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Texte de Voltaire, "Femmes soyez soumises à vos maris", Mélanges, pamphlets et oeuvres polémiques

Unit 1 - | Corpus Sujets - 1 Sujet
 
La question de la femme
 
 

La question de la femme

Corrigé

34

Question de l'homme

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Sujet inédit

La question de l'homme • 14 points

Commentaire

> Vous ferez le commentaire du texte de Voltaire (document B), de : « Il fallait que sa femme » (l. 13) jusqu'à : « madame la maréchale » (l. 53). Vous pourrez suivre le parcours suivant :

a) Analysez la personnalité que la maréchale de Grancey dévoile dans son discours.

b) Montrez l'habileté et l'efficacité argumentatives de la maréchale et appréciez la teneur revendicative de son intervention.

Se reporter au document B du corpus.

Trouver les idées directrices

  • Appuyez-vous sur le parcours de lecture indiqué dans le sujet, dont vous analyserez précisément les termes.
  • Faites aussi la « définition » du texte pour trouver des pistes.

Dialogue fictif / discours (genres), du siècle des Lumières (mouvement), proche de l'essai et du conte philosophique (genres approchés), qui débat sur (type de texte) la condition de la femme (thème), vif, didactique, amusant (adjectifs), pour dénoncer l'inégalité hommes-femmes et proposer un idéal politique (buts).

Pistes de recherche

Première piste : une femme pétulante à la forte personnalité

  • La forme du dialogue ainsi que les mots « personnalité » et « discours » suggèrent que la maréchale a l'épaisseur d'un personnage de théâtre.
  • Cela vous amène à étudier son caractère : sa façon de parler et de se comporter avec les autres (l'abbé et son mari) le révèle.

Deuxième piste : une argumentation habile et convaincante

  • Analysez l'efficacité et l'habileté de ce discours.
  • Étudiez sa composition et sa stratégie argumentative (types de raisonnements).
  • La maréchale a-t-elle des qualités oratoires (étudiez les procédés rhétoriques et dites-en l'effet) ?
  • Cette deuxième piste étant plus fournie que la première, nous l'avons scindée dans le corrigé ci-dessous en deux axes (II et III).

Troisième piste : la teneur revendicative

  • « Teneur » signifie « fond, contenu », et ici « idées ».
  • Est-ce un plaidoyer (discours qui vise à défendre quelqu'un) ? un réquisitoire (discours qui vise à accuser quelqu'un) ?
  • « Portée critique et revendicative » et l'appartenance au siècle des Lumières invitent à chercher les cibles plus particulièrement visées, les griefs, les reproches formulés (portée critique du texte).
  • Quelle conception de la société et de la politique se dégage de ce discours ?

> Pour réussir le commentaire : voir guide méthodologique.

> Les genres de l'argumentation : voir lexique des notions.

Les titres en couleurs servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Amorce] Voltaire, philosophe des Lumières, a combattu toutes les formes d'injustices. Dans ce texte, il aborde un type d'esclavage bien spécial : la dépendance des femmes dans la société, l'inégalité hommes-femmes, débat déjà abordé par des femmes comme Louise Labé à la Renaissance ou Marie de Gournay au xviie siècle.

[Présentation du texte] Il choisit pour mener ce combat un genre hybride, à mi-chemin entre le récit, le dialogue, le discours et presque le conte philosophique.

[Situation du passage] Un abbé rencontre une aristocrate, la maréchale de Grancey, qui fulmine contre une phrase qu'elle a lue dans les Épîtres de saint Paul : « Femmes, soyez soumises à vos maris. » Elle exprime son mécontentement et expose sa vision de la femme, qu'elle défend contre les hommes.

[Annonce du plan] La maréchale révèle une personnalité particulièrement vive et libérée. C'est une avocate et une oratrice habile, dont le plaidoyer en faveur des femmes, qui est aussi un réquisitoire contre les hommes, reflète bien les idées novatrices du siècle des Lumières.

I. Une femme pétulante à la forte personnalité

La maréchale est une femme vive et libérée, bien représentative du siècle des Lumières.

1. Une femme de caractère

  • Son fort tempérament se marque dans la modalité de ses phrases (rafale de questions, phrases longues, l. 24-28), avec des anaphores (« N'est-ce pas… ? »), des exclamations, des phrases nominales (l. 17, 34) et des termes violents (presque des injures : « des imbéciles »).
  • Elle n'hésite pas à parler crument des réalités de la vie des femmes, la grossesse (« une maladie de neuf mois »), l'accouchement et ses « grandes douleurs », les règles (« des incommodités très désagréables », « ces douze maladies par an »).

2. Une femme à la vie débridée, mais cultivée

  • Elle a des amants (« je n'ai pas trop gardé ma parole » est un euphémisme pour : j'ai trompé mon mari) et elle accepte les infidélités de son mari.
  • Elle est cultivée : en témoignent ses lectures (elle lit saint Paul), ses références littéraires (elle connaît des vers de Molière par cœur, l. 33), les discussions sérieuses qu'elle a sur la politique (l. 43-51), envisageant même d'avoir un « État à gouverner ».

3. Une femme irrespectueuse, qui n'a pas la langue dans sa poche

  • Elle a un langage imagé et pittoresque : elle fait un « croquis » amusant des hommes qui ont « le menton couvert d'un vilain poil rude », « les muscles plus forts » et qui « peuvent donner un coup de poing mieux appliqué » (l. 35, 38, 39) et un portrait vivant de la « princesse allemande qui se lève à cinq heures du matin » (l. 44).
  • Son irrespect pour les diverses autorités apparaît dans l'évocation du « couvent » peuplé d'« imbéciles » (les prêtres), dans son franc-parler face à l'abbé à qui elle ne laisse pas la parole, dans sa contestation des autorités religieuses reconnues (saint Paul).
  • Elle manie volontiers l'ironie (l. 19, 34, 39), signe de supériorité et d'impertinence.

