La dernière page d’un roman
Corrigé
1
Le roman
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Sujet inédit
Le personnage de roman • 6 points
Questions
Étienne Lantier a été l’un des principaux artisans de la grève des mineurs, fatigués d’être exploités et de souffrir. Mais le mouvement a échoué et la répression a eu raison des revendications ouvrières : le héros est obligé de quitter le bassin minier.
Mais Étienne, quittant le chemin de Vandame, débouchait sur le pavé. À droite, il apercevait Montsou qui dévalait et se perdait. En face, il avait les décombres du Voreux
Et, sous ses pieds, les coups profonds, les coups obstinés des rivelaines
Émile Zola, Germinal, partie VII, chap. 6, 1885.
Georges Duroy, surnommé Bel-Ami, a réussi à s’élever dans la société, notamment dans le milieu de la presse, en partie grâce aux femmes. Dans la dernière page du roman, le narrateur rend compte de son mariage et de son triomphe social.
Puis des voix humaines s’élevèrent, passèrent au-dessus des têtes inclinées. Vauri et Landeck, de l’Opéra, chantaient. L’encens répandait une odeur fine de benjoin, et sur l’autel le sacrifice divin s’accomplissait ; l’Homme-Dieu, à l’appel de son prêtre, descendait sur la terre pour consacrer le triomphe du baron Georges Du Roy.
Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne
Lorsque l’office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie. Alors commença l’interminable défilé des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu’un peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : « Vous êtes bien aimable. »
Soudain il aperçut Mme de Marelle
Elle s’approcha, un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l’appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et lui-même il la serrait, cette petite main, comme pour dire : « Je t’aime toujours, je suis à toi ! »
Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d’amour. Elle murmura de sa voix gracieuse : « À bientôt, monsieur. »
Il répondit gaiement : « À bientôt, madame. »
Et elle s’éloigna.
D’autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle s’éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l’église.
Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. Il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui.
Lorsqu’il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait.
Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon.
Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point ; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit.
Guy de Maupassant, Bel-Ami, partie I, chap. 10, 1885.
Le village abandonné et son dernier habitant sont presque revenus à l’état sauvage. Mais Panturle, en fondant une famille avec sa compagne qui attend un enfant et en reprenant son activité d’agriculteur, va faire renaître le bonheur et la civilisation paysanne.
Maintenant Panturle est seul.
Il a dit :
– Fille, soigne-toi bien, va doucement ; j’irai te chercher l’eau, le soir, maintenant. On a bien du contentement ensemble. Ne gâtons pas le fruit.
Puis il a commencé à faire ses grands pas de montagnard.
Il marche.
Il est tout embaumé de sa joie.
Il a des chansons qui sont là, entassées dans sa gorge à presser ses dents. Et il serre les lèvres. C’est une joie dont il veut mâcher toute l’odeur et saliver longtemps le jus comme un mouton qui mange la saladelle
Il est devant ses champs. Il s’est arrêté devant eux. Il se baisse. Il prend une poignée de cette terre grasse, pleine d’air et qui porte la graine. C’est une terre de beaucoup de bonne volonté.
Il en tâte, entre ses doigts, toute la bonne volonté.
Alors, tout d’un coup, là, debout, il a appris la grande victoire.
Il lui a passé devant les yeux, l’image de la terre ancienne, renfrognée et poilue avec ses aigres genêts et ses herbes en couteau. Il a connu d’un coup, cette lande terrible qu’il était, lui, large ouvert au grand vent enragé, à toutes ces choses qu’on ne peut pas combattre sans l’aide de la vie.
Il est debout devant ses champs. Il a ses grands pantalons de velours brun, à côtes ; il semble vêtu avec un morceau de ses labours. Les bras le long du corps, il ne bouge pas. Il a gagné : c’est fini.
Il est solidement enfoncé dans la terre comme une colonne.
Jean Giono, Regain, partie II, 1930.
