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S'entraîner
Les mutations du travail
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Dissertation
Travail et intégration sociale
Intérêt du sujet • L'intérêt de ce sujet est de présenter comment le travail peut favoriser l'intégration sociale, tout en nuançant l'analyse, car les évolutions de l'emploi affaiblissent ce rôle intégrateur.
Le travail est-il toujours source d'intégration sociale ?
Document 1Niveau de vie1 et taux de pauvreté2 selon le statut d'activité en France en 2017

Source : d'après Insee Première, n° 1 772, septembre 2019.
Champ : France métropolitaine.
1. Le niveau de vie correspond au revenu disponible d'un ménage en tenant compte de sa composition.
2. Le taux de pauvreté mesure la proportion d'individus appartenant à un ménage dont le niveau de vie est inférieur à un certain pourcentage du niveau de vie médian (ici 60 %).
Document 2Le sens du travail
Cette quête de sens des salariés et travailleurs est-elle une tendance réelle ?
Bien sûr ! Quelles que soient les activités dans lesquelles nous sommes engagés, nous en attendons du sens. Pour le travail, c'est encore plus évident. Les enquêtes dont on dispose le montrent, les Français sont nombreux à affirmer que le travail est « très important » pour eux. Et ce, quel que soit leur emploi. Le travail possède à la fois une dimension relationnelle et expressive : on en attend non seulement la possibilité de rencontrer et coopérer avec d'autres personnes, mais aussi de pouvoir exprimer sa singularité, ses capacités, et d'obtenir de la reconnaissance. C'est la raison pour laquelle l'intérêt intrinsèque du travail (c'est-à-dire le contenu concret du travail) nous importe beaucoup. Dans les entretiens que nous avons menés dans plusieurs pays européens nous avons pu prendre la mesure à la fois de l'ampleur de ces attentes mais également de la désespérance qu'entraîne le travail lorsqu'il n'a aucun sens. Les salariés se réfugient alors dans des postures de retrait.
[…] Ma thèse c'est que notre concept de travail est constitué de plusieurs couches de significations, de plusieurs dimensions. Le travail peut être considéré comme un facteur de production, ce qui importe alors n'est pas le travailleur mais la création de richesse et le profit. Pour le travailleur, il est l'essence de l'homme, c'est-à-dire une activité censée apporter du sens, de l'accomplissement, de l'épanouissement. Enfin, c'est aussi le système de distribution des revenus, des droits et des protections, le pivot de la société salariale.
Source : Entretien avec Dominique Méda, directrice de l'Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (IRISSO) et professeure de sociologie, Qqf.fr, octobre 2017.
Document 3Répartition de l'emploi salarié selon le statut de 1982 à 2017
Source : Insee, séries longues sur le marché du travail, enquêtes Emploi, septembre 2018.
Champ : France métropolitaine jusqu'en 2013, France hors Mayotte à partir de 2014, population des ménages, personnes en emploi de 15 ans ou plus.
Note : les CDD comprennent les emplois aidés ; pour la fonction publique, les CDI comprennent les fonctionnaires et les contractuels en CDI.
Document 4Le sens donné au travail selon les catégories socioprofessionnelles
Question : Diriez-vous que le travail, c'est d'abord… ? (réponses en %)

Source : Ifop, « Les Français et le bonheur au travail », avril 2016.
Les clés du sujet
Analyser la consigne et dégager une problématique
Problématique. Il s'agit de comprendre comment l'évolution de la place du travail dans la société modifie le rôle intégrateur du travail et sa capacité à contribuer à l'insertion des individus dans la société.
Exploiter les documents
Document 1. Ce tableau permet de comparer les différents statuts d'activité en termes de revenus, de taux de chômage ou de niveau de pauvreté. Est-ce que tous les statuts sont exposés d'une façon égale aux risques de chômage et de pauvreté ? Occuper un emploi rémunéré constitue-t-il une protection ? Ce document alimente la thèse de l'importance du travail dans notre système économique marchand (la détention d'un emploi permet de consommer davantage et ainsi d'accéder aux normes de la société de consommation).
Document 2. Ce texte identifie les différentes dimensions du rôle intégrateur du travail (économique, sociale, symbolique…) et l'importance de la « valeur travail ». En creux, il mentionne les risques et les dangers pour l'individu qui ne pourrait compter sur le travail pour être intégré à la société.
