France métropolitaine 2014, séries ES-S • Question
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Poésie
5
CORRIGE
France métropolitaine • Juin 2014
Séries ES-S • 4 points
Question
A – Victor Hugo, « Crépuscule », Les Contemplations, II, XXVI, 1856.
B – Louis Aragon, « Vers à danser », Le Fou d’Elsa, 1963.
C – Claude Roy, « L’inconnue », À la lisière du temps, 1986.
« Crépuscule »
L’étang mystérieux, suaire
Frissonne ; au fond du bois la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus
Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?
Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines
L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres
Que dit-il, le brin d’herbe ? et que répond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs
Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
Dieu veut qu’on ait aimé. Vivez ! faites envie,
Ô couples qui passez sous le vert coudrier
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d’amour, on l’emploie à prier.
Les mortes d’aujourd’hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l’ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles
Le brin d’herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.
La forme d’un toit noir dessine une chaumière;
On entend dans les prés le pas lourd du faucheur ;
L’étoile aux cieux, ainsi qu’une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.
Aimez-vous ! c’est le mois où les fraises sont mûres.
L’ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.
Chelles, 18…
Victor Hugo, « Crépuscule », Les Contemplations, II, XXVI, 1856.
« Vers à danser »
Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l’enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C’était hier que je t’ai dit
Nous dormirons ensemble
C’était hier et c’est demain
Je n’ai plus que toi de chemin
J’ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien comme il va l’amble
Tout ce qu’il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J’ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t’aime que j’en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble
Louis Aragon, « Vers à danser », Le Fou d’Elsa, 1963.
« L’inconnue »
Le premier froid luisant dans le soleil plain-chant
le vif vent vert qui garde une bienveillance certaine
et le bleu du ciel aigu comme un cri bleu d’hirondelle
(elles sont pourtant bien loin
Il y a encore les arbres en chœur qui chantent en vert majeur
mais déjà les doigts de cuivre de l’automne les rouillent ici et là
et il y a un arbuste (nous ne savons pas son nom)
dont les feuilles roussies sont d’un capucine
mais ne veulent pas être feuilles mortes et s’accrochent
Je suis simplement content d’être là avec toi
de marcher près de toi dans l’herbe entre les arbres
Plus je me sens rétrécir de l’écorce et du temps
plus la vie est vaste plus le monde est grand
Mais ça ne me fâche pas ni ne me fait peur
Je ne saurai jamais l’allemand pour lire Rilke
Je n’irai probablement ni à Kyoto
Il se fait un peu tard pour maîtriser le piano
et je respecte sans pouvoir y entrer le savoir en mathématiques
de mon ami Jacques Roubaud
[d’importance
Même si j’avais encore des ans et des années
jamais non plus je ne te déchiffrerais entière
jamais je ne connaîtrais tous les chemins de ta rêverie
Les gens qu’on aime sont pareils à l’horizon
qui se dérobe quand on avance et qui recule quand on approche
Mais le bonheur d’être avec toi c’est de te connaître par cœur
et pourtant de si peu te savoir que chaque matin je m’émerveille
en découvrant à mon côté la mieux connue des inconnues
le Haut Bout
samedi 22 octobre 1983
Claude Roy, « L’inconnue », À la lisière du temps, 1986.
Comprendre la question
- « Comment ? » signifie « par quels moyens ».
- La question signifie : Par quels moyens les poètes expriment-ils leur amour ? Attention ! il ne s’agit pas forcément de l’amour entre deux êtres.
- Dites ensuite les caractéristiques de l’amour selon les trois poètes.
Chercher des idées
- Cherchez à qui s’adressent les poètes ; à quelles images ils recourent pour désigner l’amour ; quel type d’amour révèle chacun des poèmes.
- Marquez aussi les différences entre les textes.
- Accompagnez chaque remarque d’exemples précis tirés des textes.