II. Un discours habile et convaincant

Le discours de la maréchale révèle une habileté digne d'un philosophe des « Lumières » (l. 47).

1. Une argumentation bien construite et bien menée

  • Son argumentation suit une démarche expérimentale scientifique : elle part d'un exemple précis (la femme de saint Paul), elle procède par hypothèse pratique, se met en situation à travers le système conditionnel qui ouvre son argumentation (« si j'avais été la femme […], je dirais »). Puis elle raisonne par comparaison avec sa propre expérience (« Quand j'épousai », indices personnels de la 1re personne : « m' », « me », « je »).
  • Elle opère un mouvement pendulaire du « je » au général : elle généralise par le biais d'expressions globalisantes (« pour une femme de qualité », « la nature »), ou par des pronoms personnels de la 1re personne du pluriel : « nous » (= les femmes) ; voir aussi « que j'aie » (l. 34), « un homme » (l. 21), « les hommes » (l. 38), « les nôtres » (l. 38).
  • Elle recourt aussi à d'autres types de raisonnements : reprise méthodique des opinions de l'adversaire pour mieux les contredire (« Ils prétendent avoir aussi… mais », l. 41), mouvement concessif (« je sais bien que », l. 37).
  • Elle appuie son argumentation sur des éléments variés : référence à Molière, exemples concrets (« je leur montrerai des reines qui valent bien des rois », « une princesse »), référence aux origines (« Certainement la nature ne l'a pas dit ») mais aussi à l'actualité (« On me parlait ces jours passés d'une… »).

2. Toutes les ressources du style et de la rhétorique

La maréchale a aussi l'éloquence d'une avocate, comme en témoigne l'amplitude de certaines phrases (l. 24-28).

  • Elle s'implique à travers des modalisateurs : « [je n'ai] pas trop » (l. 18), « n'est-ce pas assez que » (l. 20), « ne suffit-il pas que » (l. 24), « certainement » (l. 29), « je sais bien que » (l. 37), « j'ai peur que » (l. 39), « pour moi » (l. 50).
  • Elle implique son interlocuteur à travers des questions rhétoriques, une ample anaphore interro-négative oratoire (« N'est-ce pas… ? » l. 20), des périphrases, des euphémismes pour solliciter l'attention de l'interlocuteur (l. 22) ou des expressions comme « s'il vous plaît » (l. 17).
  • Elle vivifie son discours par le style direct, en y insérant une conversation fictive (« […] je dirais : Voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s'il vous plaît », l. 16-17), des citations directes (en italique) ou des images fortes (« l'union […] un esclavage », l. 31-32).

III. Un plaidoyer-réquisitoire caractéristique des Lumières

1. Une vision nuancée et moderne de la femme

  • La maréchale admet la différence et l'infériorité physique de la femme, elle est consciente des inconforts de la physiologie féminine (l. 21-27).
  • Mais elle revendique l'égalité homme-femme, fondée sur la liberté ­partagée (vocabulaire de l'esclavage et de la soumission récusé) dans tous les domaines : vie amoureuse (l. 18-20), familiale, culturelle (« connaissances », « apprendre »), psychologique (« courage »), politique (« gouverner », « travailler », « dirige », « sujets »).
  • Cette égalité passe par une éducation identique à celle des hommes (remise en cause des « couvents »).

2. Des remises en cause profondes et violentes

Son discours comporte des critiques violentes.

  • Ses cibles sont d'abord les hommes : elle dénonce leur mauvaise foi (leur autorité est fondée sur la force et le physique : « Mais voilà une plaisante raison… », l. 34) et ne leur reconnaît aucune qualité (« j'ai bien peur que ce ne soit là l'origine de leur supériorité », l. 39).
  • Elle critique aussi le système d'éducation, mettant en valeur son absurdité par la structure antithétique, parallèle et symétrique de la phrase : « nous apprennent ce qu'il faut ignorer et […] nous laissent ignorer ce qu'il faut apprendre » (l. 49).

3. Un « modèle » de monarque femme

En contrepoint, elle propose un idéal politique caractéristique des Lumières.

  • La « princesse », « despote éclairé », a une autorité et un ascendant naturels (« dirige » / « ses sujets »), elle est toute-puissante et omniprésente (« toutes les affaires », « toutes les lettres »), généreuse (« répand… bienfaits »), éduquée et cultivée (« ses connaissances »), artiste et mécène (« encourage tous les arts ») et travaille sans relâche (« cinq heures du matin »).
  • À travers de nombreux mots mélioratifs (« heureux », « bienfaits », « lumières »), la maréchale dresse un tableau idyllique (sorte d'utopie) de ce monarque femme, derrière lequel les contemporains voyaient l'image de Catherine de Russie (équivalent féminin de Frédéric de Prusse qui fut un temps l'idole de Voltaire).

Conclusion

Les personnages de ce petit récit plein de vivacité donnent l'impression de sortir d'un conte philosophique ou d'une pièce de théâtre. Cependant, la maréchale semble avoir emprunté le style, les idées et la force persuasive de Voltaire et, derrière son humour, s'expriment les idées majeures du xviiie siècle sur la question de l'homme ou plutôt… de la femme.

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