L'évolution des génomes au sein des populations
LE VIVANT
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Exercice 2
Transferts horizontaux et verticaux chez les bactéries
Intérêt du sujet • Ce sujet vous amène à comprendre comment la résistance aux antibiotiques peut se répandre à des populations bactériennes diverses.
Le génome des bactéries est constitué d'un chromosome et de plasmides, chacun étant des molécules d'ADN circulaires. Les plasmides possèdent des gènes dont certains confèrent la résistance à certains antibiotiques.
Montrez, en utilisant les informations extraites des documents, qu'il existe des mécanismes de transferts horizontaux pouvant faire évoluer le génome de bactéries.
Document 1Expériences de Griffith (1928)
Streptococcus pneumoniae est une bactérie pathogène pour les humains et à l'origine notamment d'infections des voies respiratoires supérieures.
Il en existe plusieurs souches, dont la souche S et la souche R.
Les streptocoques de la souche S, qui sont entourés d'une capsule de nature glucidique et forment, lorsqu'ils sont cultivés sur un milieu solide nutritif, des colonies dont la surface est lisse. Ces streptocoques sont virulents et peuvent causer des pneumonies voire des septicémies.
Les streptocoques de la souche R, mutants de la souche S, qui sont dépourvus de capsule et forment des colonies rugueuses (« R ») sur le même milieu solide nutritif. Facilement phagocytés par les granulocytes, ces streptocoques ne sont pas virulents.
En 1928, Frederick Griffith (biologiste et médecin britannique, 1879-1941) a réalisé l'expérience schématisée ci-après au cours d'une recherche sur la mise au point d'un vaccin contre le streptocoque.
Document 2Expérience de Avery, MacLeod et McCarty (1944)
Les résultats expérimentaux de F. Griffith ont ensuite été confirmés par d'autres chercheurs, dont les expériences sont des prolongements de celle de F. Griffith.
En 1931, les chercheurs Martin Dawson et Richard Sia ont obtenu la transformation de bactéries R en bactéries S in vitro en cultivant des bactéries R sur milieu solide additionné d'extraits de bactéries S tuées par la chaleur.
En 1944, Oswald Avery (médecin américain, 1877-1955), Colin MacLeod (généticien américain, 1909-1972) et Maclyn McCarty (généticien américain, 1911-2005) ont poussé l'analyse plus loin en réalisant l'expérience schématisée ci-après.
Document 3Yersinia pestis et la streptomycine
Yersinia pestis, le bacille de la peste, parasite au cours de son cycle de développement deux hôtes, un mammifère, généralement un rongeur, le rat, et un insecte, la puce, chez qui le parasite se développe dans le tube digestif. Le bacille peut être transmis à l'humain via les piqûres de puces provenant de rongeurs infectés.
Jusqu'à récemment, la streptomycine était un antibiotique très efficace contre le bacille. En 1995, à Madagascar, pays où sévit encore la peste, on a constaté la présence de souches de Yersinia pestis résistantes à la streptomycine.
Document 4Acquisition d'une résistance aux antibiotiques
Pour expliquer l'origine de l'acquisition de la résistance de Yersinia pestis, des chercheurs ont réalisé l'expérience suivante.
a) Première étape de l'expérience
Les chercheurs ont d'abord nourri des puces avec du sang contenant des bactéries d'une souche d'Escherichia coli résistante à la streptomycine et des bacilles de la peste sensibles à cet antibiotique.
Ils ont ensuite suivi l'évolution des Yersinia pestis dans le tube digestif des puces.
Les graphiques A et B suivants traduisent les résultats obtenus.
Figure 1a. Pourcentage de puces contenant des Yersinia pestis résistants en fonction du nombre de jours après l'infection
Figure 1b. Nombre moyen de bacilles résistants par puce
en fonction du nombre de jours après l'infection
b) Deuxième étape de l'expérience
Les chercheurs ont alors réalisé une électrophorèse des plasmides présents chez les bacilles :
R : Yersinia pestis sensibles à la streptomycine ;
D : Escherichia coli résistantes à la streptomicine ;
1, 2, 3, 4 : Yersinia pestis résistantes à la streptomycine respectivement 3, 7, 14 et 28 jours après le « repas infectieux ».
À droite de l'électrophorèse sont indiquées les abréviations des plasmides présents dans les bactéries.
Doc. Extr. De : Galimand et al., 1997-N. Engl. J. Med., 337:677-680.
