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Étude critique de document
Une œuvre fondatrice : Shoah
Intérêt du sujet • Les films relatant le génocide sont de plus en plus nombreux. Parmi ceux-ci, le film de Claude Lanzmann fait encore référence. L'enjeu de ce sujet est de comprendre pourquoi.
En analysant le document et en vous appuyant sur vos connaissances, montrez en quoi le film Shoah, de Claude Lanzmann, marque un tournant dans l'histoire des mémoires du génocide des Juifs.
DocumentShoah, un film majeur
Shoah, c'est LA grande œuvre de Claude Lanzmann, en 1985, il lui a fallu une dizaine d'années de recherche […]. Une œuvre radicale, passionnante, absolument brillante. Celle qui restera à jamais liée à son créateur, Claude Lanzmann. Il décrit ici son œuvre et son travail : « Tout mon film a été fait précisément à partir de l'absence de traces, c'est-à-dire à partir de rien ». […] Absence de traces, une volonté d'aller sur les lieux, de voir, d'arpenter comme il dit. Que l'horreur n'est pas hors du monde et hors des lieux. Il y a chez Lanzmann une volonté de comprendre et pas d'abord d'exprimer l'horreur, comme le fit par exemple Resnais dans Nuit et Brouillard sorti au milieu des années 1950. Et l'un des grands apports de ce film, Shoah, aura notamment été d'insister sur la distinction fondamentale entre camps de concentration et camps d'extermination, une distinction absente chez Resnais. Et puis il y a le titre Shoah. On l'a oublié, mais on parlait jusqu'alors surtout de l'holocauste. Insupportable pour Lanzmann qui refusait toute idée de sacrifice contenue dans le terme holocauste. D'où le terme hébreu, Shoah, la destruction totale, l'anéantissement. Un film qui donne la parole aux victimes et aux bourreaux, [mais] aussi aux paysans polonais qui avaient préféré regarder ailleurs, créant d'ailleurs un choc profond en Pologne. C'est un travail titanesque, aller chercher les mots des vivants, des survivants, plus de 30 ans après la Shoah. Il s'en explique sur Antenne 2 au moment de la sortie du film en 1985 : « […] J'ai choisi des protagonistes capables de revivre cela et pour le revivre ils devaient payer le prix le plus haut, c'est-à-dire souffrir en me racontant cette histoire. » Il les mène sur place, les met même en scène, pour être au plus proche de la réalité. Et parfois les brusque même pour atteindre une parole puissante et sincère. Des moments qui marquent à jamais les spectateurs, Abraham Bomba, le coiffeur de Treblinka, qu'il interviewe in situ en train de couper les cheveux d'un homme, ou encore Filip Müller, Juif tchèque, Sonderkommando à Auschwitz qui aurait voulu mourir avec ses frères et ses sœurs mais qui en sera dissuadé par l'une des condamnées : « Tu veux donc mourir. Mais ça n'a aucun sens. Ta mort ne nous rendra pas la vie. Ce n'est pas un acte. Tu dois sortir d'ici. Tu dois témoigner. »
Retranscription d'une émission France Info à l'occasion de la mort de Claude Lanzmann : Histoires d'info, « Shoah », un véritable témoignage signé Claude Lanzmann, 5 juillet 2018. Journaliste : Thomas Snégaroff - © INA.
Les clés du sujet
Identifier le document
Comprendre la consigne
La façon de représenter la Shoah au cinéma a profondément évolué. Cette représentation suit des étapes, des régimes mémoriels qui lui sont propres.
Le film de Claude Lanzmann est devenu une référence, pourquoi ?
Dégager la problématique et construire le plan
En quoi le film Shoah constitue-t-il un tournant dans la façon de représenter le génocide au cinéma depuis la Seconde Guerre mondiale ?

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Le 5 juillet 2018 disparaissait Claude Lanzmann, réalisateur du film Shoah sorti en 1985. [Présentation du sujet] Le jour de sa disparition une émission est consacrée à son œuvre sur l'antenne de France Info. Le document soumis à notre étude est la retranscription de cette émission, dont le texte a été rédigé par Thomas Snégaroff, journaliste et historien. Il y évoque la spécificité de ce film et les intentions qui étaient celles du cinéaste. [Problématique] En quoi le film Shoah constitue-t-il un tournant dans la façon de représenter le génocide au cinéma depuis la Seconde Guerre mondiale ? [Annonce du plan] Nous verrons que ce film rompt avec les représentations cinématographiques et les discours précédents [I], puis qu'il inaugure une nouvelle façon d'évoquer le génocide, en donnant la parole à tous les protagonistes [II].
