France métropolitaine 2022 • Contraction – Essai
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France métropolitaine, juin 2022 • Contraction – Essai
Une éducation intemporelle ?
Intérêt du sujet • Ce sujet vous invite à vous interroger sur la manière dont l’éducation peut s’adapter à un monde en changement permanent.
1. Contraction • Vous résumerez ce texte en 199 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 179 mots et au plus 219 mots.
Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.
2. Essai • Dans un monde qui change, a-t-on forcément besoin d’une éducation nouvelle ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur Gargantua de Rabelais, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du xvie siècle au xviiie siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.
document
Je crois que la force de tout enseignement par rapport aux « événements qui font l’histoire du monde » est d’imposer aux esprits un détour. Si l’on veut s’orienter convenablement, dans une promenade au cours de laquelle on doit retrouver son chemin, il faut prendre, en pensée, du recul. Il faut se retourner, voir d’où vient le chemin que l’on est en train de parcourir et où sont les repères, recourir à une carte, sur laquelle le paysage confus, masqué de buissons et d’arbres, d’ombres et de creux, se ramène à un tracé schématique, couvrant un horizon bien plus étendu et qui soudain rend compte du paysage. Il en va de même dans les choses de l’esprit.
Complexe, notre société ? Ô combien ! Mais dans ce cas pour l’appréhender, pour la comprendre, pour en comprendre les problèmes et les tendances, il faut précisément faire le détour et apprendre à connaître d’autres sociétés plus simples. J’ai l’air en disant cela de présenter, une fois de plus, un plaidoyer pour le grec et le latin. En un sens, c’est parfaitement vrai. Je reste convaincue que l’on comprend mieux la collectivité qu’est l’État quand on connaît la cité grecque, avec les dévouements qu’elle suscitait si largement et les crises qu’elle traversa et surmonta, que l’on comprend mieux les relations entre les pays quand on a pratiqué la relation toute simple qui s’établit au niveau de deux cités de régime politique différent et luttant pour la suprématie1, ou bien entre des cités grecques et un envahisseur barbare. Après tout, si l’on ne cesse de découvrir, dans la littérature grecque, l’« actualité » de tel passage ou de tel autre, cela n’est point dû au hasard de situations qui se répéteraient, mais au fait que des situations simples, analysées avec rigueur, fournissent divers schèmes2 d’interprétation susceptibles d’être appliqués à des situations plus complexes. Je crois aussi que, dans l’ordre des conduites humaines, les problèmes peuvent être posés avec une force accrue, lorsque se découvre, au niveau de la famille ou de la cité, le premier exemple éclatant d’un dilemme humain : la mort d’Antigone et la mort de Socrate aident à comprendre l’héroïsme et à le sentir dans sa simplicité absolue. Je plaide donc bien pour le grec et le latin. Mais pas seulement. Je plaide pour tout ce qui est lointain, différent, et pourtant humain. Je plaide pour la sociologie, je plaide pour l’histoire, je plaide pour tout ce qui n’est pas de notre temps, pour tout ce qui lui ressemble et en diffère, pour tout ce qui nous donne, je le répète, du recul.
Et ce qui est vrai de la complexité du monde actuel l’est aussi pour le changement accéléré que connaît aujourd’hui notre civilisation. On dirait que le progrès scientifique et technique s’est emballé, que l’évolution sociale et les transformations morales se sont précipitées à un rythme sans précédent. Ma petite maison de Provence devait être, il y a quarante ans, une maison tenue pour confortable et moderne, voire raffinée. Or les jeunes qui y viennent croient un peu visiter une maison médiévale. Pourtant, au cours de ces quarante années, nous pensions l’avoir modernisée. Nous avions désormais l’eau sous pression, les tuyaux plastiques, les asperseurs… Les jeunes croient avec peine que cela n’existait pas, que l’on se débrouillait avec des petits canaux et des vannes, comme dans l’Antiquité ! […] Et cependant je suis la même personne, assise sur la même terrasse, et il me semble qu’il ne s’est guère écoulé de temps… […]
Seulement ces changements, dans le domaine moral du moins, peuvent avoir un aspect grave qui intéresse l’enseignement : ils peuvent en effet susciter le désarroi. Quand tout change, on ne sait plus très bien à quoi ou à qui se retenir. Parce que tout change, on condamne ce qui est venu avant. Parce que tout change, on ne croit plus ni aux valeurs d’hier, ni à celles d’avant-hier, et peut-être pas à celles de demain. Parce que tout change, on ne sait plus si ce qui était bien hier l’est encore, si ce qui était mal hier présente un risque ou un inconvénient. On flotte, on s’étourdit, parce que, dans cette grande marée du temps présent, toutes les amarres ont lâché.
