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Nouvelle-Calédonie • Novembre 2016
dissertation • Série ES
Une société n'est-elle qu'une communauté d'intérêts ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Société
On entend par société une réalité proprement humaine, qui se définit comme un ensemble d'individus unis par des liens de dépendance réciproque, mais aussi par une langue, des pratiques culturelles, des valeurs et des traditions, et obéissant à des règles, codes et lois communes.
Enfin, à la différence des communautés animales, la société est régie par des institutions, et son organisation est susceptible de connaître des bouleversements.
L'intérêt
L'intérêt est ce qui nous pousse à agir quand nous envisageons qu'un avantage, un bénéfice, pourrait résulter de cette action. La logique de l'intérêt est donc une logique calculatrice et comparative.
Communauté d'intérêts
Une communauté d'intérêts désigne un ensemble d'individus dont l'union résulterait d'un calcul selon lequel chacun trouverait plus d'avantages que d'inconvénients à vivre dans cette communauté.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Le problème repose sur l'identification de la société à une communauté d'intérêts : peut-on réduire une société à une union fondée sur la nécessité de se satisfaire ou de survivre ?
La problématique découle de ce problème central, puisqu'il s'agit de s'interroger sur le fondement de la société : qu'est-ce qui motive notre adhésion à la société ? Pouvons-nous dire qu'une société est une réunion d'intérêts particuliers, et rien d'autre ? Mais une société fondée sur notre seul égoïsme serait-elle stable et durable ? Qu'est-ce qui pourrait, au-delà de la logique calculatrice de l'intérêt, nous pousser à vouloir vivre ensemble ?
Le plan
Dans un premier temps, nous verrons que la vie en société résulte d'un calcul d'intérêts dans la mesure où nous nous associons pour mieux satisfaire nos besoins.
Pourtant, la logique de l'intérêt particulier n'est-elle pas conflictuelle ? Une société fondée sur le seul intérêt n'est-elle pas toujours menacée d'implosion ?
Enfin, nous verrons qu'une société n'est jamais réductible à une communauté d'intérêts, puisque ce qui fonde la société, c'est notre désir de justice.
Éviter les erreurs
La formule restrictive du sujet (« n'est-elle que ») invite à formuler des hypothèses concernant ce qu'une société pourrait être si elle n'était pas une simple communauté d'intérêts.
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
Se demander si une société n'est qu'une communauté d'intérêts, c'est s'interroger sur le fondement de notre adhésion à la société. On serait tenté de répondre que la vie sociale est si largement choisie qu'il semble que nous nous y trouvions avantagés : mais ce qui nous lie aux autres, est-ce seulement que nous voyons en eux le moyen de nous satisfaire ? La société n'est pas seulement un ensemble d'individus interdépendants : chaque société est une réalité humaine marquée par une langue, des pratiques culturelles, des valeurs et des traditions, et obéissant à des règles, codes, lois et institutions communes. L'intérêt, c'est ce qui guide ma conduite quand j'entrevois, selon un calcul et une comparaison, un bénéfice possible. Mais ce qui motive notre adhésion à la société, n'est-ce que ce calcul ? Pouvons-nous dire qu'une société est une collection d'intérêts particuliers, ou sommes-nous liés aux autres par autre chose ? Dans un premier temps, nous verrons dans quelle mesure il est possible de dire que nous nous associons pour mieux satisfaire nos besoins. Pourtant, la logique de l'intérêt particulier n'est-elle pas conflictuelle ? Enfin, nous verrons qu'une société n'est jamais réductible à une communauté d'intérêts : ce qui fonde la société, c'est notre désir de justice.
1. Une société est une communauté d'intérêts
Info
La division du travail désigne la décomposition du processus du travail en tâches distinctes, ce qui s'accompagne donc d'une spécialisation.
A. L'échange économique est premier
Dans un premier temps, nous serions enclins à penser qu'une société se forme sous l'effet de la nécessité dans laquelle chacun se trouve de subsister. Or, de ce point de vue, la vie solitaire nous semble risquée et difficile : notre choix de la vie sociale résulterait donc d'un calcul d'intérêts, par lequel nous comparons la vie solitaire à la vie sociale. Au terme de ce calcul apparaîtrait le gain que chacun réaliserait par l'union des forces et des compétences : une société apparaît alors comme l'occasion d'additionner les forces individuelles et de diviser le travail afin de satisfaire plus efficacement et plus facilement nos besoins.
B. Même si la société crée des besoins, elle nous avantage
Bien sûr, la société ne satisfait pas seulement nos besoins mais en produit : à cette objection, Hume répond, dans le Traité de la nature humaine, que cet inconvénient est toutefois inférieur, du point de vue du bonheur de chacun, au gain occasionné par la vie sociale. L'union des forces, la division du travail et la solidarité, dit-il, ne sont possibles que dans la société. Hors de celle-ci, l'homme ne pourrait pas se renforcer ni s'épanouir ni se perfectionner. Ainsi, une société est bien une communauté d'intérêts, mais distincte des communautés animales figées dans leur fonctionnement, puisque à leur différence elle nous appellerait à nous perfectionner, et serait susceptible de se modifier.
