Les scènes de révélation • Question
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Théâtre
21
CORRIGE
France métropolitaine • Septembre 2013
Séries ES, S • 4 points
Question
Figaro a établi un contrat avec Marceline, la servante du docteur Bartholo, stipulant qu'il devrait l'épouser s'il ne pouvait la rembourser, ce qui est le cas. Figaro est donc contraint d'épouser une femme plus âgée que lui et qu'il n'aime nullement. Le docteur Bartholo, qui est l'ennemi de Figaro, se réjouit de la situation.
[…]
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(Il veut se dépouiller le bras droit.)
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[…]
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, acte
Le roi François Ier a séduit Blanche, la fille du bouffon Triboulet. Ce dernier, furieux, fait appel à un tueur à gages pour éliminer le roi. Mais Blanche, qui est toujours amoureuse du roi, se substitue à son séducteur et se fait tuer à sa place. Le tueur donne donc à Triboulet un sac contenant un corps. Le bouffon est persuadé d'avoir accompli sa vengeance lorsqu'il entend soudainement le roi chanter.
SCÈNE III
[…]
Souvent femme varie !
Bien fol est qui s'y fie !
Ô malédiction ! ce n'est pas lui que j'ai !
Ils le font évader, quelqu'un l'a protégé,
On m'a trompé !
Courant à la maison, dont la fenêtre supérieure est seule ouverte.
Bandit !
La mesurant des yeux comme pour l'escalader.
C'est trop haut, la fenêtre !
Revenant au sac avec fureur.
Mais qui donc m'a-t-il mis à sa place, le traître !
Quel innocent ? – Je tremble…
Touchant le sac.
Oui, c'est un corps humain.
Il déchire le sac du haut en bas avec son poignard, et y regarde avec anxiété.
Je n'y vois pas ! – La nuit !
Se retournant, égaré.
Quoi ! Rien dans le chemin !
Rien dans cette maison ! Pas un flambeau qui brille !
S'accoudant avec désespoir sur le corps.
Attendons un éclair.
Il reste quelques instants l'œil fixé sur le sac entrouvert, dont il a tiré Blanche à demi.
SCÈNE IV
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Un éclair passe, il se lève, et recule avec un cri frénétique.
– Ma fille ! Ah ! Dieu ! Ma fille !
Ma fille ! Terre et cieux ! C'est ma fille, à présent !
Tâtant sa main.
Dieu ! Ma main est mouillée ! – à qui donc est ce sang ?
– Ma fille ! – Oh ! je m'y perds ! c'est un prodige horrible.
C'est une vision ! Oh ! non, c'est impossible,
Elle est partie, elle est en route pour Évreux
Tombant à genoux près du corps, les yeux au ciel.
Ô mon Dieu ! N'est-ce pas que c'est un rêve affreux,
Que vous avez gardé ma fille sous votre aile,
Et que ce n'est pas elle, ô mon Dieu ?
Un second éclair passe et jette une vive lumière sur le visage pâle et les yeux fermés de Blanche.
Si ! C'est elle !
C'est bien elle !
Se jetant sur le corps avec des sanglots.
Ma fille ! enfant ! réponds-moi, dis,
Ils t'ont assassinée ! oh ! réponds ! oh ! bandits !
Personne ici, grand Dieu ! que l'horrible famille !
Parle-moi ! parle-moi ! ma fille ! ô ciel ! ma fille !
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entrouvrant la paupière, et d'une voix éteinte,
Qui m'appelle ?
Victor Hugo, Le roi s'amuse, acte
Œdipe a été à sa naissance abandonné par ses parents en raison d'une prédiction selon laquelle il tuerait son père Laïus et épouserait sa mère Jocaste. La prédiction s'est réalisée : Œdipe a, sans le savoir, tué son père et épousé sa mère avec laquelle il a eu quatre enfants (dont Antigone). Un berger vient annoncer à Œdipe la vérité.
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Il sort.
Créon chasse le berger.
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Il lui tient le bras et écoute, la tête penchée.
Rumeurs sinistres. La petite Antigone, les cheveux épars, apparaît, à la logette.
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Elle rentre.
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Au moment où, s'étant dégagé, il s'élance, la porte s'ouvre. Œdipe aveugle apparaît. Antigone s'accroche à sa robe.
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Jean Cocteau, La Machine infernale, acte
Comprendre la question
- La question porte-t-elle sur les émotions des personnages ou sur celles des spectateurs ? La formulation « Ces scènes de révélation » et « cherchent-elles à » indique qu'il s'agit de celles des spectateurs.
- Interrogez-vous sur le(s) registre(s) qui permettent d'identifier les émotions suscitées.
- Repérez les faits d'écriture les plus marquants qui contribuent à créer ces émotions.
- N'étudiez pas les documents séparément : il s'agit d'une synthèse. Construisez votre réponse autour des émotions suscitées.