Je ne vois aucun moyen d’aider les jeunes à trouver leurs valeurs ni leur voie : c’est à eux de le faire. En revanche, du point de vue intellectuel, je crois que l’enseignement peut les aider – à condition qu’ils s’attachent à l’intemporel et non à l’éphémère.
Jacqueline de Romilly, Écrits sur l’enseignement, 1984.
1. Suprématie : domination.
2. Schèmes : principes, modèles.
Les clés du sujet
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1. L’éducation doit s’adapter au rythme du monde…
Intéressez-vous à la nouvelle éducation prônée par Rabelais : quels sont ses principes ? À quel modèle d’éducation s’oppose-t-elle ? En quoi accompagne-t-elle les changements du monde à la Renaissance ?
2. … cependant, elle doit conserver une part d’intemporalité
Montrez que la « bonne éducation » est aussi celle qui transmet des valeurs et des principes intemporels en s’appuyant sur une tradition didactique.
3. L’éducation permet d’acquérir un esprit ouvert au monde
Démontrez en quoi l’éducation est nécessaire dans la formation d’un esprit humain libre, critique et ouvert au monde qui l’entoure.
1. Contraction
Je pense que le mérite de l’enseignement est de permettre de prendre de la distance pour réfléchir plus efficacement.
Afin de saisir les enjeux complexes de la société actuelle, il est nécessaire de réfléchir aux sociétés du passé. L’étude des cités grecques antiques permet de mieux appréhender le [50] fonctionnement d’un État moderne et les relations internationales. On en déduit des modèles interprétatifs simples, applicables à des situations plus complexes. La lecture des histoires des héros de l’Antiquité délivre un enseignement moral utile à notre propre conduite. L’étude des choses passées est ainsi indispensable pour affûter [100] notre regard sur notre propre temps.
La civilisation évolue rapidement et se complexifie sur tous les plans : technique, scientifique, socioculturel, moral. Les jeunes générations ont des attentes différentes, ce qui creuse un fossé avec leurs aînés dans la compréhension du temps qui passe et dans le rapport aux choses.
Or, [150] ces changements provoquent une perte globale de repères. On a tendance à dévaloriser le passé au profit du présent, au risque de se fourvoyer et de ne plus savoir à quels principes se référer. Intellectuellement, l’enseignement peut amener les jeunes à prendre du recul sur le présent, et à [200] élargir leur regard sur le monde.
206 mots
2. Essai
Les titres des parties ne doivent pas figurer dans votre copie.
Introduction
L’éducation est un thème essentiel de la littérature et de la philosophie humanistes à la Renaissance. Dans Gargantua, Rabelais s’interroge sur la manière d’élever l’homme dans un monde bouleversé par de grandes découvertes dans tous les domaines, et propose ainsi un nouvel idéal éducatif. Un monde qui change nécessite-t-il forcément une éducation nouvelle ? Nous verrons d’abord que l’éducation doit s’adapter aux changements du monde ; nous montrerons ensuite que l’éducation doit malgré tout conserver une part d’intemporalité ; puis nous verrons qu’elle sert avant tout à construire des esprits humains libres et ouverts au monde.
I. L’éducation doit s’adapter au rythme du monde…
L’éducation doit évoluer dans ses méthodes et ses contenus pour s’adapter au rythme des changements du monde. Les humanistes de la Renaissance, tel Rabelais, défendaient cette vision et prônaient une éducation nouvelle.
Dans Gargantua, Rabelais se moque vertement de l’enseignement scolastique hérité du Moyen Âge. Les premiers précepteurs de Gargantua, Thubal Holoferne et Jobelin Bridé, sont de « vieux tousseurs » aux méthodes d’un autre âge reposant sur la répétition abêtissante. Le sage Ponocrates, tenant d’une nouvelle éducation humaniste, parvient à faire sortir Gargantua de son ignorance crasse : sa méthode, longuement décrite au chapitre xxi, associe le soin du corps à celui de l’esprit. L’étude porte sur les nouvelles découvertes de ce temps, notamment en matière astronomique.
des points en +
C’est à la Renaissance que Copernic, suivi de Galilée, défend la thèse de l’héliocentrisme, s’opposant à l’opinion de l’Église selon laquelle la Terre était au centre de l’univers.