[Transition] Pourtant, n'est-il pas réducteur d'identifier une société à une communauté d'intérêts ? Si l'intérêt nous guide vers la vie sociale, une société peut-elle subsister si elle n'est fondée que sur cet intérêt particulier ?
2. Une société ne peut pas se fonder sur la logique de l'intérêt particulier
A. La logique de l'intérêt est conflictuelle
De fait, si l'intérêt peut être pensé comme ce qui est à l'origine de la société, il semble difficile de dire qu'il suffit à la fonder.
Conseil
Vous pouvez analyser ici la distinction entre origine et fondement, qui est un repère de votre programme. L'origine est le commencement chronologique d'un processus ; le fondement est ce qui le rend stable et le fait tenir.
Nous faisons l'expérience quotidienne des heurts et souffrances produits par notre existence sociale : c'est que, comme le remarque Kant, à notre tendance naturelle à coopérer avec les autres pour nous renforcer, est profondément liée cette tendance tout aussi naturelle à les rencontrer comme des obstacles à la satisfaction de nos intérêts et à vouloir les fuir, les surpasser ou les détruire. Dans Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, Kant évoque ainsi l'insociabilité comme cette « opposition générale qui menace sans cesse de dissoudre cette société ».
Info
Le discours de Glaucon, dans La République de Platon, met en évidence le risque permanent que représente une société conçue comme une collection d'intérêts juxtaposés.
B. Une société conçue comme une agrégation d'intérêts serait instable
Si Kant suppose que la nature a déposé en nous une double tendance, nommée « insociable sociabilité », à nous associer et à rivaliser dans le but de nous perfectionner, il n'en reste pas moins qu'une société fondée sur le seul jeu des intérêts semble constamment menacée de dissolution. Si l'intérêt est ce qui me pousse à vivre dans une société régie par des lois, n'est-il pas aussi ce au nom de quoi je peux être tenté de transgresser ces lois ? Si ce qui me lie aux autres est la même volonté égoïste de me satisfaire, la société n'est-elle qu'une collection d'intérêts égoïstes et opportunistes contenus provisoirement par des lois que nous transgresserons à la première occasion ?
[Transition] Dans ces conditions, on voit mal comme une telle société serait préférable à la vie solitaire. Mais alors, qu'est-ce qu'une société si elle n'est pas une simple communauté d'intérêts particuliers ?
3. Une société est une communauté de désir
A. Une société n'est pas une « agrégation » mais une « association »
Quel est le véritable fondement des sociétés ? D'où tiennent-elles leur unité ? C'est cette question qu'envisage Rousseau dans Le Contrat social : comment une société serait-elle stable et durable si elle n'était fondée que sur cette recherche de la satisfaction de nos intérêts particuliers ? Une telle société serait, dit-il, une simple « agrégation » d'intérêts, et sans cesse menacée de désagrégation, car elle conserverait en elle le facteur de dissolution que constitue la logique conflictuelle des égoïsmes. De cette agrégation, Rousseau distingue l' « association » – ou communauté politique –, comprise comme une communauté d'individus mus par un intérêt commun, qui, loin de résulter de la somme des intérêts particuliers, résulte d'une « volonté générale ». Autrement dit, le vrai fondement de la société, c'est la volonté générale, définie comme capacité à déterminer et à vouloir ce qui correspond à l'intérêt commun. Or, dit Rousseau, cette volonté ne résulte pas d'un calcul d'intérêt : c'est un intérêt universel de la raison qui s'exprime en elle.
B. Toute société se fonde sur une réalité affective
Mais sommes-nous capables de vouloir autre chose que la satisfaction de nos intérêts particuliers, et n'est-ce pas là un sacrifice ? En réalité, dit Rousseau, si la vie sociale est désirable, si elle est même possible, c'est parce que la logique naturelle de l'intérêt particulier (« amour de soi ») n'est pas exclusive, mais coexiste en nous avec cet autre principe, tout aussi naturel, qu'est la pitié. Autrement dit, le lien social ne se fonde pas sur l'intérêt compris comme la recherche des moyens nécessaires à assurer notre bonheur, mais sur ce sentiment naturel par lequel nous faisons l'expérience affective d'un dépassement de nos intérêts particuliers – l'homme qui, protégé par une cage, voit un enfant arraché à sa mère se faire dévorer par une bête, fait une telle expérience, dit Rousseau.
Conclusion
Ainsi, c'est bien dans la mesure où elle ne se fonde pas sur le jeu des intérêts particuliers qu'une société peut apparaître comme une réalité proprement humaine, qui ne saurait se confondre avec ces communautés de survie que sont les communautés animales. Ce que nous trouvons dans la vie sociale, c'est l'occasion de nous préoccuper d'autre chose que de notre seule conservation, ce qui n'est possible que si nous avons cette capacité naturelle à souffrir de la souffrance des autres, qui est la source de notre désir de justice.