La dénonciation de l'esclavage • Questions
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Question de l'homme
29
CORRIGE
France métropolitaine • Septembre 2013
La question de l'homme • 6 points
Questions
A – Voltaire, Histoire des voyages de Scarmentado, écrite par lui-même, 1756.
B – Saint-Lambert, Ziméo, 1769.
C – Laurent Gaudé, Sang négrier, 2006.
D – François Bourgeon, Les Passagers du vent, volume 5, « Le Bois d'ébène », 1984.
> 1. Quels sont les différents narrateurs dans chacun des documents ? En quoi cette variété sert-elle la dénonciation de l'esclavage ? (3 points)
> 2. Comparez les formes d'écriture choisies par les auteurs dans ce corpus et les effets que chacune produit sur le lecteur. (3 points)
Dans ce conte philosophique, Scarmentado
Il me restait de voir l'Afrique, pour jouir de toutes les douceurs de notre continent. Je la vis en effet. Mon vaisseau fut pris par des corsaires nègres
Voltaire, Histoire des voyages de Scarmentado, écrite par lui-même, 1756.
1. Le nom du personnage est une combinaison de deux termes italiens, signifiant littéralement « maigre d'esprit ».
2. L'adjectif « nègre » était couramment employé pour désigner les populations d'Afrique.
3. L'ébène est un bois noir.
4. Animal utilisé à porter des charges.
5. Creuser sous les coups de fouet.
6. Couper les oreilles était une des sanctions prévues pour les esclaves fugitifs.
7. Expression métaphorique familière pour désigner la maison, le foyer.
8. Allusion à l'expression proverbiale « cocu et content ».
Dans ce passage du conte philosophique, Ziméo raconte comment il a été fait esclave et les événements horribles qu'il a vécus, notamment son voyage sur un navire négrier
Il y avait plus d'un mois que nous étions en mer, les vents étaient faibles et notre course était lente ; enfin, les vents nous manquèrent absolument. Depuis quelques jours, les Portugais ne nous donnaient de vivres que ce qu'il en fallait pour nous empêcher de mourir.
Deux Nègres déterminés à la mort
Le calme continuait : les mers sans vagues, sans ondes, sans flots, présentaient une surface immense et immobile où notre vaisseau semblait attaché. L'air était aussi tranquille que les eaux. Le soleil et les étoiles, dans leur marche paisible et rapide, n'interrompaient pas ce profond repos qui régnait dans le ciel et sur les mers. Nous portions sans cesse les yeux sur cet espace uniforme et sans rives, terminé par la voûte du ciel, qui semblait nous enfermer dans un vaste tombeau. Quelquefois nous prenions les ondulations de la lumière pour un mouvement des eaux ; mais cette erreur était de courte durée. Quelquefois en nous promenant sur le tillac
Bientôt nos tyrans réservèrent pour eux le peu qui restait de vivres, et ordonnèrent qu'une partie des Noirs serait la pâture
Je ne puis vous dire si cette loi si digne des hommes de votre race, me fit plus d'horreur que la manière dont elle fut reçue. Je lisais sur tous les visages une joie avide
Les premières victimes furent choisies dans le nombre de ceux que la faim avait le plus accablés : c'était deux jeunes filles du village d'Onébo. J'entends encore les cris de ces infortunées ; je vois encore les larmes couler sur les visages de leurs compagnes affamées qui les dévoraient.
Saint-Lambert, Ziméo, 1769.
1. Navire affrété pour la traite des Noirs, c'est-à-dire le commerce des esclaves d'Afrique.
2. Résolus à mourir.
3. Compagne de Ziméo.
4. Pont supérieur d'un navire.
5. Nourriture que l'on donne aux animaux.
6. Envieuse et immodérée.
La nouvelle présente le récit d'un capitaine de navire négrier. Ce dernier raconte l'événement qui a fait basculer sa vie et l'a rendu fou. Lors d'une escale à Saint-Malo, cinq esclaves s'enfuient du navire… Après la mort de l'un d'entre eux, qui se jette d'une muraille, une chasse à l'homme s'organise avec l'aide des habitants pour rattraper les quatre derniers fugitifs.
Nous avons arpenté les rues avec nos torches. Le bruit de nos sabots sur les pavés résonnait avec le son sévère de l'autorité. La ville se mit à grouiller de plusieurs rumeurs. On en avait vu un près de la porte Saint-Louis. Un autre sur les toits du marché couvert. C'étaient des géants aux dents qui brillaient dans la nuit.
Même nous qui connaissions ces nègres pour les avoir eus sous nos pieds pendant trois semaines de traversée, même nous qui savions qu'ils n'avaient rien de géants mais étaient secs et épuisés comme des fauves en captivité, nous laissions dire. Les hommes avaient besoin de cela. Il fallait que croisse
Le premier fut abattu une heure à peine après le début du couvre-feu. Le coup de mousquet
Plus tard, un autre fut bastonné
Le troisième, je le ramenai vivant moi-même. Je le trouvai dans la cave d'un tonnelier
Aujourd'hui que j'y repense, je mesure combien nous étions loin de nous-mêmes. J'aurais dû tout faire pour garder ce nègre vivant. J'avais fait le plus difficile. Je n'avais plus qu'à le ramener au navire et à le plonger à fond de cale avec ses congénères. J'en aurais tiré un bon prix. Mais non. Cette nuit-là, il fallait du sang. À moins qu'au fond, ce ne soit le contraire. À moins, oui, que nous n'ayons jamais été aussi proches de nous-mêmes que cette nuit-là, acceptant pour un temps les grondements de notre être comme seul souverain.