Au cours d'expériences complémentaires, consistant à nourrir des puces avec du sang contenant des bacilles de la peste et des Escherichia coli sensibles à la streptomycine, les chercheurs n'ont constaté aucune apparition de bacille de la peste résistant à la streptomycine chez les puces infectées.
D'après B. J. Hinnebusch et al., Molecular Microbiology, 2002-2, 349-354
Les clés du sujet
Étape 1. Comprendre le sujet
À partir des informations extraites des documents, il s'agit de montrer que les génomes de bactéries peuvent évoluer en intégrant des gènes provenant d'autres bactéries.
Les deux exemples fournis illustrent deux modalités de ce transfert horizontal, la transformation bactérienne et la conjugaison bactérienne.
Étape 2. Exploiter les documents
Le document 1 est une expérience in vivo permettant de mettre en évidence que la souche R a acquis la virulence de la souche S alors que celle-ci était tuée.
Le document 2 vient confirmer cette capacité à se transformer de la souche R, en reproduisant l'expérience in vitro (expérience de Dawson et Sia). L'expérience de Avery et MacLeod va plus loin en donnant la possibilité d'identifier les molécules à l'origine de cette transformation.
Le document 3 fait état de la présence de souches de Yersinia pestis résistantes à la streptomycine (antibiotique).
Le document 4 illustre le mécanisme de conjugaison bactérienne. Il montre que les bacilles de la peste sont devenus résistants à la streptomycine en incorporant un plasmide issu de Escherichia coli.
Étape 3. Construire la réponse
Introduction
Le génome bactérien peut muter, et les mutants peuvent ensuite se répandre dans les populations à la suite d'une sélection positive. Mais le génome des bactéries peut évoluer à la suite d'autres mécanismes que les mutations ; ceux-ci sont qualifiés de transferts horizontaux. Nous allons, à partir des informations extraites de l'analyse des documents envisager ces mécanismes de transfert horizontal.
I. La transformation bactérienne
A. La notion de principe transformant (document 1)
Le conseil de méthode
Pour tirer des conclusions des données du document 1, utilisez la méthode comparative : comparer les résultats de deux expériences ne différant que par un seul paramètre. N'oubliez pas que les colonies visibles résultent de multiplications à partir d'une bactérie initiale et donc illustrent la transmission verticale d'un caractère déterminé génétiquement.
La comparaison des expériences 1 et 3 montre que les bactéries de souche S sont très virulentes contrairement aux bactéries de souche R.
La comparaison des expériences 2 et 4 indique que l'association de bactéries S tuées (non virulentes) et de bactéries R donne naissance à des bactéries S virulentes, alors que l'injection des seules bactéries S tuées est sans effet.
Comme l'injection de souches S tuées seules n'entraîne pas l'apparition de bactéries S virulentes, les bactéries S apparues dans l'expérience 4 ne peuvent provenir que des bactéries R vivantes. Celles-ci ont donc acquis la capacité à fabriquer une capsule. Cette capacité a été acquise par l'intermédiaire des bactéries S tuées. Ces bactéries S ont donc fourni un principe transformant qui a fait apparaître la capacité nouvelle chez les bactéries R.
à noter
C'est la présence de cette capsule qui confère la virulence aux bactéries de type S.
La septicémie implique que les bactéries R, en se multipliant, transmettent leur nouvelle capacité à leurs descendants.
à noter
La septicémie indique que de multiples foyers bactériens se trouvent dans le sang et divers organes de la souris, ce qui implique une multiplication des bactéries.
Le transfert du principe transformant des bactéries S en bactéries R est un transfert horizontal. La transmission de ce principe transformant d'une bactérie-mère à ses descendantes caractérise un transfert vertical.
B. L'ADN principe transformant : l'expérience de Avery et MacLeod (document 2)
L'expérience de Avery et MacLeod, qui confirme celle de Dawson et Sia, montre que la transformation de bactéries R en bactéries S peut être obtenue in vitro, en dehors de la souris. La souris n'est donc pas nécessaire à cette transformation.
à noter
Cette expérience utilise une propriété fondamentale des enzymes : leur spécificité.
L'expérience de Avery et McLeod a pour objectif de déterminer la nature de la substance présente dans les extraits de bactéries S à l'origine de la transformation des bactéries R en bactéries S.
Les protéases sont des enzymes qui hydrolysent les protéines. En conséquence, la fraction 1 de l'extrait est dépourvue de protéines. Cependant, cet extrait provoque la transformation des bactéries R en bactéries S : le principe transformant n'est donc pas de nature protéique.