Document 3. Ce graphique illustre les mutations de l'emploi avec le développement de formes atypiques d'emploi (il peut être utile de caractériser l'évolution de la part de ces emplois). La fragilisation du statut salarial peut provoquer une précarisation économique et sociale de l'individu.
Document 4. Ce tableau explique l'importance des différentes dimensions du travail (épanouissement et reconnaissance sociale, au-delà de la dimension économique) en montrant que la place du travail dans la société n'est pas la même pour tous les individus (ce qui renvoie aussi aux inégalités économiques et sociales qui existent entre les différentes catégories socioprofessionnelles).
Définir le plan

Les titres de parties ne doivent pas figurer sur votre copie.
Introduction
[accroche] Si le travail a été longtemps considéré comme une activité dégradante et contrainte, les sociétés modernes le valorisent au contraire et en ont fait une condition du bien-être des individus. [présentation du sujet] Ainsi, avec l'avènement de la société salariale, le travail, en tant que facteur de production qui s'inscrit dans une activité de production socialement organisée, apporte bien plus qu'un revenu puisque le travailleur bénéficie d'un statut et de protections. Le travail est devenu de ce fait, avec la famille ou l'école, un vecteur important d'intégration, c'est-à-dire qu'il permet à l'individu de s'insérer dans la société, d'en partager les valeurs et d'instaurer des relations sociales durables. La peur du déclassement social et la stigmatisation des exclus donnent au travail une importance encore plus grande dans notre société. De plus, le droit au travail, qui participe de la dignité de l'être humain, a été repris dans la Constitution de 1958, qui affirme : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. »
[problématique] Si le travail apparaît de façon évidente comme source de lien social, le chômage et les évolutions de l'emploi nous amènent à interroger d'une autre manière le lien entre travail et intégration. Dans quelle mesure la montée du chômage et la précarisation de l'emploi fragilisent-elles de nos jours la capacité du travail à être facteur d'intégration et créateur de lien social ? [annonce du plan] Pour répondre à cette problématique, nous verrons dans un premier temps que le travail est toujours à l'heure actuelle une instance fondamentale d'intégration, parce qu'il contribue à l'identité sociale et permet l'insertion dans l'économie et la société marchande. Pour autant, nous verrons dans un second temps que l'intégration par le travail doit être nuancée par certaines évolutions de l'emploi et les mutations des formes d'organisation du travail apparues ces dernières années.
I. Le travail permet l'intégration économique et sociale des individus
1. Le travail contribue à la construction de l'identité sociale
Le travail fournit à chacun l'occasion de prouver son utilité sociale et de se créer un statut social (appartenance à une catégorie socioprofessionnelle, place dans le processus de production économique). D'après un sondage Ifop de 2016, 37 % des personnes interrogées estiment que le travail est avant tout un moyen de trouver sa place dans la société (document 4) et donc de s'attirer la reconnaissance d'autrui. Ces différents facteurs participent à la stabilité personnelle, à un sentiment de « vivre ensemble » et forment une protection contre l'isolement social.
conseil
Dans chaque partie, accompagnez vos exemples de renvois aux documents du dossier.
Le travail est aussi une source d'identité collective par l'appartenance à un collectif de travail (une entreprise, un syndicat) dont les membres partagent conditions et rythmes de travail. Le travail permet notamment de nouer des relations sociales (collègues, clients, fournisseurs…) (document 2). Par ailleurs, la sociabilité professionnelle peut se prolonger par une sociabilité privée qui entretient un réseau amical et d'entraide.
Le travail constitue une expérience sociale dans laquelle l'individu doit donner la mesure de ses qualités et de ses compétences. Il procure estime de soi, épanouissement personnel (pour 30 % des personnes sondées dans l'enquête du document 4) et reconnaissance (document 2).
2. Le travail assure un revenu d'activité et des droits sociaux
L'exercice d'un travail, qu'il soit indépendant ou salarié, s'accompagne de l'obtention d'une rémunération. Les actifs occupés ont ainsi un niveau de vie médian de 22 920 euros par an, bien supérieur aux autres statuts d'activité (chômeurs, retraités ou inactifs) (document 1). Cette rémunération donne à l'individu la possibilité de s'intégrer sur le plan économique, c'est-à-dire d'adhérer aux normes collectives de consommation et d'épargne et de s'identifier, à travers ces pratiques, aux autres individus. Cet aspect économique est différencié selon la catégorie socioprofessionnelle et d'autant plus vérifié pour les catégories populaires. 52 % des ouvriers considèrent avant tout le travail comme une contrainte pour gagner de l'argent (document 4).
