avoir appris, « ont été certainement imprim(és) sur leur esprit par Dieu ou la Nature et non enseign(és) par qui que ce soit ». La croyance en l'existence de vérités innées, c'est-à-dire en l'existence de vérités qui n'ont pu être apprises ou transmises par quelqu'un mais qui serait comme une donnée (de la Nature ou de Dieu) en l'homme, dans son cœur ou dans son esprit, est alors contredite par l'analyse même de la formation empirique des idées de l'homme.
Pourtant ne pourrait-on pas considérer qu'il y ait certaines notions comme le Bien et le Mal que l'homme connaît spontanément ? À cela il suffit d'en référer à l'observation des différentes civilisations ou sociétés, et noter que « dans les pays où ils ne sont pas formés ainsi, les enfants n'agissent pas ainsi », pour voir que les principes moraux diffèrent de manière importante : l'Antiquité pouvait trouver « naturel » l'esclavage, d'autres civilisations les sacrifices humains ou encore une certaine forme de vol…
C. Les hommes se soumettent alors tout naturellement à ces principes
L'homme n'étant donc pas capable de faire la différence entre ce qui lui semble naturel (ses idées soi-disant innées) et ce qui pourrait l'être réellement, il ne conteste pas l'autorité des doctrines qui en découlent. C'est alors la confusion entre l'acquis et l'inné qui ne peut exister qui est à l'origine des croyances aveugles en des doctrines qui peuvent d'autant plus facilement être assujettissantes.
Toute attitude de « vénération », autrement dit de respect excessif, qui peut engager une forme d'aveuglement, tient au fait qu'on se refuse à remettre en question l'existence des idées innées.
Cette croyance en l'innéisme semble être la porte ouverte non seulement à l'endoctrinement mais au fanatisme qui n'admet en aucun cas la contradiction et l'évocation d'une possible autre « vérité », et qui est à la base de conduites intolérantes.
Conclusion
Ainsi, Locke dans ce texte commence par décrire la formation des idées qui passe nécessairement par l'expérience d'une transmission. En affirmant que toute idée est nécessairement acquise, il réfute toute doctrine innéiste qui tendrait faire de certains principes, notamment moraux ou religieux (tels que la reconnaissance du Bien ou du Mal), un savoir inné. Dès lors qu'une doctrine n'est pas naturelle mais le fruit d'une élaboration humaine, donc liée à une culture particulière, elle ne peut prétendre à l'universalité et l'absoluité d'une vérité.
Ne pas s'opposer à l'innéisme, c'est maintenir des hommes dans la confusion même entre croyance et vérité, c'est permettre l'assujettissement à certaines doctrines qui ne sont pas nécessairement légitimes, sous prétexte que ne pouvant en refaire la généalogie, on les considère comme issues de Dieu ou de la Nature.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.