La vérité
Corrigé
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La raison et le réel
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Pondichéry • Avril 2012
Si l'homme était forcé de se prouver à lui-même toutes les vérités dont il se sert chaque jour, il n'en finirait point ; il s'épuiserait en démonstrations préliminaires sans avancer ; comme il n'a pas le temps, à cause du court espace de la vie, ni la faculté, à cause des bornes de son esprit, d'en agir ainsi, il en est réduit à tenir pour assurés une foule de faits et d'opinions qu'il n'a eu ni le loisir ni le pouvoir d'examiner et de vérifier par lui-même, mais que de plus habiles ont trouvés ou que la foule adopte. C'est sur ce premier fondement qu'il élève lui-même l'édifice de ses propres pensées. Ce n'est pas sa volonté qui l'amène à procéder de cette manière ; la loi inflexible de sa condition l'y contraint.
Il n'y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d'autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu'il n'en établit.
Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable. Un homme qui entreprendrait d'examiner tout par lui-même ne pourrait accorder que peu de temps et d'attention à chaque chose ; ce travail tiendrait son esprit dans une agitation perpétuelle qui l'empêcherait de pénétrer profondément dans aucune vérité et de se fixer avec solidité dans aucune certitude. Son intelligence serait tout à la fois indépendante et débile
Il est vrai que tout homme qui reçoit une opinion sur la parole d'autrui met son esprit en esclavage ; mais c'est une servitude salutaire qui permet de faire un bon usage de la liberté.
Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835.
Dégager la problématique du texte
- Toute parole, toute réflexion, toute démonstration s'appuient sur d'autres vérités déjà démontrées ou simplement communément admises. Il semble impossible à un seul homme de tout vérifier.
- Faut-il alors conclure que si l'on accepte la parole d'autrui simplement sur un acte de foi on se trouve dans un état d'asservissement ? Se soumettre à la parole d'autrui est-il le signe d'une dépendance intellectuelle ? Mais si l'on admet que l'on ne peut pas tout vérifier afin de se concentrer pleinement sur une seule vérité à démontrer, ne gagne-t-on pas en intensité ce que l'on a perdu en multiplicité ?
Repérer la structure du texte et les procédés d'argumentation
- Le texte commence par un constat : on utilise beaucoup de vérités que l'on ne peut pas redémontrer soi-même, car cette tâche infinie est impossible pour l'être limité que nous sommes.
- Mais cette condition humaine est en réalité tout à fait souhaitable, dans la mesure où l'homme peut vraiment approfondir une démonstration et atteindre une certitude véritable en se concentrant sur une seule chose.
- Ainsi, accepter servilement ce que peut dire autrui, sans le vérifier par soi-même, est ce qui paradoxalement permet de faire un bon usage de sa liberté.
Éviter les erreurs
Même si le texte commence par énoncer une question d'épistémologie (peut-on tout démontrer ?), les enjeux sont aussi moraux et politiques, car il s'agit de savoir dans quelle mesure le bon usage de sa liberté nécessite d'accepter de croire au préalable en la parole d'autrui.
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Introduction
Il ne semble pas possible de prouver soi-même la
Ou bien je me soumets aux vérités qu'on me donne sans les vérifier, mais je risque alors de dépendre d'autrui qui peut être trompeur, ou bien j'entreprends rigoureusement de vérifier chaque énoncé que j'emploie, mais je risque alors de me perdre dans une tâche infinie.
Tocqueville, dans cet extrait de l'ouvrage De la Démocratie en Amérique, apporte une
1. La condition humaine ne permet pas de démontrer toutes les vérités dont on se sert
A. Deux causes empêchent l'homme de tout démontrer
Il semble
B. Par conséquent l'homme est forcé d'admettre des vérités
Par conséquent, l'homme est bien obligé de « tenir pour assurés », des opinions ou des faits que d'autres ont déjà démontrés ou que « la foule adopte ». Dans le premier cas, il s'agit de faire
C. Cet état est le fait de sa condition, non de sa volonté
L'homme s'inscrit donc dans une
En effet, ce serait utopique de croire en une auto-création possible de l'homme. Il s'inscrit toujours dans un processus d'apprentissage, d'une éducation qui fait de lui un être déjà imprégné des idées de sa propre culture. L'homme, à qui on n'aurait rien appris, serait considéré comme un être abandonné à l'état sauvage, incapable d'atteindre un savoir autre que celui dicté par ses besoins, comme celui qu'apprend l'animal par son expérience.
Ainsi, l'homme est obligé d'admettre un certain nombre de principes qui lui préexistent. Mais ne peut-on pas envisager la possibilité de les vérifier, de les prouver pour l'homme qui prétend justement détenir un savoir légitime ?
2. Mais l'on peut alors établir une certitude
sur une seule chose analysée
A. Aucun philosophe ne peut démontrer plus de vérités
qu'il n'en accepte
Tocqueville s'interroge sur ce qui peut constituer une véritable
Si l'on envisage le cas du philosophe, tel Descartes qui envisage de tout soumettre à l'analyse du doute afin de donner un
B. Ce fait est plus que nécessaire, il est souhaitable
à tout examen particulier
Dégagé de l'obligation de tout démontrer,
C. Se concentrer ainsi sur une seule chose est la condition
pour obtenir une certitude
A contrario, un esprit qui aurait la prétention de tout démontrer serait certes dans un état d'
Ainsi, ce qui apparaît dans un premier temps comme une
3. La simple croyance en la parole d'autrui est en réalité une servitude salutaire pour faire un bon usage
de la liberté
A. L'homme doit donc choisir entre ce qu'il accepte
et ce qu'il démontre
Tocqueville analyse alors l'espace de liberté qui est laissé à l'homme pour élaborer son savoir.
D'abord, s'il ne peut tout démontrer et s'il doit par principe accepter un certain nombre de vérités, il peut cependant
B. Or recevoir l'opinion d'autrui sans la discuter
est une forme d'esclavage
Cependant, on peut objecter à ce propos que s'il y a un désir de démonstration, c'est bien pour se protéger des croyances naïves et crédules qui sont source d'erreurs et de différents fanatismes. S'en remettre à
C. Mais c'est une servitude salutaire pour faire un bon usage de sa liberté
Mais contre ces excès, Tocqueville dresse l'autre excès de vouloir tout démontrer jusqu'au risque de se perdre. Ainsi Descartes mettait en garde contre un égarement possible au début de ses Méditations métaphysiques, si l'exercice du doute devenait une fin en soi et ne parvenait pas à se dépasser lui-même afin d'atteindre une première certitude sur laquelle asseoir le reste de la connaissance (le « cogito »). Vouloir tout démontrer se révèle être alors une conviction, tout aussi forte que la servitude, qui consiste à accepter d'autrui des vérités sauf que cette
Conclusion
Tocqueville, dans cet extrait, est parti d'un problème
Dès lors, la science s'érige bien sur le support d'une communauté, où chacun contribue à augmenter l'édifice du savoir, chacun étant aussi apte que l'autre à soutenir une vérité, dans un esprit
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème sont il est question.