Question
B – Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre V, 1844.
C – Victor Hugo, Les Misérables, tome V, livre III, chapitre 6, 1862.
D – André Malraux, La Condition humaine, sixième partie, 1933.
Je ne donnai pas le temps à Léonarde d’en dire davantage. J’entrai, et, lui mettant un pistolet sur la gorge, je la pressai d’un air menaçant de me remettre la clef de la grille. Elle fut troublée de mon action et, quoique très avancée dans sa carrière, elle se sentit encore assez attachée à la vie pour n’oser me refuser ce que je lui demandais. Lorsque j’eus la clef entre les mains, j’adressai la parole à la dame affligée. Madame, lui dis-je, le Ciel vous a envoyé un libérateur. Levez-vous pour me suivre. Je vais vous mener où il vous plaira que je vous conduise.
Alors Porthos et Aramis se rapprochèrent à l’instant les uns des autres pendant que Jussac1 alignait ses soldats. Ce seul moment suffit à d’Artagnan pour prendre son parti : c’était là un de ces événements qui décident de la vie d’un homme, c’était un choix à faire entre le roi et le cardinal ; ce choix fait, il fallait y persévérer. Se battre, c’est-à-dire désobéir à la loi2, c’est-à-dire risquer sa tête, c’est-à-dire se faire d’un seul coup l’ennemi d’un ministre plus puissant que le roi lui-même ; voilà ce qu’entrevit le jeune homme, et disons-le à sa louange, il n’hésita point une seconde. Se tournant donc vers Athos et ses amis :
– Messieurs, dit-il, je reprendrai, s’il vous plaît, quelque chose à vos paroles. Vous avez dit que vous n’étiez que trois, mais il me semble, à moi, que nous sommes quatre.
– Mais vous n’êtes pas des nôtres, dit Porthos.
– C’est vrai, répondit d’Artagnan ; je n’ai pas l’habit, mais j’ai l’âme. Mon cœur est mousquetaire, je le sens bien, Monsieur, et cela m’entraîne.
– Écartez-vous, jeune homme, cria Jussac, qui sans doute à ses gestes et à l’expression de son visage avait deviné le dessein de d’Artagnan. Vous pouvez vous retirer, nous y consentons. Sauvez votre peau ; allez vite.
D’Artagnan ne bougea point.
– Décidément vous êtes un joli garçon, dit Athos en serrant la main du jeune homme.
– Allons ! allons ! prenons un parti, reprit Jussac.
– Voyons, dirent Porthos et Aramis, faisons quelque chose.
– Monsieur est plein de générosité, dit Athos.
Mais tous trois pensaient à la jeunesse de d’Artagnan et redoutaient son inexpérience.
– Nous ne serions que trois, dont un blessé, plus un enfant3, reprit Athos, et l’on n’en dira pas moins que nous étions quatre hommes.
– Oui, mais reculer ! dit Porthos.
– C’est difficile, reprit Athos.
D’Artagnan comprit leur irrésolution.
– Messieurs, essayez-moi toujours, dit-il, et je vous jure sur l’honneur que je ne veux pas m’en aller d’ici si nous sommes vaincus.
– Comment vous appelle-t-on, mon brave ? dit Athos.
– D’Artagnan, monsieur.
2. L’Édit du cardinal de Richelieu interdit les duels.
3. Le blessé est Athos, tombé dans une embuscade, et l’enfant d’Artagnan, âgé de 18 ans.
L’eau lui venait aux aisselles ; il se sentait sombrer ; c’est à peine s’il pouvait se mouvoir dans la profondeur de bourbe1 où il était. La densité, qui était le soutien, était aussi l’obstacle. Il soulevait toujours Marius, et, avec une dépense de force inouïe, il avançait ; mais il enfonçait. Il n’avait plus que la tête hors de l’eau, et ses deux bras élevant Marius. Il y a, dans les vieilles peintures du déluge, une mère qui fait ainsi de son enfant.
Il enfonça encore, il renversa sa face en arrière pour échapper à l’eau et pouvoir respirer ; qui l’eût vu dans cette obscurité eût cru voir un masque flottant sur de l’ombre ; il apercevait vaguement au-dessus de lui la tête pendante et le visage livide de Marius ; il fit un effort désespéré, et lança son pied en avant ; son pied heurta on ne sait quoi de solide. Un point d’appui. Il était temps.
Il se dressa et se tordit et s’enracina avec une sorte de furie sur ce point d’appui. Cela lui fit l’effet de la première marche d’un escalier remontant à la vie.
Ce point d’appui, rencontré dans la vase au moment suprême, était le commencement de l’autre versant du radier2, qui avait plié sans se briser et s’était courbé sous l’eau comme une planche et d’un seul morceau. Les pavages3 bien construits font voûte et ont de ces fermetés-là. Ce fragment de radier, submergé en partie, mais solide, était une véritable rampe, et, une fois sur cette rampe, on était sauvé. Jean Valjean remonta ce plan incliné et arriva de l’autre côté de la fondrière4.