Grâce à un travail (document 2), l'individu accède également à une protection sociale qui couvre les risques sociaux (assurances chômage, maladie, accident, famille, retraite) et lui assure une continuité de revenu même après la fin de son activité professionnelle. Par ce système collectif de prélèvements et de prestations, l'individu se sent ainsi « relié » aux autres.
II. Les mutations du travail et de l'emploi peuvent affaiblir le rôle intégrateur du travail
1. La dégradation du marché du travail limite la capacité intégratrice du travail
La dégradation du marché du travail se caractérise par la persistance d'un niveau de chômage élevé et le développement de formes particulières d'emploi, plus « précaires » (CDD, intérim notamment) : la part de ces formes d'emploi est passée de 6 % à 16 % de l'emploi total entre 1982 et 2017, soit une hausse de 10 points de pourcentage (document 3).
Le chômage (a fortiori de longue durée) et la hausse de la part des emplois précaires, caractérisés par des revenus faibles et instables, augmentent le risque de pauvreté (le taux de pauvreté des chômeurs s'élève à 37 %, soit plus de cinq fois plus que celui des salariés) et favorisent le développement des « travailleurs pauvres » (document 1). On dénombre près de 9 millions de pauvres en France, comprenant, pour 2 millions d'entre eux, des actifs occupant un emploi (document 1). L'exposition à la pauvreté et ses conséquences sur les modes de vie s'accroissent : difficultés à accéder au logement et au crédit, à établir des projets ainsi qu'à consommer selon les normes de la société.
Ce type d'emplois « précaires » empêche également l'individu de s'inscrire dans des actions collectives comme le syndicalisme et de construire une identité d'appartenance à une entreprise, une équipe, un métier… Le chômage et la flexibilité de l'emploi, avec le recours croissant à des contrats atypiques comme les CDD, les contrats d'intérim ou d'apprentissage (document 3), mettent également de plus en plus en concurrence les travailleurs.
Chômage et précarisation des emplois nuisent aussi à la sociabilité en dehors de la sphère du travail et fragilisent les relations sociales de l'individu, pouvant entraîner son isolement, voire son exclusion sociale (rupture familiale, perte de confiance en soi, risque de stigmatisation, perte des ressources utiles pour retrouver un nouvel emploi, perte éventuelle de droits sociaux et basculement dans un système d'assistance).
à noter
L'exclusion sociale correspond à la non-réalisation des droits sociaux fondamentaux (protection sociale, logement, éducation…) et à la rupture des liens sociaux.
2. Les nouvelles formes d'organisation du travail ont un impact sur le rôle intégrateur du travail
Les nouvelles formes d'organisation du travail peuvent se traduire par une augmentation des contraintes (rythme, performance, contrôle qualité…) qui pèsent sur le salarié, génèrent des situations de stress, de perte de sens, et l'exposent à des risques psychosociaux. La recherche de performance et de compétitivité accroît aussi le risque de stigmatisation, ce qui peut se traduire par un relâchement du lien entre le salarié et l'entreprise et contrarier l'intégration par le travail (document 2).
Les mutations du travail et de l'emploi se traduisent aussi par l'individualisation et l'isolement par rapport au collectif de travail. La flexibilité des emplois et des salaires place parfois les membres d'un collectif de travail dans des situations si différentes qu'il leur est difficile d'éprouver une identité et des intérêts communs, et donc de s'engager dans une action collective.
La flexibilité horaire a aussi des effets sur les emplois du temps des collectifs de travail et des familles. Elle complique l'engagement associatif et affecte les pratiques de sociabilité.
Conclusion
[bilan] Le travail demeure un fondement de l'organisation de la société d'aujourd'hui. Porteur d'une dimension économique, sociale et symbolique, il contribue fortement à la pleine réalisation de l'individu dans la société. Les évolutions de l'organisation du travail dans les entreprises, la montée du chômage et le développement de formes atypiques d'emploi ont cependant réduit le rôle du travail comme instrument d'intégration sociale, en appauvrissant ou excluant certaines populations d'un accès à l'emploi, en fragilisant la relation salariale et les liens sociaux avec les collectifs de travail. [ouverture] Chômage, pauvreté, exclusion, risques psychosociaux : la puissance publique peut-elle prendre en compte l'importance du travail dans toutes ses dimensions ? D'autres instances peuvent-elles compenser l'affaiblissement du rôle intégrateur du travail ?