La décapitation du nègre souleva une vague de folie. Tout le monde savait qu'il n'en restait plus qu'un et chacun voulait être celui qui l'attraperait. À l'instant où le corps du supplicié tomba à mes pieds mollement, comme un sac vide qui vient soupirer au sol, un cri lointain monta des toits de la ville. C'était lui, là-bas, le dernier nègre échappé, qui appelait. Il devait se préparer au combat, invoquer les esprits de son peuple ou nous maudire. C'était lui le dernier nègre, là-bas, qui nous défiait.
Laurent Gaudé, Sang négrier, 2006.
1. Qu'augmente.
2. Folie.
3. Arme à feu.
4. Île très proche de Saint-Malo, sur laquelle avait été bâti un fort.
5. Roué de coups de bâtons.
6. Joie avide.
7. Artisan qui fabrique et répare des tonneaux.
La narratrice, Isa, une jeune Européenne, embarque sur un navire en direction des Antilles avec à son bord trois cent quarante esclaves qui constituent ce qu'on appelle « le bois d'ébène ». Lors d'une escale à Saint-Domingue, elle découvre l'horreur du traitement réservé aux esclaves dans les plantations.

François Bourgeon, Les Passagers du vent, volume 5,
« Le Bois d'ébène », 1984. © Éditions Delcourt 2014
Question 1
- Identifiez d'abord le statut du narrateur (est-il dans ou en dehors de l'histoire qu'il raconte ?) et son identité (est-il un esclave ? un maître ?).
- Dites ensuite pourquoi cette diversité de statuts est efficace pour argumenter contre l'esclavage.
Question 2
- « Formes d'écriture » suggère d'identifier :
- le genre littéraire ou la forme artistique ;
- les formes de discours ou types de texte (narration, description, dialogue, tirade, monologue intérieur) employés pour dénoncer l'esclavage.
- « Les effets » sur le lecteur : susciter la réflexion, la pitié, la révolte…
- Accompagnez chaque remarque d'exemples précis tirés des textes.
> Pour réussir les questions : voir guide méthodologique.
> La question de l'homme : voir mémento des notions.
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
Question 1
- Les récits sont tous rapportés d'un
point de vue interne , par une victime (Scarmentado, Ziméo), par un bourreau (le capitaine de Sang négrier) ou par un témoin horrifié (la jeune Isa que dessine Bourgeon). Le lecteur accède directement aux pensées, aux émotions du narrateur.
Conseil
Ne renvoyez pas aux documents par les expressions « texte A, B… » Utilisez des expressions comme : « Le récit de Ziméo… » ou « Gaudé, dans sa nouvelle… »
- À travers le dispositif narratif mis en place,
l'auteur adopte un angle particulier d'attaque contre l'esclavagisme. Il fait sentir les tourments de l'esclave (Saint-Lambert) ou la brutalité criminelle du négrier (Gaudé). Il nous transporte dans un lieu, une époque (les Antilles au xviiie siècle) et fait revivre par l'image tout un contexte éclairant la traite négrière (Bourgeon). Enfin, avec Voltaire, le récit intègre habilement, selon le principe comique de l'arroseur arrosé, le discours d'un « nègre » lui-même « négrier » pour souligner l'absurdité scandaleuse de l'esclavage.
Question 2
- Le face-à-face entre le capitaine noir et Scarmentado, par sa forme de
dialogue didactique , répond au principe duconte philosophique – court récit illustrant des idées, très en vogue au xviiie siècle. L'argumentation brutale du capitaine nègre renvoieironiquement à la bêtise des arguments par lesquels les Européens justifient l'esclavage. Lerécit pathétique que propose Saint-Lambert est dépourvu de l'ironie voltairienne. Le personnage de Ziméo communique au lecteur sa révolte et l'horreur de ce qu'il a vécu. - Le récit du capitaine négrier imaginé par Gaudé prend la forme d'une
confession terrifiante . Le héros se peint comme un fauve communiquant sa bestialité à la foule. Il a conscience d'obéir à des forces malsaines mais, avec le recul du temps, il ne formule aucun regret. On mesure ici l'endurcissement des cœurs qu'entraîne l'esclavage, et l'auteur, en impliquant le lecteur dans la violence, le conduit à s'interroger sur ce qu'aurait été son attitude dans des circonstances identiques.
Info
Dans une bande dessinée, la vignette (aussi appelée case) est une image délimitée par un cadre. Elle est l'unité de base dans la séquence narrative de la page.
- Bourgeon joue sur
la double force du texte et de l'image . Les vignettes composent untableau contrasté : les colons fortunés, leurs femmes élégantes avec robes et ombrelles, face aux esclaves sous la menace des châtiments. Mais les mots d'Isa sur « l'enfer » des esclaves et « la tyrannie » des colons sont très durs. Bourgeon donne à voir ce quisuscite la pitié et l'indignation de son héroïne , comme unjournal intime dont elle nous ouvrirait les pages.
Après avoir répondu à ces questions, les candidats devront traiter au choix un des trois sujets suivants : commentaire ; dissertation ou écriture d'invention.