La société et les échanges
Corrigé
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La politique
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France métropolitaine • Juin 2011
Si c'est l'intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux, si je ne suis jamais serviable que pour obtenir en échange un service, je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous d'autres cieux, éloignés du mien, qui s'absente pour toujours ; je ne donnerai pas à celui dont la santé est compromise au point qu'il ne lui reste aucun espoir de guérison ; je ne donnerai pas, si moi-même je sens décliner mes forces, car je n'ai plus le temps de rentrer dans mes avances. Et pourtant (ceci pour te prouver que la bienfaisance est une pratique désirable en soi) l'étranger qui tout à l'heure s'en est venu atterrir dans notre port et qui doit tout de suite repartir reçoit notre assistance ; à l'inconnu qui a fait naufrage nous donnons, pour qu'il soit rapatrié, un navire tout équipé. Il part, connaissant à peine l'auteur de son salut ; comme il ne doit jamais plus revenir à portée de nos regards il transfère sa dette aux dieux mêmes et il leur demande dans sa prière de reconnaître à sa place notre bienfait ; en attendant nous trouvons du charme au sentiment d'avoir fait un peu de bien dont nous ne recueillerons pas le fruit. Et lorsque nous sommes arrivés au terme de la vie, que nous réglons nos dispositions testamentaires, n'est-il pas vrai que nous répartissons des bienfaits dont il ne nous reviendra aucun profit ? Combien d'heures l'on y passe ! Que de temps on discute, seul avec soi-même, pour savoir combien donner et à qui ! Qu'importe, en vérité, de savoir à qui l'on veut donner puisqu'il ne nous en reviendra rien en aucun cas ? Pourtant, jamais nous ne donnons plus méticuleusement ; jamais nos choix ne sont soumis à un contrôle plus rigoureux qu'à l'heure où, l'intérêt n'existant plus, seule l'idée du bien se dresse devant notre regard.
Sénèque, Les Bienfaits (61-63), traduction, 1914.
Dégager la problématique du texte
Ce texte de Sénèque s'inscrit dans la philosophie stoïcienne qui soutient une morale fondée sur la raison. Il s'agit d'étudier les fondements même de l'action vertueuse : fait-on le bien par intérêt ou de manière inconditionnelle ? Sénèque démontre, dans ce texte contre les épicuriens, qu'il est possible d'agir moralement indépendamment de tout calcul et de tout plaisir.
Repérer la structure du texte et les procédés d'argumentation
- Pour développer sa thèse, Sénèque montre d'abord l'absurdité de l'hypothèse d'une morale utilitariste en regard d'un grand nombre d'actes généreux désintéressés.
- Il y oppose ensuite des faits qui ont valeur de preuve de pure bienfaisance, même si l'on trouve du plaisir à faire un « don ».
- Il conclut en confirmant sa thèse par l'exemple paradigmatique de celui qui fait son testament sans espoir évident d'un quelconque avantage en retour.
Éviter les erreurs
- Il est facile de comprendre ce texte riche en exemples mais de ce fait, il est difficile de le commenter dans la mesure où il faut construire soi-même les thèses et arguments philosophiques qui s'y rapportent.
- Il faut être vigilant à ne pas réduire la progression des trois parties à une accumulation d'exemples.
- Pour ne pas tomber dans des contradictions entre les thèses des différentes parties, on peut distinguer le plaisir immédiat sensible auquel semble échapper la morale selon Sénèque, d'un plaisir de la raison qui serait produit par la véritable générosité.
Les titres en couleur servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Être
À la question de savoir si la générosité peut être désintéressée, le stoïcien Sénèque répond, dans cet extrait de l'ouvrage Les Bienfaits, que si l'on peut tirer une satisfaction à faire le
Pour établir sa démonstration, Sénèque commence par un raisonnement par l'absurde qui rend intenable toute position utilitariste. Il nuance ensuite son propos expliquant que s'il existe un plaisir à être généreux, cela ne fait pas du don une activité systématiquement intéressée. Enfin, il conclut en illustrant sa thèse avec l'action du mourant qui fait son testament et qui, de toute évidence, ne peut en tirer de bénéfice.
1. L'hypothèse d'une générosité par calcul est intenable
A. L'hypothèse utilitariste
L'
Or la générosité, par définition, désigne l'attitude de celui qui donne volontiers. Chez Descartes, la
B. Réfutation
Elle s'oppose ainsi au «
Réciproquement, si je suis moi-même mourant, je ne pourrais bénéficier d'un quelconque avantage en retour. Dans ces situations où l'action ne peut se prolonger dans le temps, il n'est pas possible qu'elles fassent l'objet de calcul à long terme. Il y a donc des cas de dons qui, au-delà de la question de leur intention, ne peuvent de fait constituer un échange.
Ainsi, face à la thèse
2. Pourtant, la bienfaisance procure une forme
de satisfaction
A. La thèse d'une morale intentionnelle
La question de Sénèque, qui est en réalité la question
En effet, pour Sénèque comme pour le philosophe allemand des Lumières, il s'agit d'appuyer l'action véritablement vertueuse sur un accord avec les principes de la
L'action vertueuse peut et doit être une
B. Des faits prouvant la possibilité de cette thèse
Cependant, il est clair que psychologiquement on peut, lorsqu'on est généreux, espérer quelque chose. Mais cet
En ce sens, la générosité comme l'hospitalité ne seraient pas totalement gratuites, mais ces motifs secondaires n'altèrent pas la valeur de l'action vertueuse car le bénéfice n'est pas d'ordre matériel donc quantifiable et calculable. Le plaisir intellectuel ne serait pas « vil » comme le plaisir sensible, mais un plaisir conforme aux exigences de la raison. Nous pouvons nous retrouver sous le «
Ainsi, on peut agir selon une intention purement morale car elle tire de son action une satisfaction spirituelle et non pas vénale. Le don, s'il n'est pas un échange matériel déguisé, est-il cependant un échange d'un autre ordre, un échange symbolique ?
3. On peut faire le bien par plaisir de la raison
A. La question du don et l'exemple paradigmatique du testament
Si le don n'est pas un vil calcul déguisé, mais implique tout de même une forme de reconnaissance symbolique ou spirituelle, alors, en ce sens, il serait une forme d'échange. Telle est la thèse de l'ethnologue Marcel Mauss. Celui-ci s'appuie sur l'analyse du «
À cette idée que le don serait toujours une forme d'échange (même s'il n'est pas marchand), on peut opposer l'exemple paradigmatique que nous propose ici Sénèque : celui qui fait son
B. L'amour du Bien
Qu'est-ce qui motive alors les scrupules et le temps que passe le rédacteur du testament ? Il semblerait que celui qui s'apprête à donner ces richesses soit gouverné par le souci d'opérer un juste partage de ce qui lui appartient entre ses héritiers, autrement dit par l'idée morale de justice.
Sénèque indique « qu'à l'heure où, l'intérêt n'existant plus, seule l'idée du bien se dresse devant notre regard ». On perçoit ici l'héritage platonicien : c'est guidé par la
Conclusion
Il est finalement plus facile de déterminer pourquoi on fait le
C'est à cette question que répond Sénèque de manière nuancée dans ce texte. En effet, si derrière chaque don se cachait en réalité un vil calcul intéressé alors on ne donnerait plus jamais rien à ceux qui s'en vont, ou plus simplement aux mourants. Or, les
Mais Sénèque se doute bien que si l'on ne cherche par toujours de manière vénale à tirer profit de ce que l'on fait, on est cependant dans un état d'attente de
C'est avec l'analyse de la rédaction d'un testament qu'apparaît le mieux le
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.