La fraction 2 de l'extrait est traitée par une enzyme qui dégrade les molécules d'ARN (ARNase). Pourtant, l'extrait privé de ces molécules permet la transformation de bactéries R en bactéries S. Les molécules d'ARN ne sont donc pas celles qui permettent la transformation.
La fraction 3 de l'extrait cellulaire des bactéries S, traitée par une enzyme qui dégrade les molécules d'ADN (ADNase), perd la capacité de transformer les bactéries R en bactéries S. Cela signifie que les molécules d'ADN des bactéries S confèrent aux bactéries R la capacité de synthétiser une capsule.
à noter
Cette expérience est historiquement très importante parce qu'elle démontrait pour la première fois que l'ADN est le support d'une information génétique, ici la capacité de synthétiser une capsule.
L'ADN des bactéries S présent dans le milieu de culture R a donc modifié le génome de ces dernières en leur conférant la capacité à fabriquer une capsule.
Cela implique que la portion d'ADN qui porte les gènes qui permettent de fabriquer une capsule a pénétré dans les bactéries R, s'est incorporée au génome des bactéries R et peut donc être transmise à leur descendance.
II. La conjugaison bactérienne : une autre forme de transfert horizontal
La transformation bactérienne et la conjugaison bactérienne sont deux processus assurant le transfert horizontal de gènes.
Le document 4a montre que, dans les jours qui suivent le repas infectieux, le pourcentage de puces contenant des bacilles de la peste résistants à la streptomycine n'a fait que croître pour atteindre près de 100 % au bout d'un mois.
En outre, le nombre de bacilles résistants par puce a été multiplié par 100 environ entre le 3e et le 28e jour. Cela signifie que des bacilles de la peste au départ sensibles sont devenus résistants et qu'ils se sont multipliés au cours du temps.
Il y a donc eu un changement dans le génotype des bacilles de la peste, entraînant un changement de phénotype. Ce changement est dû à la présence, dans le repas infectieux, des bactéries Escherichia coli résistantes à la streptomycine, car il n'a pas lieu en l'absence d'Escherichia coli résistantes. La résistance à la streptomycine a donc été transférée aux bacilles de la peste à partir des bactéries E. Coli résistantes.
Le cliché d'électrophorèse (document 4b) montre que la bactérie Escherichia coli possède un seul plasmide pIP1203. Il confère la capacité de résistance à la bactérie. Ce plasmide n'existe pas chez le bacille de la peste sensible à la streptomycine. En revanche, il se trouve dans les bacilles résistants à la streptomycine durant toute la durée de l'expérience.
Le secret de fabrication
Les plasmides migrent au cours de l'électrophorèse en fonction de leur masse molaire. Chaque plasmide occupe donc un emplacement précis dans un cliché. Si plusieurs plasmides issus de bactéries différentes occupent le même emplacement (sur une même ligne horizontale), c'est qu'il s'agit du même plasmide.
Ce plasmide a donc été transmis de bactéries Escherichia coli à des bacilles de la peste. On peut penser que la réunion dans le tube digestif de la puce des Escherichia coli résistantes et des bacilles de la peste sensibles a permis des contacts entre ces bactéries qui ont entraîné le transfert par conjugaison du plasmide pIP1203.
Le secret de fabrication
Pour exploiter le document 4, n'oubliez pas qu'un plasmide est le support de gènes et donc que des propriétés d'une bactérie peuvent être dues à un plasmide.
Conclusion
Dans les exemples envisagés, les streptocoques et les bacilles de la peste sont des bactéries qui ont acquis de l'ADN provenant d'autres bactéries. Il s'agit d'un transfert horizontal, où un organisme intègre du matériel génétique provenant d'un autre organisme sans être le descendant de ce donneur.
Deux types de transfert horizontal chez les bactéries sont ici illustrés :
la transformation bactérienne par absorption d'ADN de l'environnement et intégration de cet ADN dans le génome de la bactérie receveuse ;
la conjugaison bactérienne où un plasmide d'une bactérie donneuse est transmis à une bactérie receveuse à la suite d'un contact étroit entre les deux bactéries.
Ces deux processus modifient le génome des bactéries receveuses qui peuvent acquérir ainsi de nouvelles capacités et les transmettre à leurs descendants : transfert vertical.
Les transferts horizontaux de gènes, et pas uniquement les mutations, sont des facteurs importants de l'évolution des génomes bactériens, en particulier dans l'expansion rapide des résistances aux antibiotiques.