Structurer la réponse
- Encadrez votre réponse d'une phrase d'introduction, qui situe les documents et reprend la question, et d'une brève conclusion, qui rappelle l'intérêt des éléments analysés.
- Accompagnez chaque remarque d'exemples précis tirés des différents textes.
Les titres en couleur ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
L'effet de surprise
- Ces scènes de révélation produisent un
effet de surprise qui ravive l'attention du spectateur, alors que la pièce suit déjà son cours : elles se situent en effet soit au milieu de la pièce (Beaumarchais), soit vers la fin de pièce (acteIV chez Hugo, dernier acte dans La Machine infernale). - Cependant,
le degré d'intensité de cette surprise diffère dans les trois scènes : aussi pris au dépourvu que le personnage lui-même, le spectateur éprouve la même anxiété, puis le mêmesoulagement que Figaro qui échappe à un mariage auquel il répugne. C'est un coup de théâtre pour tous, public et personnages, qui multiplient les exclamations étonnées. Dans Le roi s'amuse, le public, qui a entendu la « malédiction » lancée par le roi à Triboulet,s'attendait à ce que l'entreprise du bouffon tourne mal. Enfin, parce qu'il connaît la légende antique, ce qui est une révélation pour Œdipe ne l'est pas pour le public qui sait que la réécriture du mythe ne pouvait pas se terminer autrement. La scène de Beaumarchais se distingue des deux autres par son registre . Le spectateur s'amuse de ce retournement de situation invraisemblable : un fils perdu qui retrouve ses parents et se tire ainsi d'un péril redouté auquel Œdipe, lui, n'a pu échapper. On s'amuse aussi du caractère de Figaro : loin d'exprimer sa joie d'avoir retrouvé ses parents, il se « désole » d'avoir un père comme Bartholo (« O o oh ! aïe de moi »).
Pitié devant la douleur et la souffrance
- Chez Hugo, la chanson ironique du roi en coulisses contraste avec la découverte du bouffon. Les didascalies internes (« Je tremble », « je m'y perds ») et externes (« fureur, anxiété, égaré, cri frénétique, sanglots »), les exclamations, interjections ou questions rhétoriques du bouffon, la brièveté de ses phrases, la versification disloquée transmettent au public le « désespoir » de Triboulet :
on s'apitoie sur ce bouffon impuissant, entouré d'ennemis (« bandits, traîtres »), qui exprime sa foi naïve en Dieu ; « à genoux près du corps, les yeux au ciel », ce père renvoie au motif chrétien de la pietà (la Vierge tient dans ses bras le corps de son fils mort). - Dans La Machine infernale, le spectateur éprouve de la
pitié pour Œdipe sur lequel s'acharne le sort, mais aussipour la petite Antigone , qui ne comprend pas, qui a « peur » et « s'accroche à la robe » de son père qui la rejette (« ne m'approche pas »).
Horreur, terreur et admiration
- Le « corps humain » que touche Triboulet, « le visage pâle », « les yeux fermés » et la « voix éteinte » de Blanche, mais surtout la « main » du bouffon « mouillée » par le « sang » de sa fille « assassinée » donnent à la scène un
réalisme effrayant . - Le récit et la description très précise que fait Antigone de la mort de Jocaste et du supplice d'Œdipe (« des coups » et « du sang partout »)
horrifient le public . L'apparition sur scène d'Œdipe, les yeux crevés, està peine supportable . - Les scènes de Cocteau et de Hugo obéissent à la mission qu'assignait Aristote à la tragédie,
créer la terreur , et mettent en évidencele poids de la fatalité et l'impuissance des humains face à une force qui les dépasse. Ce poids est moins sensible chez Hugo, car Triboulet est lui-même responsable de la fatalité ; mais la mention d'un Dieu silencieux et des éclairs qui dévoilent la réalité soulignent la« tragédie » du bouffon . C'est chez Cocteau que le sentiment du tragique est le plus intense en raison, non seulement de la monstruosité des crimes d'Œdipe, mais aussi du châtiment qu'il s'inflige. Le geste de se crever les yeux traduit concrètement l'aveuglement de l'humanité.- Cependant, si Œdipe suscite la
terreur , il accède aussi à lagrandeur etforce l'admiration du spectateur par le caractère extrême du sort qu'il revendique (« le plus malheureux des hommes »), par la conscience de son impureté (« ne touche pas mes mains ») et par son acceptation du destin.
Conclusion
Même si les scènes de révélation peuvent paraître artificielles, le spectateur ne vient-il pas au théâtre pour « voir se dérouler la vie à la vitesse et à la mesure, non seulement de la curiosité, mais de la passion humaine » (Giraudoux, Ondine) ?
Après avoir répondu à cette question, les candidats devront traiter au choix un des trois sujets: commentaire ; dissertation ou écriture d'invention.