La peste a ravagé la ville d’Oran pendant presque un an, faisant des milliers de morts. Voulant soulager la souffrance des hommes, le docteur Rieux a lutté de toutes ses forces contre l’épidémie, qui paraît désormais s’éloigner, ce qui donne lieu à de grandes réjouissances dans la cité.
Mais cette nuit était celle de la délivrance, et non de la révolte. Au loin, un noir rougeoiement indiquait l’emplacement des boulevards et des places illuminés. Dans la nuit maintenant libérée, le désir devenait sans entraves et c’était son grondement qui parvenait jusqu’à Rieux.
Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances officielles. La ville les salua par une longue et sourde exclamation. Cottard, Tarrou, ceux et celles que Rieux avait aimés et perdus, tous, morts ou coupables, étaient oubliés. Le vieux avait raison, les hommes étaient toujours les mêmes. Mais c’était leur force et leur innocence et c’est ici que, par-dessus toute douleur, Rieux sentait qu’il les rejoignait. Au milieu des cris qui redoublaient de force et de durée, qui se répercutaient longuement jusqu’au pied de la terrasse, à mesure que les gerbes multicolores s’élevaient plus nombreuses dans le ciel, le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.
Mais il savait cependant que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu’il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins.
Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.
Albert Camus, La Peste, partie V, chap. 5, 1947.
Comprendre les questions
Question 1
- Vous devez vous demander si la conception de la vie – et la vision du monde – de ces fins de roman est positive (optimiste), négative (pessimiste) ou mêlée.
- Cherchez à travers quels détails précis les auteurs suggèrent cette conception : images, mots mélioratifs ou négatifs, thèmes récurrents.
- Réfléchissez aussi sur les perspectives qu’ouvre chacune de ces fins : imagine-t-on une suite heureuse ou au contraire sombre ?
- La deuxième partie de la question vous invite à ne pas traiter les textes successivement mais synthétiquement : il faut trouver des points de convergence entre les textes (« conception » est au singulier) et non des divergences (malgré le mot « chacun » de la consigne).
Question 2
- Définissez le statut du narrateur, c’est-à-dire déterminez quelles sont l’identité et la position de celui qui raconte. Il peut se situer dans l’histoire et être un personnage qui participe aux événements (narrateur-personnage), ou en dehors de l’histoire (il ne participe pas aux événements, il raconte à la troisième personne).
- Analysez ensuite le degré d’implication du narrateur. Il peut s’effacer de l’histoire, raconter de façon totalement impartiale (il n’emploie aucun terme appréciatif) ou manifester sa présence par des commentaires ponctuels, des jugements, explicites ou implicites.
- Vérifiez si le statut du narrateur est le même dans les quatre extraits.
- Appuyez votre réponse sur des indices, des faits d’écriture utilisés dans les textes.
- Attention ! Le statut du narrateur est différent du point de vue (définir le point de vue, c’est dire à travers les yeux de qui les événements sont racontés, par exemple à travers ceux d’un personnage, ce qui peut arriver même si le narrateur est hors de l’histoire).
> Pour réussir les questions : voir guide méthodologique.
> Le roman : voir lexique des notions.
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
> Question 1
Introduction
1. La peinture lucide des malheurs de l’existence
Ces dernières pages de romans peignent les malheurs de la vie.
- Dans
Regain , le village est abandonné, comme mort. Panturle a dû « combattre » contre cette mort lente. - Dans
La Peste , Rieux pense à « ceux et celles qu[’il a] aimés et perdus », à « l’injustice » et à « la violence » qui peuvent renaître à tout moment. - Le malheur peut prendre aussi la forme de la souffrance : dans
Germinal , les mineurs souffrent à « taper » sans relâche dans le « trou maudit » du Voreux, « l’échine cassée ». - Dans
Bel-Ami , de façon plus implicite, Mme de Marelle, amoureuse de Duroy, est contrainte de rester dans l’ombre devant le triomphe d’une autre. - C’est La Peste (roman écrit après la Seconde Guerre mondiale) qui souligne le plus les «
fléaux » qui menacent le monde.