Montaigne aussi, dans ses Essais (seconde moitié du xvie siècle), préfère les têtes « bien faites » aux têtes « bien pleines » : « Savoir par cœur n’est pas savoir. » Le professeur est invité à donner la parole à l’élève, dans une dialectique enrichissante. Au xviiie siècle, Rousseau poursuit cette idée avec l’Émile (1762) : la sensibilité de l’enfant, au moment de sa découverte du monde, y prend une importance essentielle. L’enfant expérimente à présent concrètement les choses, son précepteur ne lui assénant plus des leçons toutes faites.
II. … cependant, elle doit conserver une part d’intemporalité
Cependant l’éducation repose aussi en grande partie sur l’intemporalité.
Rabelais, comme tous les auteurs humanistes, est lui-même un grand érudit, féru de textes antiques et médiévaux. Le géant Gargantua, placé sous la responsabilité de Ponocrates, étudie ainsi au chapitre xxiii les auteurs de l’Antiquité (Pline, Athénée, Discoride, Aristote…). De même, dès le prologue, Gargantua est placé sous le haut patronage de Socrate, emblème du dialogue philosophique depuis l’Antiquité.
Certains auteurs prennent également le parti de formes didactiques traditionnelles qui ont prouvé leur efficacité. C’est le cas de Jean de La Fontaine, dont les Fables (1668-1693), qui contiennent « des vérités qui servent de leçons », sont mises en vers à partir de celles d’Ésope et de Phèdre, fabulistes antiques.
De même, Jacqueline de Romilly souligne dans ses Écrits sur l’enseignement (1984) que les humanités classiques, et notamment l’étude de l’histoire antique, sont une condition nécessaire pour comprendre pleinement le monde du xxe siècle : « Je plaide pour tout ce qui est lointain, différent, et pourtant humain. »
des points en +
On peut voir là un écho d’une réplique de l’Heautontimoroumenos de Térence (iie siècle av. J.-C.) : « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. »
III. L’éducation permet d’acquérir un esprit ouvert au monde
Le principal objectif de l’éducation n’en demeure pas moins l’ouverture au monde, nécessaire à tout esprit humain pour appréhender la complexité des êtres et des événements.
Une bonne éducation ne doit pas uniformiser les enfants en gommant leurs différences, mais valoriser et respecter le meilleur de chacun. Ainsi Gargantua dispose-t-il dès son enfance d’un « esprit merveilleux » qu’il met à profit en découvrant le meilleur « torchecul » (chapitre xii). Tout le principe d’une bonne éducation est de faire fructifier cette amusante et prometteuse ingéniosité. Cet idéal d’apprentissage et d’émancipation rejoint ce que propose André Gide dans l’« Envoi » des Nourritures terrestres (1897) : « Ce qu’un autre aurait aussi bien fait que toi, ne le fais pas […] Ne t’attache en toi qu’à ce que tu ne sens qu’en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah ! le plus irremplaçable des êtres. »
Une bonne éducation pousse également à cultiver une curiosité sans limites pour le monde : « La curiosité des enfants est un penchant de la nature, qui va comme au-devant de l’instruction ; ne manquez pas d’en profiter », conseille Fénelon dans son Traité de l’éducation des filles (1687). Jacqueline de Romilly abonde dans ce sens : c’est le rôle de l’éducation d’aider les jeunes à ouvrir leur regard sur le monde et à exercer leur esprit critique, « à condition qu’ils s’attachent à l’intemporel et non à l’éphémère », afin de combattre leur perte de repères dans la « grande marée du temps présent ». Chez Rabelais, l’esprit critique est essentiel pour combattre les préjugés religieux et les fausses croyances et superstitions, qui rabougrissent l’esprit humain.
Conclusion
Nous avons donc vu que l’éducation doit s’adapter aux changements du monde et intégrer notamment les changements scientifiques et techniques. Cependant l’étude des modèles classiques demeure une base solide et indispensable pour appréhender le monde moderne. Ainsi armé, épaulé par sa compréhension du passé et du présent, l’élève peut développer pleinement son esprit critique et sa créativité pour devenir lui-même.