En sortant de l’eau, il se heurta à une pierre et tomba sur les genoux. Il trouva que c’était juste, et y resta quelque temps, l’âme abîmée dans on ne sait quelle parole à Dieu.
Il se redressa, frissonnant, glacé, infect, courbé sous ce mourant qu’il traînait, tout ruisselant de fange, l’âme pleine d’une étrange clarté.
2. Dalle épaisse en maçonnerie ou en béton constituant la fondation de la galerie souterraine.
3. Surface portante constituée par des pavés.
4. Trou dans un chemin.
– C’est perdu. Tombé.
Voix à peine altérée par l’angoisse, comme si une telle catastrophe n’eût pas été possible, comme si tout eût dû s’arranger. Pour Katow aussi, c’était impossible. Une colère sans limites montait en lui mais retombait, combattue par cette impossibilité. Et pourtant ! Avoir donné cela pour que cet idiot le perdît !
– Quand ? demanda-t-il.
– Avant mon corps. Pas pu tenir quand Souen l’a passé : je suis aussi blessé à la main.
– Il a fait tomber les deux, dit Souen.
Sans doute cherchaient-ils entre eux. Ils cherchaient ensuite entre Katow et Souen, sur qui l’autre était probablement presque couché, car Katow, sans rien voir, sentait près de lui la masse de deux corps. Il cherchait lui aussi, s’efforçant de vaincre sa nervosité, de poser sa main à plat, de dix centimètres en dix centimètres, partout où il pouvait atteindre. Leurs mains frôlaient la sienne. Et tout à coup une des deux la prit, la serra, la conserva.
– Même si nous ne trouvons rien…, dit une des voix.
Katow, lui aussi, serrait la main, à la limite des larmes, pris par cette pauvre fraternité sans visage, presque sans vraie voix (tous les chuchotements se ressemblent) qui lui était donnée dans cette obscurité contre le plus grand don qu’il eût jamais fait, et qui était peut-être fait en vain. Bien que Souen continuât à chercher, les deux mains restaient unies. L’étreinte devint soudain crispation :
– Voilà.
Ô résurrection ! … Mais :
– Tu es sûr que ce ne sont pas des cailloux ? demanda l’autre.
Il y avait beaucoup de morceaux de plâtre par terre.
– Donne ! dit Katow.
Du bout des doigts, il reconnut les formes.
Il les rendit – les rendit – serra plus fort la main qui cherchait à nouveau la sienne, et attendit, tremblant des épaules, claquant des dents.
Comprendre la question
Analysez et classez les qualités des personnages.
« comment… » signifie « par quels moyens littéraires (situations, descriptions, paroles…) et par quels faits d’écriture… ? » Voyez si le vocabulaire utilisé est plutôt positif ou négatif et quels procédés de style sont utilisés.
Construire la réponse
Cherchez les points communs, puis les différences.
Accompagnez chaque remarque d’exemples précis tirés des textes.
Introduction
I. Des êtres d’une trempe exceptionnelle
Mais ce sont surtout les qualités de caractère qui les distinguent. Ils font preuve de « persévérance » : la « scène » de comédie de Gil Blas dure « presque trois heures » ; d’Artagnan tient tête aux mousquetaires qui veulent le dissuader de se battre ; Jean Valjean, malgré la douleur, continue son chemin avec « furie » et Katow domine sa nervosité après la chute des ampoules de cyanure. Ils sont courageux : Gil Blas s’exhorte lui-même : « Oh çà ! Gil Blas […]. Arme-toi de courage… » ; d’Artagnan n’hésite pas à « risquer sa tête » ; Jean Valjean met sa vie en péril ; Katow surmonte son appréhension de la torture à venir. Chacun a aussi des qualités spécifiques : Gil Blas a de remarquables dons de comédien ; d’Artagnan se distingue par son sens de l’honneur ; Katow allie sensibilité (« larmes ») et contrôle de soi (il domine sa « colère »).
II. Des qualités morales : des personnages symboliques
Parmi ces héros, Jean Valjean et Katow ont une stature qui dépasse l’humain, chargée d’une valeur symbolique, ce que suggèrent les termes mélioratifs (« générosité », « inouïe ») et les mots du champ lexical de la spiritualité et de la religion (« sauvé », « âme » deux fois chez Hugo, « déluge », « Dieu », « clarté », « fraternité », « résurrection »). Les images les transfigurent quasiment en saints : Jean Valjean est comparé à une « mère » qui sauve son « enfant » du déluge ; l’ampoule de cyanure est « le plus grand don qu[e Katow] eût jamais fait » ; le terme « résurrection », précédé de l’interjection propre à la prière « ô », fait de lui une figure christique.
III. Les ressources du roman pour mettre en valeur les personnages principaux
Un personnage de roman se dessine par son physique, son comportement, ses paroles, ses rapports avec les autres personnages, ce qu’en disent les autres personnages ou encore par les interventions du narrateur.
Les auteurs du corpus font ainsi de leurs personnages de véritables « héros » de romans.