Les titres en couleur ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
Des variations dans la forme poétique
- Le corpus permet de mesurer l’
évolution formelle de la poésie en un siècle . Pour célébrer l’amour, Hugo reste fidèle à l’alexandrin , assoupli certes, mais organisé en quatrains, avec des rimes croisées. Aragon manifeste plus de liberté dans un poème à l’allure de chanson enlevée, enoctosyllabes , avec un refrain explicite : « Nous dormirons ensemble ». - Claude Roy choisit le
vers libre pour accompagner la réflexion sereine qu’il poursuit au rythme d’une marche dans la campagne automnale, aux côtés de la femme qu’il aime, « la mieux connue des inconnues ».
Des variations dans l’énonciation
Conseil
N’analysez pas les textes séparément, mais structurez votre réponse par points de vue/perspectives sur les textes, en soulignant ou les ressemblances ou les différences ou une progression entre eux.
- Hugo fait dialoguer, dans un crépuscule de fin de printemps, un univers étrange, où les
disparus , par un « nous » collectif, apostrophent les « amants », leur posent des questions rhétoriques, les exhortent à l’amour par des impératifs : « Vivez ! » « aimez-vous ! » Le poète est ici comme un simple témoin, et pourtant attentif à tout ce dont bruissent ces moments, ces lieux, ces personnages d’un théâtre d’ombres fugitives. - Dans « Vers à danser », la situation d’énonciation est très simple :
le fou d’Elsa affirme haut et fort son ardeur amoureuse et le jeu des pronoms de 1re et 2e personnes du singulier, réunis dans le refrain, isole le couple d’amants du monde extérieur : le temps semble aboli, « hier » et « demain » se confondent dans le même émerveillement, mais on ne sait rien de précis sur le poète et sa compagne. - Claude Roy, lui, nous fait partager son univers dans toutes ses dimensions. Cette promenade en automne se transforme en un
bilan méditatif , son esprit vagabonde au bout du monde, mesure ses lacunes, évoque ses amis avant de s’adresser à celle qui donne un sens à toutes ces sensations, à ces moments pris sur le temps qui passe, sur l’âge et la maladie qui le menacent, présence et communion paradoxales puisque, finalement, l’être aimé est « la mieux connue des inconnues ».
Des variations lyriques
- Le lyrisme de Hugo se colore de nuances épiques, parfois même fantastiques. Aragon célèbre sa compagne
avec flamme , Roy se confie sur le modeélégiaque . - Hugo et Roy nous plongent dans une
nature vivante et multiplient les notations visuelles, tactiles, auditives, pour nousfaire partager leurs sensations . « L’herbe s’éveille et parle » (Hugo), les arbres « chantent en vert majeur » et les feuilles « ne veulent pas être feuilles mortes » (Roy), les couleurs et les lumières se mêlent ou s’opposent avec une dominante de tons sombres chez Hugo, des notes vives de « vert », de « bleu », de jaune « cuivre » chez Roy. Si Aragon fait moins de place à la nature, il mentionne le « ciel » « comme un drap » sur les amants, ou leurs cœurs qui battent à l’unisson comme le pas d’un cheval qui « va l’amble ».
Des variations dans la conception même de l’amour
- Hugo évoque l’amour d’une
façon générale , comme une force que personnifie la déesse « Vénus ». Il reprend ici le thème du carpe diem, la nécessité de jouir du moment présent, en laissant parler en nous l’élan vital , instinctif et naturel, qui s’oppose à la mort. Seul l’amour – bien qu’éphémère – peut conjurer l’éternité de la mort. - Aragon attend lui aussi du
rapprochement des corps (« Nous dormirons ensemble ») une façon deconjurer la menace que letemps fait peser sur l’amour. - Roy ne sent plus le temps qui passe comme une menace sur son amour. Il oppose le temps limité dont il dispose – il est âgé et gravement malade –, au temps infini qu’il faudrait pour
comprendre et connaître les autres , même les plus proches. Mais la force de l’amour, c’est de parvenir, même imparfaitement, à rompre l’incommunicabilité entre deux êtres.
Après avoir répondu à cette question, les candidats devront traiter au choix un des trois sujets nos 6, 7 ou 8.