2. Un monde gros d’espérances
En contrepoint à cet aspect négatif, les quatre textes suggèrent diversement l’«
- La chaleur, versée par le soleil (Zola) « éclatant » qui inonde aussi « la grande baie ensoleillée » (Maupassant), suggère le
retour à la vie . L’évocation de lanature en plein renouveau jette sur l’avenir un air de printemps, symbole de jeunesse et d’espoir : règne végétal (« haies vives », « bourgeons », « feuilles vertes », « graines », « sève », « bruit des germes », « germination » [Zola] ; « terre grasse, pleine d’air et qui porte la graine »[Giono]). - Le monde est décrit comme générateur de
sensations et desentiments positifs (Panturle est « embaumé de sa joie »). Le thème de l’enfantement et de l’enfance connote l’espoir dans un avenir plein de promesses et suggère que la vie est faite de recommencement : un enfant à naître est un « fruit » (Giono) ; une personnification saisissante transforme la terre en future mère (« la campagne était grosse », [Zola]). - L’atmosphère de
libération , de liesse est rendue à travers des termes plus abstraits : « triomphe », « immenses bonheurs » (Maupassant), « délivrance », « sans entraves », « réjouissances » (Camus).
3. Une conception nuancée : la vie est mélange
- Les quatre auteurs prônent implicitement une
attitude réaliste ,lucide , mais aussi dynamique ettournée vers un avenir prometteur voire heureux : « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser », conclut le docteur Rieux dans La Peste. - Cependant, si leur conception générale de la vie est très proche, les
perspectives ouvertes par les auteurs du corpus sont légèrementdifférentes : Maupassant et Giono donnent une dimension personnelle, presque charnelle, au bonheur retrouvé ; Zola, lui, en romancier engagé, oppose le malheur, passé ou présent, au bonheur que les révolutions apporteront aux opprimés de la société ; en moraliste philosophe, Camus voit avec recul les contrastes de la vie.
Conclusion
La fin d’un roman est porteuse de sens : c’est elle qui, souvent, incite le lecteur à la réflexion et lui délivre implicitement la vision de l’homme et du monde que veut faire partager son auteur.
> Question 2
- Le narrateur, dans ces quatre extraits, a le même statut : il se situe
en dehors de l’histoire , en quelque sorte comme un témoin ; ainsi, il n’utilise pas la première personne mais raconte à la troisième personne. - Il semble qu’il prenne du
recul pour rendre compte du parcours effectué par le personnage principal : le départ d’Étienne dans Germinal, après qu’il a accompli sa mission d’éveil des consciences, la réussite sociale et amoureuse de Bel-Ami, la victoire de Panturle pour faire revivre le hameau, et la fin de la lutte de Rieux contre l’épidémie. - Néanmoins, dans ces quatre extraits, ce narrateur situé hors de l’histoire
marque son implication par des termes mélioratifs ou péjoratifs, par des faits d’écriture qui expriment sa subjectivité : dans Germinal, la métaphore filée de la germination laisse à penser que le narrateur a une vision pleine d’espoir pour les générations futures de travailleurs ; dans Bel-Ami, le narrateur laisse transparaître sa réprobation et son mépris un peu ironique pour l’arriviste Du Roy (« Il ne pensait qu’à lui ») ; dans Regain, à travers la poésie des images, apparaît le lyrisme plein d’optimisme de celui qui raconte la scène ; enfin, le narrateur de La Peste est à la fois gagné par l’allégresse des Oranais et par le scepticisme sur les temps à venir. - Cependant, dans ces textes, le statut du narrateur n’exclut pas la fréquence du point de vue interne qui permet au lecteur de partager les sensations, les sentiments et les pensées du personnage.
Après avoir répondu à ces questions, vous traiterez au choix un des sujets suivants : commentaire ; dissertation ou écriture d'invention.