I. Un film qui rompt avec les représentations et les discours précédents
1. Évoquer la disparition, le vide
Dans cette émission, Thomas Snégaroff cite Claude Lanzmann : « Tout mon film a été fait précisément à partir de l'absence de traces » (l. 5-6). Le cinéaste évoque ici les centres de mise à mort polonais, autres qu'Auschwitz, dont il ne subsiste que peu de traces car les nazis les ont détruits comme celui de Treblinka.
Grâce à ce choix cinématographique, il est plus facile au spectateur de saisir la différence entre les camps de concentration (dont il subsiste souvent des baraquements) et les centres de mise à mort (dont il ne reste que peu d'éléments visuels). Ils sont appelés « camps d'extermination » dans le texte (l. 13) car le vocabulaire approprié n'est pas encore entré dans les habitudes des journalistes.
Le secret de fabrication
Dans les films ou les témoignages, l'expression « camp d'extermination » est souvent utilisée car elle était et reste encore d'usage courant. Vous ne devez pas critiquer injustement l'auteur : il s'adresse au grand public et non à des spécialistes. Vous devez cependant apporter une précision scientifique que vous maîtrisez en tant qu'élève de spécialité HGGSP.
Jusque-là c'était surtout les images des « camps » dans leur globalité qui étaient véhiculées, comme dans Nuit et Brouillard, d'Alain Resnais, en 1956. Ce film reprenait des images de la libération des camps sans les nommer et sans montrer leur spécificité. Elles avaient semé la confusion dans les esprits des spectateurs, englobant les sorts de tous les déportés, juifs, résistants, ou communistes. Le journaliste affirme que Resnais souhaitait alors « exprimer l'horreur » (l. 9-10), en filmant des bulldozers poussant les cadavres dans des fosses.
2. Changer de vocabulaire
Le « tournant » que le film Shoah représente dans la façon d'évoquer le génocide tient aussi au vocabulaire. Shoah veut dire « catastrophe » en hébreu, et non « anéantissement » comme l'affirme le journaliste (l. 18). Pour Lanzmann, il est à privilégier au terme holocauste qui veut dire « sacrifice » (l. 16-17).
C'est la mini-série américaine Holocaust, filmée en 1977 par Marvin Chomsky, qui a popularisé ce mot outre-Atlantique où il est encore en usage. Le Mémorial du génocide des Juifs à Washington se nomme Holocaust Memorial Museum.
[Transition] Si le film de Claude Lanzmann constitue un tournant dans la façon de filmer les lieux du génocide et dans la façon de le qualifier, il est également une œuvre puissante par la parole qu'il laisse à tous les protagonistes du crime.
II. Un film qui donne la parole à tous les protagonistes
1. Un film qui donne la parole aux victimes
« J'ai choisi des protagonistes capables de revivre cela et […] souffrir en me racontant cette histoire. » (l. 23-26) Claude Lanzmann, par ces propos, évoque les 9 heures de témoignages qui constituent son film, dont certains sont devenus célèbres comme Abraham Bomba, coiffeur à Treblinka (l. 28-31).
Replonger les rescapés dans leur mémoire, les mettre en scène dans un décor particulier, les pousser à témoigner, est à ce moment-là tout à fait nouveau. Cela est possible quelques années après le réveil mémoriel des années 1960-1970, après le procès d'Eichmann en 1961, après les premières menaces négationnistes. Les témoins prennent conscience de la nécessité de relater les faits remis parfois en cause, ou représentés dans des œuvres de fiction peu conformes à l'histoire.
2. Un film qui donne la parole aux coupables
Dernier point qui fait de Shoah une œuvre révolutionnaire : il donne la parole aux bourreaux, souvent filmés à leur insu. Là aussi, le réalisateur innove, jamais ceux qui avaient participé à la « solution finale » n'avaient été entendus en dehors des procès.
à noter
L'expression « solution finale » relève du vocabulaire employé par les nazis : vous devez donc toujours la mettre entre guillemets.
Lanzmann donne également la parole aux « paysans polonais qui avaient préféré regarder ailleurs, créant d'ailleurs un choc profond en Pologne » (l. 19-21). En effet, jusqu'à ce film et jusqu'à la fin de la guerre froide, les discours sur la Shoah ne mettaient pas en cause les civils polonais, pourtant spectateurs et le plus souvent complices actifs du génocide.
Conclusion
[Réponse à la problématique] Shoah constitue bel et bien un tournant cinématographique. Cette œuvre est diffusée alors que le génocide des Juifs devient un sujet universel, au début de l'hypermnésie des années 1980-1990. [Ouverture] Pourtant Shoah a été vu par très peu de personnes. Sa durée, neuf heures, complique son visionnage en intégralité. Elle témoigne aussi de la difficulté du cinéaste à faire des choix, tant les témoignages étaient riches d'enseignement.